« Ô joie de la poursuite,
Emporté dans les cieux
Je m’approche du Vif,
Le vent dans mes cheveux »

Deux grands yeux bleus froids et distants lâchèrent le livre qu’une jeune fille tenait dans ses mains. Nocta Severna Styx Hesper Belvina Yaxley venait d’entrer en deuxième année à Poudlard. Elle avait reçu durant les grandes vacances un exemplaire de « L’histoire du Quidditch » que son oncle lui avait offert et qu’elle avait déjà lu deux fois. La raison n’était ni celle d’un anniversaire, ni celle d’une récompense, en fait c’était plutôt une menace déguisée : l’héritière Yaxley avait plutôt intérêt à décrocher le poste d’attrapeur cette année dans l’équipe de Serpentard si elle ne voulait pas s’attirer des ennuis chez elle. Elle en avait bien assez eu avec tous les avertissements de comportement de l’année passée à vrai dire… Mais cette année était une nouvelle année, Nocta avait déjà tout prévu. Elle intègrerait l’équipe de Poudlard et peut-être même le club de potions -comme son père le souhaitait-, si elle avait assez de temps. Adossée contre un des murs du hall, la jeune fille reprit sa lecture.

« Et la foule déjà commence
A m’acclamer
Mais hélas un Cognard
S’amuse à m’assommer. »

Ce poème écrit par un attrapeur, la jeune fille le connaissait par cœur puisque c’était le poste qu’elle souhaitait. Mais ce ne fut pas pour cette raison qu’elle interrompit de nouveau la lecture du livre de Kennilworthy Whisp. Deux élèves de Poufsouffle qu’elle connaissait de vue se poussait bruyamment devant une affiche à quelques pas d’elle. Les yeux mauvais et perçants de la jeune femme eurent tôt fait de repérer les auteurs de ce vacarme et elle referma le livre pour s’approcher d’eux. C’était quasiment imperceptible, mais Nocta avait grandi depuis l’année précédente, comme les enfants grandissent à cet âge : ses cheveux blonds étaient plus longs et elle faisait bien une tête de plus -ce qui lui permettait de s’imposer encore plus facilement. Elle poussa le premier blaireau d’un coup d’épaule et dit d’une voix glaciale :

« Poussez-vous de là ! »

L’un des deux élèves, visiblement ragaillardie par cette nouvelle année fut tentée de riposter mais son compagnon, souhaitant certainement s’éviter des ennuis si tôt avec les professeurs lui intima de laisser tomber et ils s’en allèrent. Le hall était un constant lieu de passage aussi l’incident semblait-il être passé inaperçu. Nocta put donc observer l’affiche devant elle et ses yeux s’écarquillèrent de satisfaction en lisant l’inscription « club de duel ». Elle ne put s’empêcher de sourire. Les Yaxley étaient réputés pour être particulièrement doués dans ce sport -Nocta avait assisté à plusieurs duels organisés pendant les soirées mondaines de l’aristocratie britannique au manoir- et le fabricant de baguette lui avait dit que le bois d’If était favorable à ces rencontres. En outre, la jeune fille rêvait de se mesurer à d’autres sorciers et sorcières. Instinctivement et sans même sans rendre compte, elle laissa glisser sa main sur une chaine d’argent au bout de laquelle se trouvait un pendentif du Yin et du Yang. Elle avait évidemment menti à son oncle quant à la provenance de ce bijou, se surprenant elle-même à le porter pendant les vacances. Et finalement elle y était attachée, le portant tout le temps sur elle, elle avait un nouveau tic qui était celui de jouer machinalement avec à chaque fois qu’elle réfléchissait ou qu’elle était songeuse. Ses yeux bleus ne lâchaient pas l’affiche en face d’elle, tandis que ses doigts fois glissaient sur le petit objet noir et blanc. C’était décidément une belle rentrée qui se profilait à l'horizon, du moins pour l'instant!

