C'était une magnifique journée de juillet. Le soleil brillait et éclairait d'une lumière franche cet après-midi déjà chaude. L'assistance s'éventait discrètement, et Cecil sentait lui-même la sueur lui couler dans le dos. La procession était très lente, mais tout le monde désespérait de se mettre à l'ombre. Dans les arbres, le long des allées, les oiseaux gazouillaient et chantaient innocemment, créant un étrange contraste avec le silence qui accompagnait le cortège. Juste devant Cecil, le cercueil de bois laqué reflétait la lumière. Les quatre hommes qui le portaient avançaient d'un pas neutre et régulier, atrocement lent.

Cecil était le premier à marcher derrière le cercueil de son père. Juste derrière lui se trouvait son oncle Marc, qui semblait bien étrange vêtu de noir, lui qui portait d'ordinaire des tenues bariolées. Thomas Vernet s'était éteint quelques jours plus tôt, dans son sommeil. Le guérisseur qui était venu n'avait pas trouvé de causes criminelles au décès. Thomas avait simplement cessé de vivre. Cecil n'avait pas été étonné de la nouvelle. Depuis la mort de son épouse, Thomas avait perdu son étincelle, sa force vitale. Son travail et les visites régulières de son fils l'avaient maintenu en vie, mais visiblement, son énergie vitale l'avaient définitivement quitté.

Cecil n'avait pas su comment réagir en apprenant la nouvelle. Il n'arrivait pas à être triste, car, pour avoir vu son père aussi triste pendant des années, il avait souvent pensé que la mort était peut-être la seule voie possible pour lui. Une forme de libération, peut-être. Marc avait dit un jour à Cecil que Thomas avait toujours était incroyablement sensible sous son air jovial et optimiste. Marc avait toujours dit que le jour ou son frère aimerait quelqu'un, il n'y aurait personne d'autre. Visiblement, il avait vu juste.

Les jours suivants le décès de son père avaient été pesants pour Cecil. Il avait dû s'occuper des démarches administratives moldues, puis sorcières, tout en informant toutes les connaissances de son père de la date et de l'heure de l'enterrement. Il avait reçu de nombreuses lettres de condoléances qu'il avait mis au feu sans même les ouvrir. Il se sentait vite, mais il savait que les mots cordiaux de personnes qu'il connaissait à peine n'allaient certainement pas l'aider. Marc était arrivé deux jours plus tôt et sa présence avait été très précieuse. Mais son oncle était mal à l'aise et ne savait pas comment gérer ce genre de situation. Marc avait découvert qu'il aimait beaucoup plus son frère qu'il ne le pensait, et Cecil s'était retrouvé à le consoler lui. Le consoler alors que lui-même ne sait pas quoi ressentir.

Cecil grimaça. Il avait le soleil en plein dans les yeux. La sueur perlait sur son front. Il maudit la tradition qui incitait à porter du noir en période de deuil. Puis il se maudit lui-même d'avoir opter pour un costume complet. Alors que la procession prenait un virage vers une allée plus petite, Cecil se permit un regard vers les personnes présentes. Il en dénombra une petite quarantaine, de la famille éloignée, quelques amis et collègues de travail de son père. Il n'y avait pas beaucoup de monde, mais Cecil préférait. Il aurait été mal à l'aise de devoir s'occuper d'autant de personnes dans des circonstances aussi particulières.

Le cortège arriva à côté de la tombe qui allait être celle de son père. Cecil regarda le trou dans le sol. Il ne savait pas quoi penser. L'assistance se rassembla et tout le monde le regarda. Cecil ferma les yeux un instant. Il redoutait le moment du discours. Il se savait pas comment il allait réagir. Il ouvrait néanmoins la bouche et se lança.

Ce matin là, le soleil éblouissait Rowena, et la réchauffait, rendant ses mains encore plus moites qu'elles ne l'étaient déjà. Ses habits noirs rendaient le moment encore plus désagréable qu'il ne l'était déjà.

Quelques jours auparavant, Rowena avait trouvé son père effondré sur une chaise de leur cuisine, un hibou à côté de lui et une lettre dans sa main. Elle s'était approchée de lui, et avait pris la lettre de ses mains, voyant qu'il ne réagissait pas vraiment, et avait lu la lettre annonçant un décès, celui d'un certain Thomas Vernet. Ce nom de famille lui rappelant quelque chose, elle posa des questions à son père quand son mutisme fut passé. Elle apprit ainsi que cet homme avait eu une femme provenant d'une famille de mange-mort dont elle s'était détachée; et c'était surement ainsi que son père avait connu Thomas. Elle ne savait pas si ils avaient gardé contact ou non, mais la nouvelle avait l'air de vraiment affecter son père, ce qui l'inquiétait légèrement.

