Cecil regarda Evan avec le même air froncé qu'il crispait ses traits depuis l'incident.

"Moi aussi."

Il se mit soudain à repenser que, en quelques minutes, ils venaient de dévaster un magasin. La lèvre de Cecil fut prise d'un léger tremblement.

"On est pas doué quand même. Mais vraiment pas."

Soudain, un grand fracas se fit entendre dans le magasin et un lutin de Cornouailles s'échappa dans le ciel. Cecil regarda Evan et éclata d'un fou rire particulièrement bruyant.

A la vue du lutin, Cecil et moi avions explosé de rire. Ne nous souciant guère des nombreuses personnes qui passaient en nous regardant bizarrement. Après de bonnnes minutes, je réussis enfin à me contrôler ; cela faisair longtemps que je n'avais pas rit au point d'en avoir mal aux abdos. Je regardai alors Cecil, il était la première personne à m'avoir fait autant rire depuis mon oncle. Je m'avançais alors vers mon ami et le serra d'une étreinte amicale.

Cecil fut un peu surpris par l'étreinte d'Evan à laquelle il répondit assez maladroitement. Cecil n'était pas quelqu'un de très physique. Il esquivait toujours les câlins de ses parents lorsqu'il était petit, et les relations qu'ils avaient eues avec ses partenaires étaient plus charnelles que tendres. Assez mal à l'aise, il mit vite un terme à l'étreinte et regarda Evan d'un air anxieux, ne sachant comment interpréter cette marque d'affection.

"Tu vas bien?"

Je m'essuyai les yeux pour retenir honteusement les larmes qui y montaient. Je compris la mal-aisance de Cecil et me remis à sourire.

-Oui ça va. Juste... merci d'être là.

Je n'étais moi-même pas habitué aux contacts avec les autres, à vrai dire, j'avais été surpris par ma propre réaction. Voulant oublier ce moment de gêne, je me mis à marcher doucement dans la rue. Je n'osais pas engager la discussion avec Cecil après ce que je venais de faire. Je décidai alors de me taire, n'ayant aucune idée de où cette jourmée me mènera, du moins dans une meilleure situation que la dernière fois je l'espérais.

Evan se remit à marcher, laissant Cecil un peu en retrait. Il ne démarra pas tout de suite, laissant à son ami l'espace de la pudeur. Evan n'était pas quelqu'un d'exubérant, du moins c'était ce que Cecil pensait. Cet élan d'affection était certes étonnant, mais c'était surtout les larmes qui avaient perlé dans ses yeux qui intriguaient Cecil. Pourquoi Evan se montrait-il au émotif? Il n'avait visiblement pas envie d'en parler. Cecil se décida à le suivre. Il le rattrapa bientôt.

"Une bièraubeurre?"

Cela faisait longtemps que je n'avais pas eu une telle relation avec quelqu'un. Cecil me faisait étrangememt penser à mon oncle, c'était donc quelqu'un à qui j'étais très attaché. Comme d'habitude, j'étais perdu dans mes pensées et dû reformuler la question de Cecil dans ma tête.

-Oui, avec plaisir. Rien de plus convivial qu'une bièraubeurre.

Cecil poussa la porte des Trois Balais. Boire un verre serait sans doute plus reposant que de rentrer dans le magasin infernal qu'ils venaient de quitter. Cecil aimait cette ambiance chaleureuse qui participait grandement au plaisir qu'il avait de boire une bièraubeure ou un bon whisky Pur-Feu. Il commanda deux pintes et entraîna Evan vers une table dans un coin tranquille. Peut-être l'alcool aiderait-il le jeune homme à délier sa langue. Les bières arrivèrent très bientôt.

"A ta santé! Et aux vacances qui s'achèvent!"

Je me retrouvai alors une pinte à la main et le sourire aux lèvres en face de Cecil dans un pub de Pré-au-Lard. J'avais l'impression que toutes mes rencontres étaient étranges, mais plus le temps passait et plus je me demandais si ce n'était tout simplememt moi qui n'avais pas l'habitude de rencontrer des gens. Je rigolai lorsque Cecil porta un toast :

-A TA reprise Cecil, pour moi les vacances sont éternelles.