Nocta observait les couleurs vives de l'affiche avec des éclairs bleus et rouges. Elle se voyait déjà se mettre en garde et se précipiter sur un Gryffondor démuni... Ou encore mieux, sur l'un des idiots de sa propre maison! Comme cet incapable de Llewellyn, ou encore l'insupportable Shalford avec laquelle elle partageait sa chambre! Ce serait vraiment excitant de pouvoir se battre contre eux et les humilier. Elle commençait à sentir l'adrénaline poindre en elle et l'envie de prouver aux autres sa supériorité ne faisait que s'accroître. Bien sûr, elle s'était dit qu'elle allait prendre de bonnes résolutions cette année, comme celle de ne pas utiliser sa baguette à tout bout de champ sur d'autre élèves. Non pas qu'elle jugeait cela immature, mais plutôt qu'elle avait assez subi ces manquements à l'ordre durant ses vacances pour que lui passe l'envie de recommencer de sitôt. Les mots de son père avaient été clairs: pas vu, pas pris. Il se moquait pas mal de ce qu'elle pouvait faire, du moment qu'aucun professeur ne la prenne la main dans le sac, ce qui avait plutôt été un échec pour l'année dernière. Et elle était bien déterminée à faire plus attention cette année. Elle fut néanmoins ravi d'apprendre que le professeur Audlington n'était plus directeur de sa Maison. Il n'aurait plus les terribles a priori sur elle, et elle pourrait ainsi recommencer ses petits stratagèmes tranquillement sans craindre d'être surveillée ou même suspectée? Tant que sa ruse n'était pas percée à jour, elle se savait capable d'attendrir beaucoup de professeurs. A ce propos, elle n'avait pas encore rencontré le nouveau directeur de Maison, étant arrivée en retard à la répartition des premières années, elle n'avait pas non plus entendu le discours du directeur ou du Choixpeau. Son père avait fait prévenir l'école, comme quoi une urgence avait retenu la jeune Yaxley à son domicile: une urgence comme l'arrivée impromptue d'un employé du Ministère qui s'était mis en tête de jeter un coup d'oeil au Manoir. Il avait fallu cacher quelques petites choses et Nocta avait raté le Poudlard Express. Mais bien évidemment, ce n'était pas cette version des faits qui avaient été livrée. Quoi qu'il en soit, elle avait entendu quelques uns de ses camarades parler de ce nouveau directeur et la jeune fille, refusant d'avouer qu'elle ignorait de qui il s'agissait, n'avait pas demandé. Elle le saurait bien assez tôt de toutes façons. Mais elle s'éloignait du sujet principal de ses pensées qui était celui de ce nouveau club de duel. Elle reposa son regard sur l'affiche en cherchant un moyen de s'inscrire. Tandis que ses pupilles pâles couraient sur les lignes de la pancarte, ses doigts se crispèrent sur son collier en entendant une voix derrière elle:

"Vous songez à vous inscrire au Club de Duel, Miss Yaxley?"

Elle sursauta et fit volte-face. Elle connaissait cette voix calme et pourtant imposante. Et elle n'avait aucune envie de l'entendre de nouveau. Elle plissa ses yeux avec méfiance. Qu'est ce que ça pouvait bien lui faire qu'elle s'intéresse au Club de Duel? Il ne pouvait donc pas s'occuper de ses affaires? Elle ouvrit la bouche pour rétorquer froidement que cela ne le regardait pas, tout en serrant autour de ses doigts le petit objet noir et blanc. Et puis, soudainement elle se rappela avec horreur que c'était le professeur Vernet qui lui avait donné ce collier. Elle fut prise au dépourvu et si extérieurement une seule seconde de silence intervint, elle eut l'impression de rester muette durant cinq minutes. Elle fit en sorte de garder sa main fermée sur l'objet, en priant pour qu'il ne l'ait pas vu auparavant. Et parallèlement elle se souvint de ses "bonnes résolutions", comme celle de ne pas se faire remarquer dès le début de l'année par exemple. Elle referma donc la bouche et reprit après quelques fractions de seconde:

"En effet monsieur... je... je cherchais la façon de s'inscrire sur l'affiche."

Elle se racla la gorge pour reposer les yeux sur la dite affiche colorée. Elle n'avait pas pu s'empêcher de mettre un accent appuyé et ironique sur le "monsieur". Mais pourquoi avait-elle mis ce fichue collier à Poudlard, elle savait très bien qu'elle risquait de le croiser! Alors pourquoi? Elle se mordit la lèvre en ayant la maigre satisfaction d'avoir rabroué son insolence pour une fois. Au moins ne commençait-elle pas l'année par un premier avertissement du professeur Audlington!

