Enfin, le soleil disparaît derrière les montagnes, plongeant Poudlard dans les ténèbres. J'assiste à la tombée de la nuit avec un sentiment d'exaltation et d'impatience qui ne cesse de croître. L'ombre s'installe, s'insiuant partout comme un serpent à la recherche de sa prochaine victime. Ah, quelle nuit parfaite ! Depuis toutes ces années, je n'ai jamais oublié le Maître. J'ai toujours suivi ses préceptes, adulé son nom dans le secret de mon âme. Et voilà venu le temps de le venger.

J'ai réuni un grand nombre de détraqueurs, issus de divers lieux plus ou moins éloignés. Je les ai convaincus de me suivre, pour se venger eux aussi. Ils ont faim, si faim... Depuis leur exil, ils ne se repaîssent que d'âmes déjà détruites. Ils veulent de nouvelles proies et je les leur founis sur un plateau. Ils ne sont pas nombreux, mais j'espère que le fait de les lancer par surprise suffira à leur offrir quelques victimes. Et plus il y en aura, plus je serais satisfait. Mais n'allons pas trop vite en besogne. Il faut savoir se contenter de ce que l'on a.

J'ai choisi ce jour car ce sont les portes ouvertes à Poudlard. Il y a du monde, à l'intérieur. L'école accueille de nombreux sorciers qui passent la nuit entre ses murs, empreints de nostalgie. Quant à moi, j'espère bien interrompre les réjouissances pour un spectacle bien plus exaltant ! Il était tard mais le portail était resté ouvert, pour ces stupides portes ouvertes... Alors j'entrai suivi de mes troupes... Qui se dispersèrent dans la nuit.

Une ombre plane près du château. Tout aussi sombre que la silhouette du monument qui la surplombe, la créature n'émet pas un son. Elle est aussi silencieuse que la mort qu'elle semble incarner. Et sur son passage, les créatures se taisent. Et sous ses doigts décharnés, la porte de la serre se recouvre de givre. Elle s'avance, traînant un cauchemar à sa suite et plongeant le monde dans les ténèbres.

Une journée simple, comme tant d'autre. Une journée passée à lire, à étudier, à penser. Comme il le faisait souvent. Une journée solitaire, bercée par le silence ou le crissement sensible d'un vieux gramophone. Une journée de calculs, de poèmes et de souvenirs. Une journée mélancolique quelque part, lorsque l'activité se distend et les pensées s'agitent. Une journée peut-être pas si ordinaire...

Cecil avait, cette après-midi là, écouté une fois encore le "Lac des Cygnes", de Tchaïkovski, une pièce qu'il écoutait en vérité assez rarement. Et sans doute cette journée n'était-elle pas si ordinaire, car il en avait passé une bonne partie à éviter de penser à cette soirée, deux jours plus tôt, au cours de laquelle il s'était ridiculisé devant Camille. Et forcément, plus il essayait de ne pas y penser, plus l'obsession se faisait grande, pressante, parfaitement inévitable. Bien sûr, il s'occupait, plus encore que d'ordinaire, fuyant l'ennui comme la joie devant un Détraqueur. C'était pour cela qu'il avait choisi pour cette après-midi là le "Lac des Cygnes", car, consciemment ou inconsciemment, il espérait trouver dans cette tragique histoire un peu de réconfort émotionnel.

Il avait lu et étudié donc, sans toutefois arriver à mettre le doigt sur ce qui le tracassait, car outre la débâcle de sa rencontre avec le troublant professeur de Métamorphose, une persistante impression de malaise toquait de temps à autre à l'intérieur de son crâne depuis qu'il s'était levé, sans pour autant qu'il n'arrive à sentir pourquoi. Comme une présence dans notre dos qui s'esquive chaque fois que nous nous retournons. Une présence oppressante que l'on finit par oublier mais qui reste là, comme une ombre devenue presque amicale, comme le revers d'une pièce dont nous persistons à ne voir qu'une face. Un sentiment extraordinaire au cours d'une journée qui ne l'est pas. La perspective inconsciente d'un évènement marquant.

Mais non, il avait lu et calculé et écouté la musique sans se résoudre à chercher la cause de son malaise. Il avait fui peut-être, sans s'en rendre compte, sans même l'avoir voulu, mais seulement parce que son esprit et son cœur le poussait vers l'avant, vers un avant ignorant, inconscient. Un avant qui n'était même pas réconfortant. Pas tant que cela.