Je cognai alors ma pinte contre celle de Cecil dans l'agréable brouhaha du lieu. Un sentiment d'amitié m'embaumait désormais le cœur et je n'en étais que plus heureux. Ainsi, je finsi rapidement ma boisson avant d'en redemander une autre tournée :

-Fais toi plaisir, je régale !!

Le jeune fou venait de boire sa bièraubeure d'une seule traite. Certes la boisson n'était pas très forte, mais, si comme Cecil le supposait, Evan n'avait pas l'habitude de boire, la situation pourrait devenir très coquasse. Cecil lui suivit donc et but sa pinte cul-sec aussi. Il adorait cette douceur houblonnée de la bière. La boisson facilitait la parole et forgeait des amitiés étonnamment solides. Son père, Thomas, disait toujours qu'on n'était pas vraiment ami avec quelqu'un avant d'avoir partagé un verre avec lui.

"Bon Evan, dis-moi, as-tu des envies, des projets pour l'avenir? Envie de voyager? De rencontrer quelqu'un peut-être?"

Je buvais ma seconde pinte un peu plus lentement que la première. Puis le question de Cecil me surprit moi-même, c'est vrai que j'étais assez éloigné de la civilisation mais d'un autre côté ma cabane est un peu comme ma maison d'enfance et je savais qu'il me serait difficile de la quitter sans tristesse.

-Nan, à vrai dire je suis bien chez moi et même si je suis loin de toute sorte de vie humaine, je peux toujours transplaner en ville. Pour ce qui est des voyages, je n'aime pas trop voyager puisque je suis tranquille chez moi et que je ne vois aucun interêt à bouger autre part, Pour finir, les rencontres ne sont pas les choses qui me font le plus de mal, au contraire, je suis toujours heureux de rencontrer des gens mais cela ne se prévoit pas... du moins il ne me semble pas.Mais toi ? Des projets peut-être ?

Et sur ces paroles je finis mon deuxième verre, commençant légèrement à me faire tourner la tête.

C'était cela que Cecil appréciait autant chez Evan : sa désinvolture naïve face à certains codes sociaux. Que ce soit à cause de son emploi au Ministère, de son poste de professeur ou de son air peu avenant, les gens évitaient généralement de poser des questions directes et personnelles à Cecil. Evan ne se posait pas ce genre de question. Il prenait Cecil pour ce qu'il était et rien de plus, un ami.

"Et bien, puisque tu parles de projet, en effet, j'en ai quelques uns. J'ai obtenu du directeur la réouverture du Club de Duel, ce qui devrait me prendre pas mal de temps en plus de mes cours normaux. J'ai assez hâte de voir ce que je peux faire pour mettre ses limaces en forme! Sinon et bien, depuis un mois maintenant je suis en couple, donc cela aussi peut être vu comme un projet."

Cecil prit un air mystérieux et but quelques gorgées de sa pinte.

La vie de Cecil avait l'air si parfaite et si heureuse que je ne pus m'empêcher de sourire. Cecil avait un emploi qui le rendait heureux et une femme qui l'aimait. Une part au fin fond de moi l'enviait énormément et mon sourire retomba en même temps que mon regard qui se posa sur mes chaussures. C'était le genre de sujet qui avait un étrange effet sur moi, si bien que je me résonnai en quelques secondes, après tout je suis moi aussi heureux dans ma forêt. Mais je ne pus m'empêcher ces paroles :

-Ta vie a l'air si parfaite Cecil. Je vais être sincère, une partie de moi t'envie beaucoup.

Je regrettai de ne pas avoir su retenir les sons sortir de ma bouche mais je savais que je ne ferais qu'empirer les chises si j'essayais de me corriger.