« Rien de plus simple, la liste est là, il suffit juste d’inscrire votre nom dessus. »

La jeune fille reposa ses yeux bleus sur le bas de l’affiche et elle fut forcée de se rendre à l’évidence : elle avait été prise complètement au dépourvu, à tel point qu’elle n’avait même pas vu qu’il suffisait d’écrire son nom. Génial ! Elle était passée pour stupide aux yeux d’un professeur qu’elle détestait déjà et qui la détestai tout autant. Du moins c’était ainsi qu’elle voyait la situation. Nocta se mordit un peu plus la lèvre en sortant une belle plume de jais de son sac. Elle trempa la pointe dans de l’encre et inscrivit son nom en s’efforçant de faire comme si de rien n’était. La politesse aurait voulu qu’elle remercie le professeur Vernet pour lui avoir indiqué comment s’inscrire mais elle avait peur d’exploser si elle ouvrait la bouche maintenant. En fait elle prit bien son temps pour remplir la ligne de son écriture fine et penchée, et se retourner le plus tardivement possible. Peut-être qu’il se serait alors volatilisé ? Dans le doute, elle fit glisser son pendentif sous le col entrouvert de sa chemise blanche surmonté de sa cravate verte desserrée. Lorsqu’elle se retourna enfin, le professeur Vernet était toujours là, mais elle avait réussi à cacher son collier. Avec un peu de chance, il n’avait rien remarqué, et même si elle ne croyait pas trop à cette hypothèse, elle tentait du moins de s’en persuader.

« Vous voulez faire honneur à votre famille je présume. Une grande famille de duelliste. »

Nocta se sentit terriblement partagée entre deux sentiments intenses : une colère monstre en entendant cet homme traître aux yeux de beaucoup de Sangs-Purs, parler de sa famille et une fierté immense en l’entendant citer les qualités de duellistes des Yaxley. Elle avait, de plus, la désagréable impression que son combat intérieur se reflétait dans ses yeux, comme si le professeur d’arithmancie était capable de percevoir la difficulté qu’elle avait à se contenir. Il lui fallait répondre et elle ne savait sur quel pied danser. Elle se demandait surtout à quoi jouait l’homme en face d’elle avec cette question. Etait-ce une provocation, pour tester la jeune Nocta. Ou au contraire était-ce une question anodine ? Non, ça ne l’était pas et Nocta se refusait à répondre docilement. Ce professeur la mettait terriblement mal à l’aise et elle ne savait toujours pas pourquoi. Elle se surprit à glisser sa main sur son cou pour y saisir de nouveau le collier alors qu’elle réfléchissait et réussit à suspendre son geste au dernier moment : elle retira une poussière inexistante sur son col et répndit :

« C’est exact. Je veux prouver que je suis digne de mes ancêtres, tous duellistes. »

Elle faillit se retenir, mais les derniers mots lui échappèrent :

« Mais je ne vois pas en quoi cela vous intéresse… »

Elle avait pris une voix des plus méfiantes qui retranscrivait bien les doutes qu'elle portait. Cette question avait forcément un but, et si c'était réellement de la provocation, elle essaierait de ne pas céder. Non pas, encore une fois, par maturité, mais par préservation. La dernière fois tout cela s'était mal fini et elle avait passé des nuits à s'interroger sur des sujets qu'elle voulait maintenant oublier. Elle aurait par ailleurs poursuivi son discours sur la famille du professeur qu’elle avait déjà mentionnée lors de leur première rencontre si ses bonnes résolutions ne lui étaient pas revenues, une fois de plus en mémoire. Elle devait « bien commencer » l’année, cela semblait se compromettre…

Nocta observait toujours le professeur avec méfiance. Elle avait véritablement du mal à le comprendre, elle qui habituellement était d’une grande perspicacité. Mais c’était après tout normal, elle avait toujours eu du mal à percevoir les intentions de certaines personnes, à commencer par Nim et lui. Néanmoins, si le visage de Nocta était, comme à son habitude un masque de porcelaine que l’impassibilité portait, celui-ci glissa de son visage pour se massacrer en mille morceaux en entendant les paroles du professeur Vernet :

« Vos choix m’intéressent jeune fille. En tant que directeur de Serpentard, je me dois de connaître mes élèves. Et en tant que directeur du Club de Duel, je suis ravi de voir, l’intérêt que sa réouverture suscite. Vous ne pourriez me faire plus plaisir. »

