Un endroit comme Cecil les aimait, simple, sobre, convivial. Bien sûr, de temps à autre, il aimait aller dans des restaurants luxueux, mais le plaisir était différent. Là, il était juste bien.

"Oui, c'est parfait."

Il remarqua, derrière Camille, assis à une table un peu plus loin, deux hommes qui mangeaient en tête à tête, l'air très complice. Cecil trouva entre eux une superbe harmonie. Aucun des deux n'était particulièrement beau, mais il émanait d'eux un charisme certain. Cecil réalisa que cela faisait plusieurs minutes qu'il observait le couple, alors qu'il aurait dû être en train de choisir son plat.

"Désolé."

Cecil bredouilla quelques excuses incompréhensibles. Il rougit un peu.

"C'est juste que, enfin, tu sais... J'ai cru que tu étais un homme. Et après je me suis aperçu que non. Non pas que j'étais déçu, au contraire! Enfin non, pas au contraire. Mais il faut que tu saches que j'aime les hommes et les femmes. Enfin plus les hommes d'ailleurs, généralement."

Dire qu'il se sentait bête était un euphémisme. Il avait l'impression d'être un gamin qui avouait à sa première copine sa bisexualité. Certes, le message était le même, mais il avait une vie sexuelle épanouie qui ne lui procurait jamais de honte. D'ordinaire...

Alors ça, Cecil ne l'aurait jamais deviné. Camille pudique certes. Mais Camille qui n'arrivait pas à bien exprimer ce qu'elle ressentait! En y réfléchissant, ce n'était pas si étonnant. La jeune femme était une louve non pas sauvage, mais assez solitaire, qui ne devait pas parler souvent de ce genre de choses.

"Je comprends. Je n'ai eu moi-même que très peu de relations sérieuses."

Cecil eut soudain une pensée qui le mit extrêmement mal à l'aise.

"Euh, dis-moi... Tu n'es pas... Euh... Vierge, au moins?"

Cecil ne savait plus ou se mettre. Lorsque le serveur se tourna vers lui, il bredouilla.

"La même chose..."

Il avait été terriblement maladroit, voire même incroyablement stupide. C'était la première fois qu'il vexait Camille et la sensation qui en ressortait été extrêmement désagréable. Mince, ce n'était pas sa faute si elle n'assumait pas son manque d'expérience. C'était une grande fille. Tant pis. Cecil croisa les bras et se mit à bouder.

Quelque part Cecil comprenait Camille. Pour lui aussi, pendant longtemps, il avait été difficile de parler de sa sexualité. Très peu de personnes de sa génération acceptait les attirances non-conventionnelles et encore moins les pratiquait. Mais aujourd'hui, les mentalités avaient en partie changés, même si Cecil trouvait que les évolutions étaient plus lentes à venir dans le monde des sorciers que dans le monde moldu. Il décroisa les bras et se perdit dans ses pensées.

Cecil jeta un coup d’œil vers l'extérieur. Un jeune homme venait d'aborder Camille. Un très charmant jeune homme qui avait l'air bien trop sûr de lui. Cecil se pencha au-dessus de la table afin de le voir un peu mieux. Non, impossible! Et si, il s'agissait bien de Mike Owens. Cecil avait déjà eu à faire à lui au Ministère. Un jeune homme bien sûr de lui qui insupportait cordialement Cecil, mais qu'il ne pouvait s'empêcher de trouver très attirant. Cecil grommela, sans se rendre compte que tout le monde le regardait ainsi, presque allongé sur la table. Que Mike voulait-il à Camille?

Cecil vit rouge. Immédiatement, il se dirigea vers la porte du restaurant, mais il fit un énorme effort pour ne pas sauter sur Mike. Après tout, il était vraiment très grand. Il s'appuya négligemment sur le mur extérieur et fixa Mike.

"Salut gamin. Si j'étais toi, j'éviterai d'importuner la demoiselle. Tu ne voudrais pas que la situation devienne sale."

Cecil montra d'un mouvement de menton les passants moldus qui observaient la scène.

