L'enterrement s'était achevé vers six heures du soir. Le soleil brillait encore haut dans le ciel, répandant sa chaleur insoutenable sur l'assistance qui se dispersait. La cérémonie avait été très éprouvante pour Cecil qui ne parvenait pas à faire le tri dans ses émotions. Il avait l'impression d'être triste sans en être certain, mais surtout, il se sentait profondément seul. Dans chaque fibre de son corps, un immense vide qui menaçait de l'engloutir. Cecil était comme paralysé au milieu de cette insoutenable et morne vastitude.

Il resta pendant plusieurs heures au cimetière, jusqu'au coucher du soleil, assis à l'ombre d'un arbre après avoir renvoyé Marc chez lui. Le picotement dans la poitrine qui ne le quittait plus depuis plusieurs semaine se manifesta à nouveau, après s'être tenu tranquille pendant la cérémonie. Une image revint dans l'esprit de Cecil, une image qui le hantait depuis cette nuit-là dans le parc de Poudlard. Elle. Comme à chaque fois, Cecil fut pris de nausée. Il essayait tant bien que mal de maîtriser ses émotions, mais elle avait visiblement toucher une zone de son cœur qui ne souffrait aucun contrôle. Cecil frissonna malgré la chaleur, et ramena ses jambes contre son corps, posant son menton sur ses genoux, comme il le faisait enfant.

Il brûlait de la revoir, désespérément. La semaine précédente, il était même retourné à Poudlard pour chercher son adresse dans les dossiers de la salle des Professeurs. Mais il avait résisté à la tentation d'y aller. Le malaise dont elle avait fait preuve le hantait encore et toujours, et il ne savait plus quoi en penser. Était-ce un malaise intéressé ou un embarras de pitié? Cecil ne trouvait pas la réponse. Il repensa à ses parents. Eux qui s'étaient rencontré à l'âge de dix-huit ans et qui n'avaient jamais cessé de s'aimer. Leur exemple avait été à la fois une inspiration et un fardeau pour Cecil qui avait eu besoin de beaucoup plus de temps pour savoir ce qu'il attendait d'une relation. Et pour savoir le type de personne avec qui il souhaitait construire quelque chose.

Mais elle ne correspondait en rien à ce modèle. Elle avait tout détruit, explosant les certitudes. Pourtant, Cecil sentait qu'il devait la revoir, ne serait-ce que pour en avoir le cœur net. Il savait qu'il devait arrêter de réfléchir, mais ne parvenait pas à le faire. Ce n'était pas dans sa nature de s'abandonner. Il releva la tête en soupirant. En face de lui, assis sur un tombe. Un chat noir le fixait. Un animal banal, maigre, mais dont les yeux jaunes étaient extrêmement perçants. Cecil eut alors une idée.

Il regarda autour de lui, vérifiant qu'il était bien seul et sortit sa baguette. Il plongea au plus profond de ses souvenirs et invoqua son Patronus. Son magnifique lion argenté jaillit de sa baguette et vient se placer devant lui. Si le chat ne fuyait pas, Cecil irait la voir. Son lion se retourna vers le petit animal et lui fonça dessus. Le chat, stoïque, ne bougea pas. Le lion se dissipa en arrivant juste devant lui, et le chat fixait encore Cecil.

Son cœur battait à tout rompre. Il se releva, rangea sa baguette et s'inclina devant le chat, pour lui exprimer sa gratitude. Il transplana. Quelques minutes plus tard, il se trouvait devant sa porte. Il leva le poing, hésitant un instant, puis frappa, une fois, puis deux. Il essayait de ne pas penser. Elle ouvrit la porte, uniquement vêtue d'une serviette. Elle était visiblement choquée de le voir là, mais s'écarta tout de même pour le laisser entrer.