Son excellente maîtrise de soi permit à la jeune fille de ne pas s’effondrer, mais c’est certainement ce qu’aurait fait toute personne normalement constituée. Nocta ne put retenir une exclamation qu’elle tenta de freiner à la dernière minute et qui apparut comme une sorte de petit cri de désespoir. Elle s’appuya d’une main sur le mur et chassa ses mèches blondes de l’autre. Comment avait-elle pu être aussi stupide ? C’était de lui que les élèves parlaient ce matin, et c’était pour cela qu’elle avait entendu d’autres élèves de première année parler d’arithmancie alors même qu’ils n’avaient pas encore accès à la matière. Mais comment avait-elle pu être aussi idiote ? *Mais c’est une blague, par pitié dites-moi que c’est une blague !* Au vu du visage sérieux du professeur, ça n’en était pas une. Mais la suite de ses paroles ne fit qu’accabler encore plus la jeune fille. Il était aussi directeur du Club de Duel ! Elle eut l’impression de suffoquer : elle qui voulait bien commencer l’année venait de se jeter dans la gueule du loup *Ou plutôt du lion* pensa-t-elle avec ironie en se souvenant du patronus argenté qui l’avait mis mal à l’aise la dernière fois. Cette année allait être cent fois pire que la précédente ! Comment pourrait-elle rester calme face à ses remarques ou reproches ? Elle respectait le professeur Audlington car elle adorait sa matière (elle était d’ailleurs la meilleure) et qu’il avait l’estime de son père. Mais comment pourrait-elle se comporter de la même façon avec lui, alors que leur dernière discussion faisait l’effet d’une blessure à la fillette ? Elle s’était rassurée cet été en se disant qu’elle s’arrangerait de toutes façons pour ne pas le recroiser et qu’elle ne prendrait jamais des cours d’arithmancie, voilà tout ! Et maintenant il devenait Directeur de Serpentard et gérait le Club de Duel ! A croire que tout jouait contre elle pour ce début d’année. Son absence de réponsdu se faire ressentir car le professeur Vernet reprit :

« Je suppose que je vous verrais donc la semaine prochaine pour la première séance. »

Comme si elle sortait du pire de ses cauchemars, elle leva ses yeux bleus vers lui : elle dut secouer la tête pour dissimuler son profond malaise, même si elle se doutait bien qu’il s’en était aperçu. L’impassibilité de la jeune fille tenait en ceci qu’elle arrivait à imaginer à peu près toutes les situations et ainsi prévoir sa réaction détachée, même lorsque cela la mettait dans une colère noire. Or, pour ce cas-ci, elle ne s’y était absolument pas attendu et ne l’avait pas vu venir ! Elle s’était reprise, mais beaucoup trop tard ! Elle se maudit intérieurement et durant un instant, fut tenté de tout laisser tomber, de dire que finalement ses entrainements de Quidditch seraient déjà bien assez épuisants et qu’elle n’aurait pas le temps. Elle ouvrit résolument la bouche et son regard croisa celui du professeur Vernet. Elle s’abstint. Elle ne pouvait pas faire ça. Elle ne pouvait pas faiblir, et surtout pas devant lui ! Elle était la fille d’Arcturus Yaxley bon sang ! La nièce d’Herbert Yaxley, l’un des plus grands Mangemorts et ancien duelliste de renommée, elle ne pouvait leur faire un tel affront ! Ses yeux brillaient de colère de s’être ainsi laissée surprendre -une fois de plus- par le professeur Vernet et elle rougit de son hésitation :

« Evidemment ! lança-t-elle plus sèchement qu’elle ne l’aurait voulu, il fallait qu’elle se contienne maintenant qu’il était son directeur de Maison- Quel dommage pour le professeur Audlington, c’était un excellent Maître des Potions. »

Elle avait faillit rajouter « et un Sorcier reconnu par les Sangs-Purs, mais elle se retint pour la énième fois. Par ailleurs, elle insinuait clairement qu’elle ne lui reconnaissait aucune valeur de Sorcier et même si elle savait que c’était faux -l’exemple du patronus le prouvait à lui tout seul- elle avait besoin de le haïr, c’était la seule relation qu’elle avait avec autrui de toutes façons. De nouveau ses yeux glissèrent sur l’affiche et un nom attira son attention : « Llewellyn Abernathy ». L’écriture était maladroite, presque tremblante, un sourire mauvais éclaira son visage : il n’y avait peut-être pas que des mauvais côtés à ce début d’année finalement…