En entendant la remarque d'Evan, le sourire de Cecil disparut. Sa fierté pouvait se gausser d'attiser l'envie des autres, mais son sens de l'honneur ne le supportait pas. D'autant plus que le jeune homme se trompait. Son ton fut cassant et glacial.

"Non Evan. Ma vie n'est pas parfaite. J'ai perdu mon père cet été et je pense de plus en plus qu'il n'est pas mort de cause naturelle. Les choses ne sont jamais parfaites et ne devraient jamais l'être. Mais plus encore, tu ne dois jamais envier la vie de qui que ce soit. Si tu n'es pas content de la tienne, change-la. Seuls les faibles envient."

Cecil regretta aussitôt la dureté de ses paroles. Certes il pensait ce qu'il disait, mais il y avait des manières de le dire. Il but une gorgée et reprit d'une voix plus douce.

"Tu n'as pas à envier la vie de qui que ce soit. Tu es quelqu'un de bien, Evan."

Au premier abord, les violentes paroles de Cecil me choquèrent si bien qu'un air outré prit place sur mon visage. Puis je remarquai que Cecil avait tout à fait raison, je me sentis alors un peu stupide d'avoir pensé ça et baissai le regard sur la table. Cecil m'avait parlé franchement, il ne m'avait pas menti et avait été sincère. Il était la parfaite définition de ce que j'appelais un ami. Je le regardai alors avec pitié :

-Désolé Cecil, je... je ne sais pas pourquoi j'ai dit ça.

Cecil sentit qu'Evan était sincèrement désolé, mais il devait tout de même apprendre une leçon. La voix de Cecil se fit terriblement neutre.

"Ne t'excuse pas. Tu as dit quelque chose que tu as pensé. Tu n'as pas à t'excuser pour ça, mais plutôt à chercher les raisons de cette faiblesse. Si tu cherches pitié ou compassion chez moi, tu t'es trompé de client. Je suis là pour être ton ami, pas ton père."

En réalité, être en quelque sorte le mentor d'Evan lui plaisait assez. Du moins cela flattait-il sa vanité. Mais il ne devait pas le laisser paraitre et céder à la tentation de la prendre sous sa coupe. Evan était un être à part entière, certes assez naïf et ingénu, mais qui méritait une relation d'égal à égal.

Ce sont les derniers mots de Cecil que je retins, il avait inévitablememt raison. Je me comportais comme un enfant qui s'excuse à tout va. J'avais hérité de ce caractère pendant ma jeunesse alors que mon père buvait, ce qui a fait que je recherche maintenant un père à travers les gens que je rencontre. J'allais sur ma troisième pinte lorsqu'une image me vint en tête : mon père, assis à côté de moi ivre mort. Je lâchai alors brusquement ma pinte, je marchais sur les traces de mon père. Je ne pus contrôler les pleurs qui secouèrent mon corps :

-J'ai peur Cecil, peur de décevoir les gens qui ont confiance en moi. Peur de ce monde que je ne connais pas. Peur que le pont sur lequel je marche s'effondre et que je tombe dans le profond ravin qu'est la solitude.

Ok. Ne plus jamais le faire boire. Cecil se fit une note mentale en regardant les larmes couler sur les joues d'Evan. Il ne savait pas vraiment quoi lui dire, d'autant plus qu'il détestait que les gens pleurent devant lui. Non seulement cela le mettait assez mal à l'aise, mais il avait alors plus envie de les envoyer bouler que de les aider. Mais Evan semblait vraiment mal, donc Cecil se dit qu'il devait faire un effort.

"C'est normal d'avoir peur. Le reste ne tient qu'à toi, c'est une question de choix. Si tu ne veux pas être seul, va vers les gens. Si tu as peur de décevoir, apprends à avoir confiance en toi. Le reste n'est qu'une partie d'échec géante. Libre à toi d'être le premier pion à être pris, où le fou voyageur."