Son un mot, Cecil fit quelques pas dans le pièce, puis il se retourna vers elle et la prit dans ses bras. Il posa sa tête dans son cou et se mit à trembler. Ses larmes coulèrent pour la première fois depuis la mort de son père, car enfin, il n'était plus complètement seul.

Elle était là, elle ne l'avait pas rejeté... Elle lui tenait la nuque, l'embrassait doucement. Mais Cecil ne pouvait s'empêcher de pleurer. La sensation de vide avait été remplacée par un mélange de tristesse absolue et de bonheur inespéré. Cecil se rendait compte de la mort de son père. Pire encore, il se rendait compte qu'il était orphelin. Un sentiment de vertige le prit et il sera plus fort encore Camille dans ses bras.

« Je suis là, Cecil... Je serai toujours là... »

Les sanglots de Cecil s'évanouirent instantanément. Il desserra son étreinte et plongea son regard dans celui de Camille. Le temps s'arrêta. Cecil fit tomber toutes ses barrières, il s'offrit complètement. Les battements de son cœur s'espacèrent, petit à petit, jusqu'à la certitude. Cecil leva une main vers le visage de Camille. Il lui toucha les lèvres du bout des doigts, comme un souffle d'air. Puis Cecil se pencha vers elle, s'arrêta un instant qui sembla durer une éternité, puis il posa ses lèvres sur celles de Camille. Un frisson parcourut le corps de Cecil tandis qu'il resserrait son étreinte. Il l'embrassa comme jamais il n'avait embrassé personne, comme si elle était la plus précieuse des créatures. Son étreinte se fit plus pressante, son baiser plus langoureux.

Puis il s'écarta, reprenant son souffle. Il ne trouva rien à dire. Il était heureux. Il plongea à nouveau son regard dans celui de Camille et fit un petit sourire moqueur en désignant la minuscule serviette qui l'enveloppait tant bien que mal.

« Pour ta gouverne, mon cher, tu m'as sortie de mon bain. Une chance que j'ai pensé à la serviette, sinon tu m'aurais vu à poil. Bouge pas je vais me changer, j'en ai pour deux minutes. »

Camille partit se changer, laissant Cecil seul en bas. Il en profita pour faire un point sur ce qui se passait dans sa tête. Des émotions contradictoires l'assaillaient, à l'image de cette journée particulièrement bizarre. En se réveillant le matin même, il n'aurait jamais imaginé, d'une part finir chez Camille, mais surtout finir chez Camille et l'embrasser. Quelques heures plus tôt, il était à l'enterrement de son père et le retournement de situation lui donna un peu la nausée. Mais il savait que son père ne lui en aurait pas voulu. Au contraire même. Cecil entendait presque son rire dans le silence de l'appartement. Thomas l'aurait charrié pendant des jours en lui faisant des clins d’œil, et Cecil aurait détesté ça. Néanmoins, il sourit.

Thomas s'intéressait toujours lourdement à la vie amoureuse de son fils unique, et il était toujours ravi lorsque Cecil daignait lui parler de la personne qui occupait ses pensées, qu'elle soit homme ou femme. Thomas lui disait souvent que la première personne avec qui il avait eu une relation était un grand suédois musclé. Étant plus jeune, Cecil se bouchait toujours les oreilles lorsque son père parlait de cela. Il se sentait affreusement mal à l'aise vis-à-vis de sa mère. Mais Siobhan riait aux éclats, trouvant sans doute ridicule l'idée que son petit français tout maigre soit en couple avec un grand suédois baraqué.

Thomas et Siobhan auraient adoré Camille. Cecil le sentait au plus profond de son être. Elle descendit de la mezzanine, toute vêtue de noire, deux casques de moto à la main. Sa vue emplit le cœur de Cecil comme une bouffée d'air emplit les poumons. Il eut envie de rire, de l'embrasser, de lui faire l'amour tant il la trouvait belle et désirable. Une panthère, libre et puissante, sensible et dangereuse. Une panthère rougissante qui le fixait.