Perdue dans ses pensées, elle suivait les autres sorciers qui avançaient dans une lenteur qui la désespérait. La chaleur commençait à énormément peser sur elle, et les oiseaux qui chantaient dans les arbres l'insupportait fortement. Si elle avait pu, elle ne serait pas venue, mais son père avait besoin d'elle, et son rôle était de le soutenir, maintenant qu'il n'avait plus qu'elle.

Soudain, elle se souvint pourquoi le nom lui disait quelque chose. Il était professeur à Poudlard, et bien qu'elle ne l'ait pas en cours, elle entendait souvent son nom revenir dans certaines conversations. Elle eut soudain beaucoup de peine pour cette personne qui venait de perdre son père, bien qu'elle ne le connaisse pas vraiment personnellement, il restait quelqu'un qu'elle avait pu croiser dans les couloirs de son école.

Le cortège s'arrêta enfin. Rowena accompagna son père jusqu'à un rang plus avancé, sans comprendre vraiment le but de cette manœuvre. Mais elle remarqua soudain le trou destiné à accueillir le cercueil de l'homme, et compris qu'il souhaitait juste être au plus près de son ancien ami.

Puis, le fils de Thomas Vernet, s'avança enfin pour faire son discours. Rowena l'observa durant le cours moment qu'il lui fallut pour s'avancer au maximum. Ses yeux étaient creusés par des cernes, et  il avait vraiment l'air abattu. Son regard fit un rapide tour pour voir qui était là, et il commença son éloge funèbre.

"Papa était français. Il disait souvent, lorsqu'il essayait de s'énerver ou de râler, qu'il devait laisser ses gènes libres. Mais il n'y arrivait jamais, parce qu'il était la personne la plus positive que j'ai connu. Il avait tellement de bonté dans son cœur que beaucoup le trouvait niais, faible. Il m'énervait souvent avec son optimisme insatiable et son sourire franc. Rien n'était jamais grave. On pouvait tout pardonner. Ça irait mieux demain. Et moi, ça me faisait rager. J'ai compris récemment qu'il était bien plus sage que je ne le serai jamais. Il n'avait pas cette optimisme stupide et vide. Il avait connu la douleur, la méchanceté. Il avait appris la douleur et l'avait dépassé. Il me disait toujours que chaque soir avant d'aller se coucher, il fallait que je remercie la vie pour mes échecs et mes chutes, parce que c'était le meilleur moyen d'apprendre. Moi, je ne le comprenais pas, j'avais mal aux genoux, j'avais honte. Mais lui, il me souriait et me disait que tout irait mieux le lendemain. Et c'était vrai."

Cecil se tut quelques instants. Il ferma les yeux et respira doucement. Puis il reprit.

"Le jour où maman est morte, il a perdu quelque chose. Non pas son optimisme, non. Il me disait toujours qu'il allait bien, il s'inquiétait toujours pour moi et me souriait. Mais il avait perdu le souffle, je dirais. Cette minuscule étincelle qui faisait de lui ce qu'il était vraiment. Au fond, il était dévasté, il l'aurait sans doute suivie, mais il m'avait. Il avait sa famille, son travail. Et un homme aussi bon et altruiste que lui ne pouvait abandonner. Alors il se levait, tous les matins. Il allait au ministère de la Magie et s'occupait des litiges avec la France, comme il le faisait chaque jour, parce qu'il le devait et parce qu'il le voulait. Il était heureux ainsi, et même si maman était partie, il savait qu'il était encore utile à quelqu'un. Aider, aider, encore et toujours. La seule personne de qui il attendait vraiment quelque chose était partie, alors c'était tout ce qui lui restait à faire. Donner. Il est mort la semaine dernière parce que son énergie l'a quitté. Mais encore, dans l'appartement, des piles de dossiers, des lettres entamées, des livres ouverts. Car même si au fond, il était terriblement fatigué, il donnait quand même. C'est ce qui le gardait en vie. La semaine dernière, il m'a envoyé une lettre dans laquelle il me disait qu'il avait encore plein de choses à faire, que ça ne pouvait pas déjà être les vacances! Je ne sais pas ce qu'il pensait, seul le soir, avant de s'endormir dans son lit vide. On ne le saura jamais. Mais jusqu'au bout, il a tenu. Jusqu'au bout il a aimé maman, il a aimé les gens qui l'entouraient, il m'a aimé moi. Et moi comme vous tous n'aurions jamais pu lui donner autant que lui l'a fait. Moi, je n'ai jamais pu, et je ne pourrais jamais plus."

Cecil se tut encore. Plusieurs personnes pleuraient dans l'assistance. Cecil ne pleurait pas. Il se sentait seulement vide. Les mots coulaient de lui comme les excuses qu'il n'avait jamais su dire à son père. Cecil se dégoutait. Mais il inspira un grand coup et reprit.