« Je n’ai pas eu la chance de bien connaître le professeur Audlington, mais s’il est parti, je suppose que c’est qu’il avait mieux à faire que d’enseigner à Poudlard. »

Mais la jeune Nocta n’écoutait ces paroles que d’une oreille distraite. Elle avait toujours les yeux rivés sur le nom mal calligraphié de son « camarade » de maison Llewellyn. Par ailleurs, une série d’images bien peu représentatives d’un quelconque duel se superposèrent dans son esprit à l’imagination restreinte, qui se fondait majoritairement sur les contes parfois assez glauques qu’elle aimait lire sur la période médiévale. C’était ce genre de combat qu’elle s’imaginait mener, des combats proches de ceux qu’elle avait pu voir chez elle. La jeune fille ne se posait pas la question de l’âge ou de la puissance, ne réalisant guère qu’elle n’était pas -du moins pas encore- capable de jeter des sortilèges aussi impressionnants et dangereux que les individus -souvent de grand duellistes- qui se livraient combat au Manoir. Mais ses rêveries furent vite dissipées par les paroles de son cher nouveau directeur de Maison.

« J’ai cru comprendre que vous aviez eu des soucis familiaux le jour de la rentrée. Rien de bien important j’espère. Rien qui ne nécessite que j’envoie un hibou à votre père pour en savoir plus. »

Ces quelques mots lui firent l’effet d’une douche froide, que dis-je ! glaciale. Le professeur les avait envoyé avec force, et Nocta les reçu de plein fouet. Elle ouvrit de grands yeux en s’exclamant :

« Non ! »

Elle n’avait pas réussi à se retenir. Décidément, son contrôle d’elle-même laissait détestablement à désirer en présence du professeur Vernet, alors que c’était bien l’un des rares pour lesquels il devenait vital. Son sourire s’évapora de ses lèvres aussi vite qu’il était apparu. Si elle ne s’était pas mise à rêvasser en pleine conversation, elle aurait peut-être réussi à mieux gérer la délicate situation dans laquelle elle se trouvait actuellement. Il fallait absolument limiter les contacts entre son père et le professeur Vernet : d’une part parce que lorsque son père apprendrait le départ du professeur Audlington, il serait furieux. Or sa colère se répercutait toujours, de près ou de loin sur Nocta. D’autre part, si pour l’instant il était trop tôt dans l’année pour reprocher quoi que ce soit à l’attitude de la jeune Serpentard. Par ailleurs, cette « urgente » histoire de famille n’était rien d’autre qu’une piètre excuse pour contourner certaines règles du Ministère, il était par conséquent hors de question que le professeur Vernet vienne fouiller de ce côté-ci et interroger Arcturus Yaxley là-dessus. Il était évident que ce dernier demanderait à Nocta pour quelles raisons ce nouveau directeur avait ainsi voulu en savoir plus et Nocta n’avait aucune espèce d’envie de parler de tout ça avec son père. Il la connaissait malheureusement trop bien et ferait vite le lien avec tous les petits détails semés jusque-là. Comme le collier par exemple. Comment Arcturus et Herbert Yaxley réagirait-ils en apprenant que Nocta portait le collier donné par un professeur fils d’une traîtresse aux yeux de leur société ? La jeune fille ne voulait même pas l’imaginer. Tout l’inquiétude de la situation pesait sur ses épaules et dans son regard mais elle réussit néanmoins à se reprendre.

« C’est que… c’est vraiment compliqué, des histoires familiales comme il y en a partout mais rien de grave, je vous remercie. Ce n'est pas la peine de contacter Père -elle se reprit maladroitement- je veux dire mon père. Il est très occupé par son travail en ce moment.»

Cela ne le satisferait pas, certainement pas. C’était trop mystérieux, trop maladroit. Il fallait qu’elle trouve autre chose, un autre sujet et vite. Elle reprit avec autant de tension dans la voix :

« Hum, donc le Club de Duel se réunira une fois par semaine… Quel jour ? Par rapport aux entraînements de Quidditch, je veux dire... ? »

Piètre essai de rattrapage, mais la jeune fille savait la nécessité d’écarter le professeur Vernet de ses sujets familiaux et espérait attirer son attention vers son fameux Club de Duel…

