Enfin, le soleil disparaît derrière les montagnes, plongeant Poudlard dans les ténèbres. J'assiste à la tombée de la nuit avec un sentiment d'exaltation et d'impatience qui ne cesse de croître. L'ombre s'installe, s'insiuant partout comme un serpent à la recherche de sa prochaine victime. Ah, quelle nuit parfaite ! Depuis toutes ces années, je n'ai jamais oublié le Maître. J'ai toujours suivi ses préceptes, adulé son nom dans le secret de mon âme. Et voilà venu le temps de le venger.

J'ai réuni un grand nombre de détraqueurs, issus de divers lieux plus ou moins éloignés. Je les ai convaincus de me suivre, pour se venger eux aussi. Ils ont faim, si faim... Depuis leur exil, ils ne se repaîssent que d'âmes déjà détruites. Ils veulent de nouvelles proies et je les leur founis sur un plateau. Ils ne sont pas nombreux, mais j'espère que le fait de les lancer par surprise suffira à leur offrir quelques victimes. Et plus il y en aura, plus je serais satisfait. Mais n'allons pas trop vite en besogne. Il faut savoir se contenter de ce que l'on a.

J'ai choisi ce jour car ce sont les portes ouvertes à Poudlard. Il y a du monde, à l'intérieur. L'école accueille de nombreux sorciers qui passent la nuit entre ses murs, empreints de nostalgie. Quant à moi, j'espère bien interrompre les réjouissances pour un spectacle bien plus exaltant ! Il était tard mais le portail était resté ouvert, pour ces stupides portes ouvertes... Alors j'entrai suivi de mes troupes... Qui se dispersèrent dans la nuit.

Une ombre plane sur le lac noir. Tout aussi sombre que les eaux qu'elle survole, la créature n'émet pas un son. Elle est aussi silencieuse que la mort qu'elle semble incarner. Et sur son passage, les créatures se taisent. Et en dessous d'elle, la surface clapotante se recouvre de givre. Elle s'avance, traînant un cauchemar à sa suite et plongeant le monde dans les ténèbres.

J'avais été envoyée à Poudlard quelques jours après la fin des examens, afin de faire un peu de publicité pour les ADEM de Métamorphose appliquée auprès des élèves de sixième et septième année. Il était pour cela prévu que j'anime deux réunions d'information sur le sujet, avant de recevoir les éventuels élèves intéressés en entretien. Pour tout avouer, j'espèrais un peu que cela me permettrait de repérer un ou deux éléments prometteursui pourraient prendre ma place après le départ en retraite de Wallace, en Décembre. Il était prévu que je sois alors promue Directrice du service Animagus à sa place. Cela impliquait plus de travail de bureau et de management et moins de missions de terrain. Quand j'aurais été dûement remplacée, je n'en aurai même plus du tout, excepté lors des grosses interventions nécessitant tous nos moyens humains.

Quoi qu'il en oit, j'avais décidé de profiter de ces quelques jours au château pour m'imprégner de nouveau de cette magie unique qui y règnait en maîtresse absolue. Nostalgique, je parcourus lentement les couloirs poussièreux... Et quasiment vides, en ce début de soirée. J'avais croisé quelques élèves sur le chemin, occupés à rire et à parler de leurs vacances, profitant du couvre-feu allégé pour se rencontrer entre maisons. Je me rappelai avec amusement que je faisais exactement la même chose, à l'époque. A la veille des vacances scolaires, mes amies et moi parcourions les lieux en tous sens jusqu'aux toutes dernières secondes qui nous étaient allouées, comme si nous avions peur de ne plus nous rappeler de l'emplacement exact de chaque pierre après les congés... Curieuse habitude, mais qui semblait se répéter chaque année. Je passai d'une démarche mesurée devant un chat qui me fixa d'un regard plein de méfiance, tournant au coin d'un couloir... Pour me retrouver face au plus beau panorama de cette partie de l'Europe.

Je me figeai, incapable de détacher les yeux des couleurs irréelles du soleil couchant sur le parc de Poudlard. J'admirai ces rouges poignants qui enflammaient la cime des arbres, ces jaunes tendres qui caressaient l'herbe fraîche, ces dorés lumineux qui éteincelaient sur les eaux calmes du Lac Noir, ces roses délicats qui effleuraient les nuages comme pour sublimer leur douceur cotonneuse. La joyeuse trille d'un oiseau non loin de moi me fit tendre l'oreille et je perçus alors toute la force de la musique sauvage qui m'entourait. Une nuée de moineaux pépiait à qui mieux-mieux dans le parc, observés par une pie qui leur jetait de temps à autres un cri courroucé. Le rire moqueur d'un corbeau les dispersa tandis qu'une chouette hululait docuement en sortant de son long sommeil. Un léger sourire naquit sur mes lèvres, s'épanouissant à mesure que je prenais la pleine mesure de ce spectacle de sons et lumière dont Poudlard me gratifiait, une fois de plus.

