En réalité j'avais une faim de loup. Et ce qui avait été un plat bien fourni fut rapidement réduit en quelque grains de riz jaune-orangé. J'ais toujours eu un bon appétit, sans pour autant me goinfrer, mais je mangeais bien. Je posais mes couverts et eut un petit rire. Ouais, j'agissais pas vraiment comme une nana. Je roulais une clope, essayant de penser à autre chose qu'à notre couple, et regardais Cecil avec un petit sourire légèrement béat mais pas trop. Je ne voulais pas me réveiller, en fait.

Le trouble n'avait pas quitté Cecil, et, alors que Camille finissait son assiette, lui n'en avait mangé que la moitié. Pourtant le plat était excellent, mais la faim l'avait quelque peu déserté. Camille se prépara une cigarette, lorsqu'un enfant éclata en sanglots dans le restaurant. Cecil sursauta et d'un mouvement brusque de la main, il renversa son verre.

"Mince!"

Voulant le relever, il donna accidentellement un coup sur sa fourchette, pleine, qui lui propulsa joyeusement son contenu dessus.

Cecil grommela et se demanda pourquoi, à cet instant précis, l'univers avait décidé de le détester autant. Certes, il emmettait assez souvent de mauvaises ondes, mais ce n'était pas une raison pour le punir, là, de suite, alors qu'il mangeait avec Camille, sa chérie. Il bloqua sur sa propre pensée. Sa chérie? D'étonnement, il laissa tomber la fourchette qu'il venait de ramasser. Il se baissa à nouveau, et, en se relevant, se cogna la tête contre le coin de la table. Il gémit.

Sous les rires plus ou moins discrets des personnes présentes dans le restaurant, Camille se retrouva sur les fesses. Cecil se frotta la tête pour essayer de faire partir la douleur. Puis il se redressa, s'inclina vers Camille et lui tendit galamment la main.

"Tu es trop aimable de m'avoir rejoint dans le monde merveilleux du ridicule."

Cecil ne se moquait pas d'elle. Il la fixait en souriant.

Cecil se racla la gorge et se rassit. Cette suite d'exploits ridicules le gênait profondément. Camille ne semblait pas s'en formaliser, mais Cecil était tout de même troublé. Pour elle, il ne voulait pas être une source d'embarras ou de honte. Il voulait briller aussi fort que possible pour lui faire honneur.

Un serveur apporta une fourchette propre sans faire le moindre commentaire et Cecil le remercia d'un signe de tête. Il sentit que son chignon s'était en partie défait. Il le défit complètement, ébouriffa ses cheveux. Tant pis pour le désordre. Il prit sa fourchette et recommença à manger.

Cecil fixa Camille sans laisser paraître la moindre expression. Il apporta sa fourchette à sa bouche, et doucement, en avala le contenu, ne la lâchant pas du regard. Il ne savait pas vraiment si elle trouverait cela attirant ou drôle, mais dans les deux cas, il espérait un réaction positive de sa part. Des pensées impies lui vinrent à l'esprit. Cecil réajusta sa position sur sa chaise. Une mèche de cheveux lui tomba devant les yeux. D'un dernier coup de fourchette il finit son plat, puis dit d'un air énigmatique :

"Merveilleux..."

Cecil réalisa que les deux hommes qu'il observait quelques minutes plus tôt le fixaient tour à tour, comme s'ils voulaient que leur partenaire ne le voit pas. Cecil se savait attirant, mais il ne voulait en aucun cas être sujet de discorde au sein d'un couple. Ou alors, il était l'objet d'un phantasme commun. Cette pensée aurait dû l'émoustiller, et pourtant, rien. Son attention se reporta sur Camille. Il lui sourit.

"Pour moi ça ira, mais je t'en prie. Si tu en veux un, n'hésite surtout pas!"

La gourmande. Cecil regarda Camille commander puis entamer son dessert. Pas un mot n'avait été échangé. A vrai dire, Cecil ne savait pas vraiment quoi dire. Il sentait la fatigue le gagner à nouveau. Il n'était pas vraiment tard, mais ces dernières vingt-quatre heures avaient été particulièrement intenses. Lui qui dormait d'ordinaire assez peu n'aurait pas refusé une bonne nuit de sommeil. Cecil tendit son doigt vers la crêpe de Camille, récolta un peu de compote et la porta à sa bouche avec un air mutin.

Et maintenant? Bonne question. Cecil avait envie de dormir. Cecil n'avait pas envie de quitter Camille, mais Camille voulait sans doute aller au London Eye, alors que Cecil, pas vraiment. Du coup, Cecil ne savait pas trop quoi faire. La seule chose qu'il lorgnait était un banc un peu plus loin sur lequel s'étaler comme la crêpe que Camille venait de finir. Mais rien de tout cela n'était très glamour afin de finir une première journée de relation.

"Et bien, nous avons plusieurs choix. Le London Eye. Rentrer. Errer dans les rues. Ou sauter sous le camion qui arrive."

La perspective de quitter Camille lui déplaisait autant que celle de la revoir le remplissait d'envie. Et elle était véritablement mignonne lorsqu'elle s'excusait.

"Hum... A part mon rendez-vous chez le coiffeur demain après-midi, j'ai rien de trop prévu."

Cecil soupira en prenant les mains de Camille.

"Mais je dois t'avouer que je suis plutôt fatigué. Je n'ai pas beaucoup dormi depuis la mort de papa."

Cecil sentit fondre quelque chose en lui. C'était la première fois que quelqu'un lui proposait de dormir avec lui, ou elle, sans aucun sous-entendu. Pour la première fois, il était considéré en tant que personne ayant des sentiments, et non comme l'homme très sexuel qu'il aimait paraître bien souvent. Il se coula dans les bras de Camille et posa sa tête dans son cou.

"Oui, je veux bien dormir chez toi."

"Marchons."

Cecil se détacha d'elle, lui prit la main et l'entraina dans les rues de Londres. Il avait l'impression de marcher sur un nuage, d'une part parce qu'il était avec Camille, mais surtout parce qu'il était fatigué. Il sentait la tension de ces derniers jours retomber, laissant place à une sensation de paix vaguement mélancolique. Il ne dit pas un mot en marchant et les minutes s'égrainèrent au rythme de leurs pas.

Cecil bailla alors que Camille se déshabillait. Il la regarda d'un œil vitreux.

"A vrai dire, j'ai vraiment envie de soulager ma vessie. La tension est telle que je pourrais broder dessus."

Cecil se dirigea vers les toilettes, se trompa de porte, ouvrant un placard puis referma la porte en grommelant. Une fois ce qu'il avait à faire fait, il retourna vers Camille et tenta de lui faire un sourire.

"Je pense qu'il est l'heure de dormir. Du moins pour moi, si tu n'y vois pas d'inconvénient."