Et ce soir-là comme chaque soir, Cecil était sorti de son bureau, afin de profiter de la douceur des nuits estivales écossaises. Le malaise était toujours présent, mais non, cette promenade allait lui faire du bien. Un peu d'air frais, une brise douce, un ciel étoilé. Quoi de mieux pour se vider l'esprit. A peine sorti du château, il s'était retourné afin de contempler le spectre majestueux de Poudlard, et une fois de plus, il se dit que ce lieu était magique. Mais pas de la magie des sorts et des potions. De celle que seul le cœur peut sentir. De celle qui empreint les âmes et inspire les êtres. De seul qui exalte l'enfant et apaise l'adulte.

Cecil s'était dirigé vers les serres, inconsciemment sans doute, poussé par l'étonnante impression qu'il devait y être ce soir-là. Non pas qu'il appréciait particulièrement ce lieu, mais il reconnaissait aux plantes une exotique beauté, bien lointaine de la partition compliquée des morceaux qu'il savourait sur son vieux gramophone. Il avait aperçu la petite Salamandre, Nim Landers, de loin, et l'avait suivie. Peut-être voulait-il savoir ce qu'elle faisait là. Peut-être au fond ne voulait-il pas être seul. Il la suivait donc lorsque qu'un souffle froid lui avait saisi les chevilles. Une ombre s'était installée sur son cœur et, après quelques instants d'arrêt, il avait repris sa marche de plus belle.

Car sous la lune de ce soir de juin, ni embarrassante rencontre, ni délice étoilé. Ni tiédeur subtile, ni silence heureux. Seul le froid. Seul un mot.

Peur.

Nim était entrée dans la serre depuis quelques instants. Cecil s'arrêta petit à petit. Il s'inquiétait sans doute pour rien, après tout, que pouvait-il arriver. C'était Poudlard, l'un des endroits les mieux protégés de Grande-Bretagne. Il frissonna, trouvant son inquiétude ridicule. Tellement ridicule qu'il en aurait souri. Souri. Il ne le voulait pas. En fait non, il ne le pouvait pas. La morsure insidieuse du froid monta le long de ses jambes, glissant autour de son bassin, jusqu'à son torse et son visage, lui faisant monter les larmes aux yeux. Il semblait pris dans un manteau glacial, un manteau intangible, mais lourd, si lourd.

Cecil entendait les battements de son cœur. Il sentait son sang pulser dans ses veines, de sa poitrine dans toutes les directions. Porteur de chaleur, porteur de vie. Puis soudain, plus rien. Un bref instant, un quart de seconde à peine, il n'entendit plus rien. Ni son cœur battre, ni la nuit vivre. Seul le froid. Et la peur.

Puis le silence. Il entendit le silence, et le froid pénétra jusqu'au plus profond de son être. Tout semblait s'être arrêté. La Terre, les vents, la vie. Et comme dernier témoin, le silence, l'absence.

Nim.

Quelque chose n'allait pas, le silence le hurlait, le froid l'imprimait brûlant sur sa peau. Nim était en danger. Cecil se précipita à l'intérieur de la serre. Il ouvrit la porte d'un coup de baguette magique et le claquement fit trembler toute la structure. Les plantes diverses étaient nombreuses, gigantesques. Cecil ne voyait rien d'autre qu'un mur vert foncé. Mais il sentait, jusque dans son âme, que quelque chose n'allait pas. Le silence était revenu, plus oppressant que jamais, décuplant l'effet pernicieux du froid. Cecil tremblait.

"Nim!"

Son cri perça le silence. Cecil espérait qu'elle lui répondrait. Dieux, qu'elle lui réponde!

Un craquement. Sur la gauche. Cecil régit immédiatement. D'un coup de baguette, il brisa une des lucarnes non loin de lui, espérant que le bruit perturbe quiconque empêchait la petite de parler. D'un second sort lancé alors même qu'il se mettait à courir, il fit léviter les éclats de verre qui vinrent fusionner en un aigle transparent qui suivit Cecil. Le professeur s'approchait de l'endroit où il avait entendu le craquement, même si les plantes denses l'empêchaient de voir vraiment où il allait. Il bifurqua vivement, mais s'entrava sur une racine saillante qu'il n'avait pas vu et tomba au sol.