Oubliant pour un temps la plus élémentaire des convenance -et omettant que je portais un tailleur noir cintré- je relevai l'ourlet de ma jupe jusqu'à mi-cuisse, dévoilant la lisière de mes bas... Noirs eux aussi. D'un mouvement souple et pas le moins du monde entravé par ma tenue stricte, je grimpai sur le rebord de la fenêtre et sautai dans le parc, prenant garde à ne pas glisser avec mes ballerines. Je m'élançai dans le parc, me métamorphosant en pleine course. Un instant j'étais humaine, le suivante renarde, dévorant la distance à grandes foulées élastiques. J'arrivai juste à temps pour saisir au vol le dernier rayon de soleil avant qu'il ne disparaisse derrière les montagnes. Je me couchai à quelques centimètres du bord de l'eau, posant la tête sur mes antérieurs étendus. Je fermai les yeux quelques instants pour apprécier le calme et la sérénité du lieu...

Lorsque un frisson me parcourut l'échine et me fit ouvrir les yeux. Je me raidis instinctivement, avant même d'avoir eu le temps de voir ce qui m'avait interpelée. Et lorsque mes yeux se posèrent sur l'origine de cette sensation... Je me glaçai d'effroi. Sous mon regarde ébahi, un détraqueur s'avançait vers le château. Je repris instantanément forme humaine, sentant peu à peu la peur se glisser en moi.

Le detraqueur s'approchait rapidement, porté par la brise. A mesure que la distance entre lui et moi rétrécissait, la peur enflait dans mon cœur. J'essayais de la contrer en pensant à mon souvenir le plus heureux. Le jour ou j'étais enfin devenue animagus. Le vent dans ma fourrure, l'herbe sous mes pattes... La liberté, le bonheur. D'une voix ferme, je prononçais :

"Spero Patronum."

Aussitôt, mon aigle s'éleva dans les airs. Beau, majestueux et d'une envergure immense. Il piqua sur le détraqueur, le repoussant de plusieurs assauts vifs et incessants. J'étais tellement concentrée sur celui-ci que je ne vis même pas la deuxième créature ténébreuse qui s'était approchée par derrière. Je ne m'en re dis pas compte, pensant que le sentiment de terreur qui me prenait à nouveau était du à un sursaut de puissance du premier. Je ne vis pas non plus Araekin qui sortait de l'eau un peu plus loin. Je m'avancai seulement d'un pas peu sur vers le bord du lac, afin d'encourager mon patronus. Celui ci faiblissait et lorsque j'entendis une respiration rauque derrière moi il était trop tard : le deuxième detraqueur se penchait sur moi pour aspirer mon âme. Mon patronus disparut et je fus envahie par le malheur. Mes membres se raidirent, je glissai et me retrouvai en déséquilibre au bord du lac. Revenant à la charge, le premier detraqueur me saisit de ses mains glaciales et m'emporta dans l'eau tandis que l'autre me dévorait l'âme.

Je perdais pied. Je ne voyais plus rien, ne ressentais que le froid et... L'humidité. J'étais trempée, mais bien incapable de déterminer pourquoi. Mes sens étaient... Engourdis. J'avais froid, j'avais peur. Je ne me sentais plus capable de lancer le moindre sortilège. Je me sentais... Vide. Je mourrais. Alors que j'allais complètement lâcher prise, de l'air gonfla mes poumons.

Je respirais à nouveau ! Je vivais, je vivais ! J'inspirai goulûment autant que possible, remerciant le ciel de m'avoir sauvée. Au moins j'avais gagné quelques minutes... Espérant échapper au moins un peu plus longtemps aux detraqueur sur, je repris ma forme de renarde. Plus confus, mes sentiments leur échappaient. Animale, je pouvais espérer survivre. Je battais désespérément des pattes pour m'échapper, mais quelque chose agrippa mon postérieur droit. La chose me traînait de plus en plus profondément dans les eaux... Et serra. Un terrible crac se fit entendre et je laissai échapper une longue plainte : ma patte avait été écrasée. La douleur pulsait et mon sang giclait de la blessure à gros bouillons. Des gémissements sourds s'échappaient de ma gorge, mes yeux se troublèrent de taches noires. Je ne voyais plus, ne sentais plus. Je ne vis même pas Araekin ni sa façon de repousser les détraqueurs, puis les strangulots. Je ne sentais plus ma patte. Je ne la sentais plus.