Rester calme. Rester calme. Ok, échec. Cecil éclata d'un rire sonore en passant son bras autour du cou de Camille. Il prit une position décontractée.

"Toi attendre! Laisse-moi rire! Tu es connu dans tout le Ministère comme la pire des salopes, alors arrête de te vanter et retourne jouer aux petits chevaux avec maman."

Cecil se rendit compte alors même que ces mots sortaient de sa bouche que, en plus d'être extrêmement offensantes, ses paroles étaient vraiment puériles. Tant pis pour cette fois.

Cecil se redressa de toute sa hauteur. Le gamin venait de s'enfuir, vaincu sous les piques acerbes de son aîné. Cecil eut soudain envie de pavaner comme un paon, et se retint pour répondre à la question de Camille.

"Tu sais, au Ministère, les gens se connaissent, surtout lorsqu'ils ont un caractère aussi difficile que lui ou moi. Et puis, même s'il m'insupporte profondément, il était dans mon top cinq des personnes les plus attirantes au Ministère, ce qui est assez ridicule quand j'y pense..."

Cecil se racla la gorge, soudain un peu gêné. Camille se rendrait bien compte assez vite que, s'il n'était pas un prédateur, Cecil avait comment de très forts, hum... Désirs.

"Rentrons."

"Ah! Parfait! Mangeons, ça nous changera les idées."

Cecil se mit à table et huma la fumée qui provenait de son plat. L'odeur était assez merveilleuse. Avant d'y goûter, il voulut quand même mettre quelque chose au clair avec Camille.

"Il faut que tu saches. Je suis plutôt du genre à être comme lui en vérité. J'ai brisé pas mal de cœurs, et je ne peux pas dire que beaucoup m'aient rendu la pareil. Mais je n'utilise pas les gens comme lui le fait. Quoiqu'il ait pu te dire sur moi, c'est faux!"

Ce curry était divinement bon, mais le sérieux de la situation empêcha Cecil de soupirer d'aise. Visiblement, ce sujet était difficile à aborder pour Camille et il comprenait facilement pourquoi : il n'était jamais facile d'avouer ses faiblesses. Très indépendante, elle devait s'en vouloir d'être tombée sous la coupe de quelqu'un comme lui. Presque pour lui même, Cecil souffla :

"Je ne te dirais jamais d'acheter des robes, moi."

Il reprit une bouchée de curry, l'avala et dit d'une voix bien plus distincte :

"J'espère être digne de toi, Camille. Tu mérites bien plus que tu ne penses."

Gênée, je mangeais une bouchée de mon curry. Je l'entendis murmurer dans sa barbe, mais ne compris pas, alors je me concentrais un peu sur mon assiette... Putain ce curry... Il fallait que je vienne manger ici plus souvent, c'était pas plus cher qu'une pizza, mais bien meilleur. Puis, je relevais la tête, et fixais Cecil, cachant mon émotion. Du baume au coeur après ce que venait de me sortir l'autre con... Je lui souris, rosissant.

"Cecil... Merci. Je ferai de même pour toi. Je sais que malgré ce que tu peux en dire, tu mérites bien plus que tu ne le penses."

Sans vraiment savoir pourquoi, Cecil rougit. Certes le compliment était beau, mais il était plutôt du genre à s'enorgueillir d'une louange plutôt que d'en être gêné. Décidément, Camille remettait en cause tout ce qu'il savait sur lui-même. C'était très perturbant. Il continua à manger son curry sans dire un mot, profitant un maximum de son plat en espérant que Camille trouverait un sujet de conversation pour rompre ce silence.

"Oui. Ça déchire."

Presque autant que toi. Non, il ne put se résoudre à lui dire, et au fond, peut-être était-ce mieux. Il n'était ensemble que depuis la veille, et même si ces dernières vingt-quatre heures avaient été très intenses. Mais Cecil n'avait pas envie de griller toutes les étapes, même s'il devait avouer qu'une petite discussion sur les termes du contrat ne serait pas malvenue. Mais, à cet instant précis, Cecil ne pouvait s'y résoudre. Il continua donc à manger son plat, la tête baissée mais les yeux brillants.