Il vit alors Nim, étendue sur le dos un peu plus loin. Elle fixait avec un effroi terrible quelque chose que Cecil ne pouvait voir. Le professeur se releva et se précipita vers elle tandis que son aigle fondait dans la direction du regard de Nim. Cecil se mit devant la petite et fit face à son adversaire qu'il pouvait désormais voir.

Un Détraqueur. Un simple Détraqueur. Cecil en fut presque soulagé. Certes Nim n'aurait jamais pu s'en sortir seule, mais pour lui, cela ne représentait aucune difficulté. Toutefois, la présence d'une telle créature dans le château était étonnante. Il lui fallait être prudent. Tandis que l'aigle occupait le Détraqueur en le lacérant de ses serres cristallines, Cecil se tourna vers Nim.

"Tout va bien, petite Salamandre. Je suis là. Ce n'est qu'un Détraqueur. Je vais m'en occuper."

D'un geste expert, Cecil leva sa baguette. Il plongea au plus profond de ses souvenirs afin de trouver celui qu'il utilisait pour invoquer son Patronus. Puis, il lança le sort d'une voix forte et inflexible.

"Spero Patronum."

Cecil sentit la chaleur de son lion réchauffer son corps autant que son âme. Il puisait dans ses souvenirs, autant que dans la petite main agrippée sur sa manche. Nim avait confiance en lui, il ne pouvait pas la décevoir. Il se sentait bien mieux qu'il ne s'était senti depuis qu'il avait quitté le château. Il se sentait en position de force, rayonnant de pouvoir. Son Patronus était une de ses plus grandes fiertés ; puissant, imposant, majestueux. Voir cet animal argenté, reflet de son âme, le remplissait de joie et d'orgueil. Il prouvait ainsi aux autres que sa confiance n'était pas de la prétention.

D'un mouvement souple de baguette, il ordonna à son Patronus de bloquer le Détraqueur dans un coin. Il lui fallait un peu de temps pour s'occuper de Nim. Il se tourna vers la fillette qui s'agrippait toujours à lui. Elle semblait en état de choc, incapable de parler. Sa manche était déchirée et son bras méchamment écorché. Il fallait s'occuper de cela. Cecil s'agenouilla devant elle. Une part de l'esprit toujours concentré sur son Patronus, il leva sa baguette pour faire apparaitre un bandage et nettoyer la plaie. Ses voyages l'avaient immanquablement amené à apprendre quelques sorts de premiers secours. Cela ne lui prendrait que quelques minutes. Il sourit gentiment à Nim et lui parla d'une voix douce, qui se voulait rassurante.

"Tout va bien se passer, comment te sens-tu? Je vais m'occuper de cette blessure. Elle est un peu profonde, mais tout ira bien. Je vais t'emmener à l'infirmerie. Tu n'auras pas de cicatrice."

Faisant preuve d'une douceur presque paternelle, il enveloppa la blessure de la fillette avec le bandage qu'il avait fait apparaître. Il jeta un coup d’œil à la branche cassée. Il ne reconnut pas l'arbre, mais espéra qu'il n'était pas toxique.

"Comme je te le disais, cette créature est un Détraqueur. Tu le sais sans doute déjà, mais ces êtres produisent un brouillard froid et absorbe toute trace de bonheur ou d'espoir. Lorsqu'on a pas l'habitude, en rencontrer un peu être une expérience traumatisante, mais tu verras, un carré de chocolat et tu te sentiras mieux."

Une fois le bandage terminé, Cecil se releva. Il regarda la créature maudite qui essayait de combattre l'aura lumineuse du Patronus. Le professeur reporta son attention vers la petite. Il devait la réconforter un peu avant d'espérer pouvoir la sortir de là. Il prit un air grave.

"Il y a un moyen de les repousser. Le Patronus. Tu apprendras un jour à faire ce sort. Mais tu peux d'ores et déjà faire un petit exercice pour te sentir mieux. Essaie de te rappeler d'un souvenir heureux. Le plus heureux que tu aies. Laisse-le t'imprégner et tu verras que ça ira mieux. C'est le même principe pour lancer le sort. Il te faut t'emplir d'un sentiment parfaitement positif, et les souvenirs sont souvent un bon moyen d'y parvenir. Les Détraqueurs sont des créatures qui absorbent ces sentiments positifs, mais, paradoxalement, ils ne peuvent rien faire contre. Il suffit juste de trouver la force en soi. La force de vouloir, d'espérer. Une force inexpugnable et complète que beaucoup mettent des années à acquérir."