La dépression profonde m'avait quittée, avec le départ des créatures. J'étais redevenue plus ou moins moi même, mais la douleur m'empêchait de réfléchir. D'espérer. Je ne voyais plus, n'entendais plus. Ne ressentais que de la souffrance dans ma patte détruite. J'étais convaincue que j'allais finir par mourir. Probablement bientôt... Alors que je sombrais dans une bienheureuse inconscience, une petite voix dans ma tête me souffla :

"Tu meurs comme tu es venue au monde. Seule et dans l'indifférence générale."

J'ouvris les yeux d'un coup, en hurlant. Non, non, je ne voulais pas finir ainsi. Je clignai des paupières avec frénésie, tentant de voir quelque chose tentant de me sortir de là... Et repris forme humaine. Ma jambe gauche pendait lamentablement à un tendon, mais le reste semblait à peu près opérationnel. Je repris un peu mes esprits, constatant que j'étais toujours sous l'eau, de plus en plus profondément. Et que ma tête était dans un sortilège de bulle. Je ne l'avais pas jeté, c'était donc l'œuvre de quelqu'un d'autre. Je regardai partout frénétiquement, incapable de repérer ma baguette dans le noir des eaux. Je ne me souvenais pas de l'avoir lâchée, mais pourtant... Elle n'était nulle part. Soit je l'avais perdue au bord du lac, soit elle avait coulé par le fond, perdue à jamais. Ce faisant, je repérai une forme plus claire, au loin dans les remous du lac. Quelqu'un. Puisant dans mes dernières forces, je hurlai :

"Au secours !"

Bien sûr, l'eau allait bloquer une partie du son... Mais quand même... Peut êtr y avait-il un espoir pour moi ? S'il existait une seule chance pour que cette personne me sorte de l'eau, je devais la saisir. Car, privée de baguette et incapable de nager par moi-même, je semblais promise à une mort certaine. Ce qui était inenvisageable. Je ne pouvais mourir ici, seule et à l'insu de tous, dans les profondeurs ténébreuses du lac noir. J'avais encore toute une vie à vivre... Du moins, je l'espérais.

La forme s'approchait, se précisait... C'était bien quelqu'un, et il m'avait entendue ! Il venait vers moi, il allait me sortir de là ! J'allais vivre... Je tendis la main dans sa direction dans un geste désespéré pour l'aider à me sauver. Il y parvint rapidement, à mon plus grand soulagement. Mais il fallut attendre qu'il m'ait fait revenir à la surface pour que je puisse voir clairement le visage de mon sauveur...

"A.. Ra... E... Kin ?" demandai-je d'une voix cassée d'avoir trop hurlé.

Je clignai des yeux en le regardant, me demandant comment il avait pu se trouver là... Comment il avait repoussé les détraqueurs, comment il m'avait évité de me noyer ou de finir étranglée par les strangulots. Il était si jeune... Cruelle leçon d'humilité que voilà... Je gigotai pour essayer de l'aider à me hisser hors de l'eau, mais la douleur m'empoigna si cruellement qu'un cri de souffrance m'échappa, mes yeux se remplissant de larmes. Un simple coup d'œil suffit à me renseigner sur l'origine de cette abominable sensation : ma jambe... Etait déchiquetée. Elle ne tenait au reste que par un lamentable petit restant de chair, qui me donna envie de vomir. Araekin tenta de me soigner, employant un sortilège puissant. Je pouvais voir une partie de la blessure se refermer, mais... Je savais que cela ne suffirait pas. J'avais été suffisamment blessée dans ma vie pour juger que cette blessure là ne pouvait être guérie complètement par la magie.

A ma plus grande surprise, Araekin posa la main sur mon épaule et claqua des doigts... Ce qui nous emmena à l'infirmerie. Si ma souffrance n'avait pas embrouillé mes neurones, j'aurais pensé "impossible". Mais j'avais bien autre chose à penser à cet instant et je remerciai simplement le ciel d'avoir mis le jeune homme sur mon chemin...

suite ::