Les paroles de Cecil me firent comme l'effet d'un chauffage dans un froid hivernal. J'avais laché tout le stress et toute la tristesse que j'avais accumulé dans ma vie sur Cecil. J'étais quelqu'un de très perturbé et très imprévisible ce qui ne favorisait pas forcément les relations avec les gens. J'essuyai alors mes larmes d'un revers de manche :

-Et si je sais pas jouer aux échecs ?

Je faisais de l'humour alors que je venais de fondre en larmes, des fois je me surprenais moi-même.

Cecil entrevit une lueur dans le regard d'Evan. Bien, il n'était pas complètement perdu. Cecil prit un ton doux et mystérieux à la fois.

"Alors apprends les règles. Ou bien, invente les tiennes. Mais soit sûr que celles que tu choisis correspondent à ce que tu es. Il est toujours plus difficile de jouer avec des règles qui nous sont étrangères."

Cecil finit sa pinte et en commanda deux autres d'un signe de tête à la serveuse qui passait à côté. Evan avait commencé à boire, un verre de plus l'aiderait sans doute. Du moins Cecil l'espérait-il.

Soit Cecil le faisait exprès dans quel cas ce n'était pas drôle, soit il était complètement inconscient : je venais de me détruire en buvant trois pintes à suivre et en me faisant penser à mon père ! J'hésitai quelques secondes à prendre la boisson, puis, ne voulant pas blesser Cecil, commencai à la boire. Je ne savais ni quoi dire ni quoi faire et je ne fis que continuer à savourer cet alcool qui coulait dans ma gorge.

Bien. Il buvait. Certes l'alcool n'était pas une solution, mais il était temps qu'Evan apprenne certaines choses de la vie. Notamment la gueule de bois. Cecil espérait qu'il allait se sentir mieux. Il était un peu mal à l'aise car c'était de sa faute si le jeune ermite s'était perdu dans de sombres pensées. Tant pis, il faudrait bien qu'il affronte ses démons un jour ou l'autre. Cecil but quelques gorgées de sa bière et se dit que sa vessie le trahirait avant sa conscience.

Spoiler:

J'étais plongé entre l'envie de continuer à boire ce délicieux breuvage et la peur de finir comme mon père, lui que je comprenais maintenant quant à cette passion pour l'alcool. Je me fis cependant la remarque que Cecil devait bien boire de temps à autre et il était loin de ressembler au monstre qui ce faisait passer pour mon père, lui qui était si insouciant et si mauvais. J'aurais pus tout expliquer à Cecil sur mon père mais l'ambiance était déjà assez triste comme ça. Je regardai alors mon ami dans les yeux et lui souris sincèrement.

Un sourire. Cecil essaya de ne pas trop montrer son soulagement, même s'il avait l'impression que le chape de plomb sur ses épaules venait de s'envoler. Il soupira directement afin d'évacuer les dernières traces de tension et rendit son sourire à Evan. Il but une nouvelle gorgée de bière et la laissant doucement couler dans sa gorge afin de profiter le plus possible du breuvage houblonné. Il aimait vraiment beaucoup cette boisson et, au bout de la troisième pinte, sentait une douce chaleur émaner de son estomac.

Déjà plusieurs pintes avaient été vidées quand je commençai à sentir comme l'impression de voler, que aucun mal ne pourrait me toucher. C'était la première fois que mon esprit innocent ressentait ce doux sentiment d'invincibilité et de calme. Une envie de chanter me pris subitement, je me levai alors, posai un pied sur ce qui me servait précédemment de chaise et chantai à voix forte :

-IL ÉTAIT UN PETIT HOMME, PIROUETTEUH, CACAHUETTEUH.

Catastrophe. En d'autre circonstances, avec d'autres gens, Cecil aurait trouvé la situation hilarante. Mais pas là, dans un pub tranquille, en plein milieu d'après midi. L'espace d'un instant, Cecil se sentit fatigué. Très fatigué. Il soupira avant de se lever. Il prit un air sombre et profondément en colère.

"Evan, retiens-toi. Les gens n'ont aucune envie de te voir beugler ainsi alors calme-toi. Sois adulte un petit peu."