"Alors papa, nous sommes tous là aujourd'hui pour te dire un dernier adieu, en espérant que tu trouves là où tu es la paix que tu avais perdu ici. Détends-toi, veux-tu? Et pense un peu à toi. Tu le mérites."

Cecil sortit sa baguette et fit léviter le cercueil qui vint délicatement se poser dans la fosse creusée dans le sol. La terre recouvrit le cercueil jusqu'à former une surface plane. La pierre tombale se souleva également pour venir se placer sur la terre fraichement déplacée. Cecil incanta alors, de toutes ses forces et de tout son amour. De la terre jaillit doucement, avec grâce un pommier qui bientôt projeta son ombre sur la pierre tombale gravée au nom de Thomas Vernet.

Cecil reprit son souffle petit à petit. L'assistance se levait à présent pour venir se recueillir devant la nouvelle tombe ombragée. Plusieurs personnes vinrent lui présenter leurs condoléances, mais Cecil n'écoutait pas. Au bout de quelques minutes il s'éclipsa et partit dans une allée latérale.

Rowena avait sorti sa baguette et la tenait entre ses mains. C'était inutile, mais ça la rassurait. L'histoire de Cecil la troublait: un père français, et une mère associée à des mange-morts. Tout comme elle. Inconsciemment, elle se sentit comme lui, bien qu'ils n'aient pas de points communs à part les parents; tout de moins, c'est ce qu'il lui semblait.
Cecil, en face d'elle, ne pleurait pas. Son flot de parole semblait venir naturellement, néanmoins, pas une larme ne coulait sur son visage, tandis que la jeune élève, elle serait la main de son père, tout en s'essuyant le visage avec l'autre main, qui tenait toujours sa baguette. Elle leva la tête vers son père, qui la regarda tendrement. Elle put tout de même lire la tristesse dans ses yeux.
Une fois de discours du professeur finit, Rowena accompagna son père jusqu'à la tombe de feu Thomas Vernet, sur laquelle son fils avait fait pousser un pommier. Elle eut un sourire triste face à cette vision. Elle lâcha alors la main de son père, et étouffa un sanglot. Sentant cependant qu'elle commençait à pleurer, alors qu'elle même ne savait pas pourquoi, et ne voulant pas que son père la voit comme ça, elle s’éclipsa discrètement.
Elle marcha alors sans vraiment savoir où elle allait, tout en essuyant ses larmes d'une main.

- Est si ça m'arrivait ? Comment je pourrais avoir ne serait-ce que le courage de me lever ?

Elle se rendit compte qu'elle réflechissait à voix haute, et regarda alors autour d'elle si il y avait quelqu'un qui aurait pu l'entendre, ce qu'elle préférait éviter. Elle se rendit alors compte qu'elle se trouvait dans une allée. Elle pointa alors sa baguette devant elle au cas où quelqu'un de mal attentionné arriverait. Elle s'enfonça alors un peu plus dans l'allée. Elle entendit alors des pas, et se retourna précipitamment, pour découvrir Cecil Vernet qui marchait dans sa direction.

Cecil avait besoin de rester un peu seul. Il n'avait pas préparé son discours, les mots lui étaient venus naturellement, mais ils lui avaient été difficiles. Bien plus qu'il ne l'aurait imaginé. Une oppressante sensation de vide lui enserrait la poitrine. Il essayait de respirer doucement et profondément, mais l'air dans ses poumons lui brûlait. Il releva la tête en oreille pour laisser le soleil recouvrir son visage. Il sentait encore la sueur lui couler le long de la colonne vertébrale mais étrangement, il n'avait pas l'impression d'avoir chaud.

Cecil serrait toujours sa baguette dans son poing, si fort qu'il sentait des picotements dans le bout de ses doigts. Il relâcha un petit peu la pression afin de retrouver ses sensations. Soudain il entendit quelqu'un parler. Il se retourna et vit une jeune fille la baguette pointée qui partait dans l'autre sens. Il s'approcha d'elle, sans vraiment savoir pourquoi. La jeune fille fit volte-face et dévisagea Cecil. Elle avait les yeux rouges. Ce devait sans doute être la fille d'un des collègues ou des amis de son père. Étrangement, le chagrin de la jeune fille apaisa le sentiment de vide qui broyait Cecil intérieurement. Il lui sourit doucement et lui parla d'une voix douce.