Lamentable. Sa tentative pour détourner l'attention du professeur était tout simplement lamentable. Pourquoi excellait-elle dans les domaines du mensonge et de la tromperie si c'était pour perdre ses moyens devant quelqu'un comme le professeur Vernet? Parce que c'était justement face à son nouveau directeur de Maison qu'elle avait le plus besoin de ses facilités à retourner les situations et à mentir. Nocta ne se reconnaissait absolument pas lorsqu'elle était avec le professeur d'arithmancie, elle avait l'impression d'être quelqu'un d'autre et cela l'effrayait. Elle était intelligente et faisait en sorte, évidemment, de ne plus tendre le bâton, sachant très bien que ce professeur n'aurait aucun scrupule à le saisir. Elle devait donc maintenant s'obliger à refréner ses élans d'insolence. Elle n'avait aucune envie de jouer, du mois elle n'en avait plus l'envie: sa dernière discussion lui avait fait comprendre qu'elle serait perdante. Le nouveau directeur de Poudlard semblait en effet complètement disposé à contacter son père si le besoin s'en faisait sentir, il fallait donc que Nocta se fasse la plus discrète possible cette année et malheureusement ce n'était ni dans sa nature, ni dans ses projets.

"J'ai aujourd'hui même une entrevue avec les différents capitaines des équipes de Quidditch afin de s'accorder sur les heures de pratique. Ne vous inquiétez pas, nous ferons en sorte que rien ne se chevauche."

La jeune fille se mordit la lèvre: il n'avait fait comme si de rien n'était mais Nocta savait qu'il n'était pas dupe. Mais pour une raison qu'elle ignorait, il avait choisi de ne pas pousser plus loin ses interrogations. C'était étrange. La logique de l'héritière Yaxley était telle qu'elle ne pouvait comprendre une décision semblable. Elle agissait tout le temps soit par intérêt, soit par crainte. Et comme elle savait que le professeur Vernet ne la craignait pas -malheureusement-, ce ne pouvait être -selon elle- que par intérêt. Ce qui la poussait en fin de compte à être encore plus méfiante. Qu'est ce qu'il lui voulait? Pourquoi jouait-il son jeu alors qu'elle avait elle-même échoué lamentablement sa mascarade? Evidemment, une part d'elle-même était rassurée d'abandonner ainsi les sujets sensibles de sa famille, mais elle ne pouvait s'empêcher de trouver tout ça louche. Elle hocha la tête sans quitter son air froid et encore des plus méfiants. Au moins le gêne et la panique avait quitté son visage de poupée.

"Vous ambitionnez de rejoindre l'équipe de Serpentard? Avec votre carrure, je vois une attrapeuse, n'est-ce pas?"

Et voilà qu'il lui tendait une autre perche, comme si lui aussi voulait laisser ce sujet de côté. La petite surdouée l'observait attentivement. Elle voyait le mal partout, tout simplement parce qu'elle agissait ainsi, la gentillesse ou la sympathie ayant un autre but que le profit lui était totalement inconnu et ce, même au sein de sa famille. Sa méfiance n'avait de cesse de s'accroître. *Je vais finir paranoïaque* se dit-elle. Se souvenant rapidement de la question qui lui avait été posée, elle s'éclaircit la gorge pour répondre, mais fut incapable d'abandonner sa méfiance renouvelée par les dernières paroles de son directeur de Maison.

"En effet. J'ai énormément travaillé pour atteindre ce but. J'obtiendrais le poste."

Vantardise et orgueil me direz-vous. Certes, mais pas que. Nocta avait pleinement conscience de ses capacités, du privilège qu'elle avait -et qu'elle considérait comme normal- d'être né dans une famille attachée au Quidditch et du travail qu'elle avait fourni pour entretenir toutes ses compétences. Sans oublier l'argent de son père qui lui avait permis d'obtenir le meilleure balai de Quidditch du monde. Elle avait conscience de ses capacités et en jouait naturellement: pourquoi nier qu'elle était douée? Elle mourrait d'envie d'écraser les autres, de se sentir reconnue et de prouver la supériorité des Sangs-Purs. Et pour cela, elle s'était entraînée durant les vacances sous l'oeil sévère et intransigeant de son oncle: elle ne pouvait échouer, elle ne pouvait pas se permettre de ne pas être sélectionnée. Car cette assurance et cet air orgueilleux cachait aussi une peur titanesque de l'échec et de la déception. Pas la sienne, non, elle n'avait que peu d'importance à ses yeux, mais celle des Yaxley. Il en allait de même pour les duels, elle ne pouvait se permettre de décevoir Arcturus et Herbert Yaxley et par-delà la déception, il y avait la peur. La seule reconnaissance que pouvait avoir un individu dans son milieu était celui de l'excellence, l'échec n'était pas toléré, mais il était surtout châtié. Nocta en avait fait plusieurs fois les frais, elle ne voulait pas recommencer. Elle admirait autant qu'elle craignait son géniteur, et le frère de ce dernier. La jeune fille secoua discrètement sa tête pour se débarrasser de ces pensées. Elle fit glisser une fine mèche derrière son oreille avant de reprendre.