En voyant la gamine frissonner, Cecil se rendit compte que lui aussi avait à nouveau froid. Mais pourquoi? C'était impossible. Il se tourna vers le Détraqueur. Son lion n'était plus là. Pourquoi était-il parti? C'était impossible. Cecil était resté concentré, il n'avait pas pu disparaitre. Impossible. A moins que... Non...

"Spero Patronum!"

Rien ne se produisit. Pas même la plus petite once de lumière argentée. Cecil essaya de plonger dans sa mémoire à la recherche d'un souvenir heureux, mais il avait froid. Tellement froid. Il en oublia Nim, son rôle de protecteur. Il ne voyait plus que l'absence, l'échec. Il essaya de relancer son Patronus, une fois, puis deux, puis trois. Il essaya tant bien que mal en hurlant de plus en plus fort l'incantation. Il ne pouvait pas échouer. Pas ce sort là. Pas le Patronus... Où était son lion? Il ne l'avait jamais trahi. C'était tout simplement impossible. Il avait si froid.

Cecil hurla de rage et de frustration. Il échouait. Il ne voyait plus rien. Il perdit tout contact avec la réalité. Il agita sa baguette, lançant des sortilèges dans tous les sens.

"Incendio! Impedimenta! Expulso! Stupéfix!"

Un arbre prit feu, plusieurs vitres se brisèrent, le Détraqueur ralentit un instant avant de reprendre son inexorable avancée. Il semblait se nourrir de la détresse de Cecil. Le professeur essaya des sorts plus puissants, des maléfices compliqués. Il tenta de geler le Détraqueur dans un étau de glace, mais la créature la brisa sans effort. Il tenta de l'enfermer dans une barrière magique, mais d'un revers de sa main décharnée, le Détraqueur la fit disparaitre.

"Incendio! Incendio! Endoloris!"

Cecil avait perdu tout esprit rationnel. Il lançait les sorts qui lui passait par la tête, mais rien n'y faisait. Ni bonheur, ni espoir. Le Détraqueur se nourrissait de toute cette magie emplit de tristesse. Cecil était en train de perdre.

Lorsque les deux Détraqueurs vinrent rejoindre le premier, Cecil crut qu'il était perdu. Il allait mourir et Nim avec lui. Il avait failli.

Pourtant, il petite main attrapa la sienne. Cecil baissa la tête vers le petite. Une lueur de concentration farouche brillait dans ses yeux. Elle ne comptait pas abandonner aussi vite. Elle faisait preuve d'une étonnante force de caractère et ce fut cela plus que l'instinct de survie qui poussa Cecil à la suivre dans sa fuite. Il ne devait pas abandonner, même s'il ne voyait aucune issue.

D'un coup de baguette, Cecil enchanta les plantes gigantesques dont les tiges et les lianes vinrent s'entrelacer, bloquant ainsi le passage. Cela ralentirait un peu les Détraqueurs. Si seulement quelqu'un pouvait arriver à ce moment-là. Non. Personne ne devait venir, Cecil ne supporterait pas la honte d'avoir à recourir à une aide extérieure pour s'occuper de quelques Détraqueurs. Il glissa soudain sur une flaque gelée, emportant Nim avec lui. Il se releva rapidement, mais un arbuste à épines lacéra sa robe de sorcier et lui fit perdre le ruban qui tenait ses cheveux.

Cecil entraina Nim dans une allée qui longeait le seul mur de pierre de la serre. Arrivé au bout, il se rendit compte que c'était un cul-de-sac. Il se mit à trembler. N'osant pas regarder Nim, il lui lâcha la main et se mit à enchainer les incantations afin de créer diverses barrières magiques autour d'eux. Précautions futiles, et il le savait mais il espérait gagner du temps. Le plus possible. Mais déjà, à l'autre bout de l'allée, les Détraqueurs apparaissaient.