"Tu parlais de courage? Tu te demandes si tu arriverais à avancer? Tu sais, personne ne pense qu'il pourrait se lever à nouveau, et pourtant, nombreux sont ceux à le faire. On ne se pas pourquoi, ni comment, mais on y arrive. Et l'on s'en veut quelque part, parce que continuer à vivre quand ceux qu'on aime sont partis donne un peu l'impression qu'on les a oublié. Qu'on ne les aimait pas tant que ça. Qu'ils n'étaient pas indispensables. Alors que si. On se lève juste parce qu'on le doit, parce qu'il le faut, et parce que la mort d'une personne ne doit jamais provoquer le dépérissement d'une autre, tu ne crois pas? On se lève pour les honorer, pour vivre là où leur vie s'est arrêtée et pour découvrir ce qu'ils n'ont pu voir, pour apprendre ce qu'ils n'ont pu apprendre, et continuer d'aimer et de chérir ce qu'ils ont aimé et chéri. Tu pourrais faire ça pour ceux que tu aimes, n'est-ce pas?"

Rowena essuya précipitamment les larmes sur ses joues avant de se rappeler que ses yeux étaient si rouges que ça ne servait à rien. En plus, il l'avait apparemment entendue faire sa réflexion à voix haute. Quand il lui répondit, ce fut d'une voix douce qui rassura automatiquement la jeune fille, qui l'écouta attentivement. Quand il eut fini, elle lui répondit:

- Je ... Je sais pas. Je crois que tout me paraîtrait trop compliqué. Enfin... J'ai vu mon père à la mort de ma mère, et même si j'étais trop petite, en grandissant il est toujours resté désespéré. Et j'ai beau essayé de le réconforter, c'était à peine si j'arrivais à le faire sortir de la maison.. Donc je me dis que si même lui, qui était l'homme le plus brave que je connaissais, mon modèle avant, a eu énormément de mal à s'en remettre, comment moi je vais faire ? Enfin, c'est vrai que maintenant, il va mieux, mais il lui a bien fallu 7-8 ans avant que ça change... Enfin, même vous, je trouve que vous devez être vraiment très fort pour réussir à dire tout ce qu vous avez dit lors de votre discours, sans pleurer.

Elle eut un temps de repos et reprit:

- En fait, je sais que je me lèverais, juste parce que la vie continue, mais je crois que tout aura l'air si fade, si désespérant... Enfin, après je sais pas, j'ai jamais vraiment fait face à ça, j'étais trop petite quand ma mère est morte, mais par rapport à tout ce que j'entends, tout ce qu'on m'a raconté, je sais vraiment pas comment je pourrais faire.

Elle adressa un sourire timide à Cecil, qu'elle regrettait vraiment de ne pas avoir comme professeur.

- Désolée, je suis peut-être partie un peu loin.. C'est juste qu'il m'arrive d'y réfléchir et du coup, voilà. Et vous.. Vous allez bien ? Enfin, à part.. tout ça ?

La petite faisait preuve d'une étonnante maturité pour une jeune fille de son âge et c'est peut-être le fait d'entendre ces mots dans la bouche de quelqu'un d'aussi jeune qui toucha Cecil. Elle avait parlé avec franchise et simplicité et cela fit énormément de bien à Cecil qui détestait les remarques empruntées qu'on pouvait entendre aux enterrements. Des souvenirs fades, des remarques insignifiantes qui glorifiaient le défunt. Tout cela était tellement faux. Cecil ne le supportait pas.

Cecil avaient assisté à de nombreux enterrements, car il avait rencontré beaucoup de monde au cours de ces voyages, mais c'était toujours des moments qu'il détestait. Il n'avait jamais réussi à aucune des cérémonies. Au contraire il s'y sentait en colère, ou très mal à l'aise. Il détestait cette manière que ceux qui faisaient leur discours avaient de faire pleurer l'assistance. Comme s'il recevait un bonus au nombre de larmes. Mais là, pour son père, il venait de faire exactement la même chose.

Cecil fixa la petite qui venait de lui demander naïvement comment il allait. Et étonnamment, Cecil ne savait absolument pas comment répondre. Avec ses mots simples et francs, elle venait de le mettre dans une situation très étonnante. Il ne savait absolument pas quoi dire, ni quoi faire. Il tenta de parler, mais aucun mot ne sortit de sa bouche. Il baissa la tête et ferma les yeux. Inspirant profondément, il tenta de retrouver ses esprits. Il se mit à parler sans regarder la petite.

"Je ne sais pas. Je suis vraiment désolé."

Cecil tourna les talons et s'éloigna d'elle, lentement, sans vouloir la fuir, mais uniquement avec l'idée, qu'à cet instant précis, il ne pouvait pas communiquer. Au bout de quelques mètres, il s'arrêta. Il se tourna vers la petite et la fixa dans les yeux. Il essaya de lui transmettre toute la gratitude et gentillesse dont il pouvait faire preuve. Puis, il détourna à nouveau d'elle, et se remit à marcher sans but dans les allées du cimetière.

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