"Et je pourrais en plus participer au club de duel puisque les horaires ne sont pas les mêmes. C'est une bonne nouvelle."

Elle hocha la tête comme pour s'en convaincre elle-même. C'était une nouvelle qui ajouterait sur ses frêles épaules la peur de l'échec, mais contrairement au Quidditch qui était médiatisé et largement officialisé à Poudlard, elle n'était pas obligée de tenir informé les Yaxley de ses agissements dans ce club. Sauf si le professeur Vernet s'en chargeait. Pour ce qu'elle en savait, il en était certainement capable: la méfiance voila de nouveau les yeux bleus de la jeune fille, posés sur le directeur de Serpentard.

« Je n’en doute pas »

La jeune Serpentard fronça les sourcils : était-il sérieux ou se moquait-il d’elle ? Elle ne savait vraiment pas sur quel pied danser avec le professeur d’arithmancie. Elle lui avait vu plusieurs visages, certains pouvant être particulièrement froids, mais là il semblait croire réellement ce qu’il affirmait. Mais à quoi bon s’interroger plus en avant ? Nocta ne saurait probablement jamais ce qu’il pensait d’elle. Elle ne savait même pas s’il parlait de son travail ou du fait qu’elle obtiendrait le poste… peut-être les deux ? Peut-être aucun, qu’importe… La jeune fille se promit que la prochaine fois qu’elle croiserait ce détestable personnage -ce qui ne tarderait certainement pas puisque, en plus d’être l’instigateur du club de duel il était aussi son directeur de maison- elle ne flancherait pas comme elle venait de le faire. Pour commencer, elle allait se débarrasser de ce détestable collier et suivre enfin les conseils de son oncle -c’est-à-dire de le brûler ou de le jeter par la fenêtre- et faire en sorte de retravailler un peu mieux les mensonges qui concernaient sa famille. Si pour certaines personnes, mentir était un moyen de se débrouiller dans des situations délicates, Nocta avait toujours appris à en user comme d’un art pour se préserver, grâce à sa mère surtout. Elle se servait du mensonge depuis qu’elle était toute petite, presque comme un des nombreux exercices pour se tenir en société ou pour manger convenablement et ce en ne respectant qu’une seule règle : ne jamais mentir aux Yaxley. Elle n’avait pas dicté cette règle par respect, mais par mauvaise expérience, son père étant un excellent legilimens, le moindre de ses mensonges avait été immédiatement repéré et la sanction s’était toujours annoncée sévère. Elle avait réussi à mentir à son oncle presque par miracle à propos du collier…

« Nous nous retrouverons donc la semaine prochaine pour la séance d’introduction au Club de Duel. Je vous souhaite une bonne journée. »

La jeune fille passa une main dans ses cheveux blonds pour s’obliger à quitter ses pensées et reprendre le cours de la conversation. Elle offrit un léger sourire forcée à son cher nouveau directeur et répondit de sa voix claire :

« Merci professeur, vous de même. »

Elle suivit le jeune homme des yeux lorsque celui-ci rompit la foule d’élèves de toute maison et son sourire s’effaça progressivement. La petite blonde se tourna de nouveau vers l’affiche du club de duel : elle prouverait à tous qu’elle était la meilleure. Et elle ferait en sorte de ne plus se trouver dans une position aussi désagréable que celle qu’elle venait de subir par la même occasion. Décrochant le collier blanc et noir de son cou, elle le fixa longuement au milieu des élèves qui chahutaient autour d’elle. Elle ne pouvait se résoudre à l’abandonner, et cela la frustrait plus qu’autre chose. Rageusement, elle finit par l’enfoncer dans sa poche et tourna les talons pour rejoindre la salle commune de Salazar.