Les larmes se mirent à rouler sur les joues de Cecil. Il avait échoué, ils allaient mourir. Il pensa à toutes ces expériences qu'il ne vivrait jamais, à toutes ces personnes qu'il ne rencontrerait pas. Il pensa à Nim qu'il avait été incapable de protéger de la mort, du désespoir. Cecil la vit se recroqueviller par terre en voyant le Détraqueur arriver devant elle. Cecil voulait mourir. Il préférait mourir plutôt que de la voir s'éteindre avant lui. Pire, elle allait perdre son âme et devenir une coquille vide, une petite Salamandre qui a perdu son étincelle. Elle n'aurait pas vécu longtemps, et c'est cela plus qu'autre chose qui brisa le cœur de Cecil.

Les deux autres Détraqueurs s'approchèrent de lui. Cecil baissa sa baguette. Il était vaincu. Sa tête tomba, ses cheveux masquant son regard. Il ne voulait pas voir le visage horrible de la créature lorsqu'elle lui prendrait son âme. Il ferma les yeux et attendit la fin.

Mais les Détraqueurs ne voulaient pas en finir de si tôt. L'un deux leva sa main putréfiée et prit Cecil au cou, le plaquant en hauteur contre le mur. Puis, les deux se mirent à se nourrir de ses souvenirs heureux. Cecil les sentit s'échapper de lui alors qu'il revivait les pires moments de sa vie. Il hurla, ne supportant plus ce malheur. Il avait perdu, il devait accepter le châtiment qu'il méritait.

La joie. Son enfance. Le Quidditch. Les rencontres. Les succès. L'amour. Envolés. Ne restait plus que la noirceur. Pourvu que la conscience ne tarde pas à lui échapper...

La main sur sa gorge était glacée. Morte était le terme exact. Cecil aurait donné tout ce qui lui restait pour ne plus la sentir. Plus que la gorge qu'elle serrait, c'était son cœur que la créature tenait dans sa paume, comme le chasseur qui vise la biche de son fusil. Comme lorsque lui-même avait tenu la vie d'un homme entre ses mains. Lui avait alors frappé, plusieurs fois, jusqu'à ce que le silence revienne une fois de plus. Il avait fait taire une voix à jamais.

Alors qu'enfin, la créature lui prenne sa voix, pour qu'il ne puisse plus hurler, puis appeler à l'aide, pour qu'il s'éteigne. Pressé contre le mur, il se sentait comme enchaîné à une vie dont il ne voulait plus, une vie à laquelle il avait renoncé. Une vie qu'il avait fui. Il était conscient, peut-être même bien plus qu'il ne l'avait jamais été, mais il ne pouvait rien faire de son corps. Sa tête était irrémédiablement lourde, ses mains à jamais immobiles. Il ne sentait pas la pression sur sa gorge, mais seulement le froid, et une question qui pulsait dans tout son être.

Qui était réellement le monstre?

La créature lui ramena à l'esprit images, sensations, odeurs, et Cecil sut ce qu'elle voulait lui faire comprendre. Elle le reconnaissait, presque comme son égal. Elle le fit se souvenir de toutes les fois où lui aussi avait absorbé la chaleur et la joie, le bonheur et l'espoir chez ceux qui l'entouraient. Lorsqu'il rabrouait, rabaissait, dénigrait. Lorsqu'il mentait, détruisant d'un mot un sourire, lorsqu'il faisait taire d'un regard un rire.

La créature lui montra le regard de ceux et celles qui l'avaient aimé, mais que lui avait repoussé. Parce qu'il ne les voulait pas. Parce qu'il pensait qu'ils ne le méritaient pas.

Qui était le monstre? Celui qui cherchait seulement à se nourrir ou celui qui brulait ceux qui l'entoure de son regard noir?

Les larmes se remirent à couler sur les joues de Cecil, et, comme s'il savait que sa victime s'était remise à souffrir, la créature le lâcha. Telle une poupée dont les fils ont été coupés, il glissa le long du mur et tomba assis sur le sol. Tel un pantin sans âme. Tel un lion à l'échine brisée.

Tout était noir. Vide. Silencieux. Cecil était seul dans cette vastitude couleur charbon. Il fit quelques pas, fit demi-tour. Aucune lumière et pourtant il voyait son corps, ses mains, sa robe de sorcier déchirée. Tout était vide et silencieux. Il demanda si quelqu'un était là, mais rien ni personne ne lui répondit. Puis peu à peu, un bourdonnement vint chatouiller ses oreilles. Persistant, croissant. Allant crescendo, le vrombissement se changea peu à peu en un rire. Un rire d'enfant. Joyeux, pure, naïf, honnête. Les éclats du rire emplirent tout l'espace vide, tournoyant autour de Cecil qui sentait ses doigts se réchauffer. Il leva ses mains devant lui. Sa peau reprenait de la couleur à mesure que le rire s'imprégnait dans son cœur. Le froid reflua, remplacé par une douce chaleur.

Une cheminée. Un crépitement. Une odeur de bois brulé. Une petite tête rousse qui fixait le feu, les yeux brillants. Une petite fille assise en tailleur. Elle tourna la tête vers Cecil et, à peine posait-elle les yeux sur lui, qu'elle s'illumina d'une aveuglante couleur argentée. La cheminée, le feu disparurent, engloutis par ce soleil blanc de plus en plus lumineux, de plus en plus joyeux. Cecil se cacha les yeux, et recula d'un pas. Il trébucha et tomba en arrière.



Cecil ouvrit les yeux. Il dut attendre quelques instants avant de pouvoir identifier la source de lumière qui l'aveuglait. Il parvint enfin à voir un petit animal argenté, perché sur le bout de sa chaussure. Un petite salamandre qui la fixait. Cecil ouvrit la bouche à demi. Une larme roula sur sa joue. Cecil se redressa légèrement. La salamandre descendit de sa chaussure pour venir se placer à côté de lui.

Doucement, avec difficulté, Cecil se releva, posant sa main au sol, l'autre contre le mur. Il se releva de toute sa hauteur et prit une grande inspiration. Il ferma les yeux un instant. Toujours lentement, il leva sa baguette devant lui, braquée vers les Détraqueurs qui luttaient contre la lumière de la salamandre.

Soudain, Cecil fit un mouvement sec de la baguette et tout s'arrêta. Il enchaina d'un mouvement complexe, faisant tourner sa baguette autour de lui. La terre trembla. D'immenses racines jaillirent tout à coup du sol. Elles enserrèrent les créatures qui ne purent plus bouger. Cecil continuait les mouvements de sa baguette. Un bouclier apparut devant Nim. Un souffle de vent se mit à tournoyer autour de lui, de plus en plus puissant. Il se mit alors à crier de rage, à crier sa frustration, à crier son échec. Les vents se firent plus violents que jamais, déchiquetant les plantes proches, brisant nombre de vitres de la serre.

Puis tout s'arrêta à nouveau. Cecil pointa alors sa baguette devant lui, et s'exclama d'une voix grave, tellurique, empreinte d'une certitude, d'une confiance absolue.

"Spero Patronum!"

Le lion argenté jaillit du bout de sa baguette, presque deux fois plus grand qu'avant. Il brillait comme un soleil blanc. L'animal se campa devant les Détraqueurs et se mit à rugir. La lumière pulsa depuis sa gueule vers les créatures, réduisant en poussière les feuilles et les branches sur son passage. Cecil accompagnait les rugissements de son Patronus de ces propres cris de rage, les larmes ravageant encore ses joues.

Le calme revint enfin. Le lion se dissipa comme un souvenir. Les Détraqueurs semblaient ne jamais avoir existé ; seuls les arbres endommagés témoignaient du combat qui venait de se dérouler ici. Il tomba à genoux, vidé de toute énergie, de toute émotion. Il avait frôlé la catastrophe, mais il sentait que le combat n'était pas encore fini à l'intérieur de lui-même. Les créatures avaient réveillé en lui des souvenirs qu'il aurait préféré enfouir à jamais. Cecil prit quelques minutes pour reprendre son souffle, pour calmer les pulsations de son cœur, qui s'était emballé sous l'afflux de magie. Cela faisait bien longtemps que Cecil n'avait pas laissé s'exprimer son pouvoir de manière aussi totale. C'était à la fois grisant et terriblement fatiguant.

Lorsque son corps accepta de lui obéir à nouveau, Cecil se releva et se tourna vers Nim. La petite était toujours à genoux, les larmes coulant sur ses joues. Cecil s'approcha d'elle doucement. Il s'assit devant elle. L'horreur se lisait dans le moindre de ses traits. Le cœur de Cecil se serra d'effroi. Quelque chose avait été pris à la petite, quelque chose de précieux qu'elle ne retrouverait jamais. Cecil sentit les larmes brulantes de la honte emplir ses yeux. C'était de sa faute. Elle lui avait sauvé la vie grâce à un courage incroyable, mais lui n'avait fait qu'assister à la destruction de son innocence, partie en fumée sous la brûlure froide du souffle du Détraqueur.

Cecil leva la main et essuya les larmes qui coulaient sur les joues ravagées de la petite. Il replaça une mèche qui lui tombait devant les yeux en la coinçant derrière son oreille. Du bout de doigts, il suivit la courbe de sa mâchoire jusqu'à son menton qu'il releva doucement afin de mieux voir les yeux de la petite. Cecil et Nim pleuraient tous les deux, perdus dans le regard l'un de l'autre. Cecil prit Nim dans ses bras et posa sa main droite derrière la tête de la petite, nichée au creux de son cou. Ses larmes se firent sanglots, à mesure qu'il réalisait ce que la fillette venait de vivre. Plus la honte le brulait, plus il serrait l'enfant contre lui, comme si cette étreinte effacerait le mal qu'il n'avait pu empêcher. Effacer. S'il pouvait le faire, il n'hésiterait pas une seule seconde.

Cecil leva alors sa baguette et la posa contre le dos de Nim en resserrant son étreinte.

"Oubliettes."

Les souvenirs de la petite se mirent à s'écouler, à mesure que le sort pénétrait sa mémoire. Cecil effaçait les dernières minutes de sa vie, depuis son arrivée dans la serre. Il voulait qu'elle oublie la peine, qu'elle oublie la peur, le froid. Il voulait revoir sur son visage son sourire innocent, il voulait lui faire oublier les larmes. Nim ne devait pas pleurer. Elle devait rire, aimer, sans qu'aucune ombre ne vienne recouvrir sa mémoire. Elle devait vivre et rayonner comme elle le faisait auparavant. Elle était bien trop jeune pour connaître cette peine. Cecil ne pouvait accepter qu'elle soit brisée à cause de lui, brisée parce qu'elle s'était retrouvée sur le chemin de créatures sans âme et d'un professeur trop faible pour l'aider.

Alors, il lui prit ses derniers souvenirs. Il lui prit sa Salamandre, il lui prit une partie de son courage, mais, bien plus, il lui prit l'horreur. Peut-être lui donnerait-il une deuxième chance. Sans doute son acte causerait-il plus de trouble qu'il ne le voulait, mais il espérait, au plus profond de son être qu'elle pourrait sourire comme avant.

Il ne pouvait s'empêcher de penser qu'il voulait lui faire oublier son propre échec. Au fond, il ne voulait pas qu'elle ou que quiconque le voit aussi faible, aussi vulnérable. Il préférait porter le fardeau de la solitude, plutôt que celui de la déception dans le regard de la petite.

A mesure qu'il lui prenait ses souvenirs, il sentait les siens s'imprimer dans son esprit, laissant une marque à jamais indélébile. Lui n'oublierait jamais, lui ne connaitrait jamais la douce odeur de l'oubli. Il se souviendrait à jamais de sa douleur, du silence du Nim. De son échec.

Cecil leva enfin sa baguette, et la petite s'évanouit. Il le posa doucement sur le sol. Elle était si petite, si fine. Cecil passa ses mains sur son visage, jusqu'à ses cheveux. Il s'assit sur le sol, se tenant toujours la tête, la serrant de plus en plus. Il cria soudain et frappa de toutes ses forces sur le sol. Il frappa de ses poings, encore et encore, s'écorchant la peau, plantant ses ongles dans ses paumes. Son sang coulait, imprégnant le sol, éclaboussant ses vêtements. Il frappa jusqu'à ses mains se brisent. Et même alors, il frappa encore.

Cecil se releva enfin. Il prit Nim dans ses bras, ignorant sa douleur. Il l'amènerait à l'infirmerie. Dirait qu'elle avait été attaquée. Expliquerait qu'elle avait perdu connaissance, avant qu'il ne la sauve. Il mentirait.

Mentirait.

Mais lui saurait, il se souviendrait. A jamais.