« Écoute... Ça te dirait, une balade dans la campagne ? Je connais un coin sympa, pour se détendre et papoter, c'est pas mal. C'est à un quart d'heure d'ici, en moto. »

Une aventure. Elle lui proposait une aventure. Le cœur de Cecil se mit à battre plus fort. Il eut envie de la prendre dans sa bras et de l'aimer, là, sur le sol, tant elle le rendait heureux à cet instant précis. La perspective d'une virée en moto, leur corps collés l'un contre l'autre, n'était pas pour lui déplaire non plus.

Cecil écarta ses pensées lubriques de son esprit. Ils devaient parler tous les deux. Et même s'il serait volontiers passé à l'étape suivante, il devait attendre. Pour la première fois de sa vie, il voulait prendre son temps. Oublier son corps quelques minutes et ouvrir son cœur. Cela n'allait pas être simple, mais il lui devait ça.

"J'en serais ravi, Camille. Toi, moi, une moto et la nuit, que puis-je demander de plus? Alors, je te suis."

Cecil attrapa un des deux casques qu'elle tenait et lui sourit.

Lorsque Camille l'embrassa, Cecil ne put s'empêcher de sourire. Elle semblait prendre un petit peu confiance, et c'était de plus en plus attirant. Elle le fit sortir de l'appartement en se roulant une cigarette. Cecil n'avait pas l'habitude de se laisser guider ainsi. La sensation était grisante. Il ne savait pas où il allait, ni ce qui allait se passer et pourtant, cela ne le dérangeait pas. Pas trop.

Lorsque Camille ouvrit la porte du garage, Cecil eut un petit mouvement de recul. C'était le bordel. Non. Disons que le rangement de Camille n'était pas le plus rationnel qui soit. Le regard de Cecil fut attiré par la merveille qui trônait au centre du garage. Un magnifique deux roues luisant, grunge et sport à la fois, engin de liberté et d'extase. Camille regarda Cecil d'un air de défi, la main posée sur le guidon, et il se demanda si faire l'amour en roulant sur une moto était recommandé ou pas.

"Toujours ok pour la ballade ?"

"Plus que jamais, ma chère."

Cecil était aux anges. Cette ballade allait vraiment être exceptionnelle. Il aimait la vitesse. Avec son oncle Marc, ils avaient traversé la Nouvelle-Zélande du Nord au Sud sur des engins identiques à celui-ci, et c'était la période de sa vie où Cecil avait été le plus heureux, et aussi le plus calme, étrangement.

"Promis, je n'irai pas trop vite. Je ne tiens pas à te perdre en route."

Cecil éclata de rire, étonné lui-même que sa susceptibilité ne lui fasse rien rétorquer. Il mit son casque et enfourcha l'engin. Il posa les mains sur les hanches de Camille qui mit le contact. Cette position était terriblement sensuelle, et les vibrations de l'engin étaient au diapason des envies de Cecil. Comme si elle avait lu dans son esprit son empressement, Camille démarra en trombe.

Très vite, et sans vraiment savoir pourquoi, Cecil eut froid. Ce n'était pas le vent chaud qui fouettait ses bras, ni la vitesse de l'engin. Ce froid venait de l'intérieur de lui-même. Cecil arrêta de sourire. La moto semblait avancer au ralenti. Sur le trottoir, il pouvait voir son père assis à un café en face de sa mère. Ils riaient et discutaient ensemble, plus heureux que jamais. Il voyait son cousin Cillian, assis sur un banc en train de l'observer, un petit sourire en coin. Il voyait son oncle Marc qui était en train de se promener, les mains dans les poches, le nez en l'air, un sourire aux lèvres. Il voyait Alex, son ami canadien et la seule personne qu'il n'ait jamais aimé, marchant droit devant lui, comme à son habitude. Il voyait Kerwan, son oncle maternel, qui le fixait d'un air mauvais.

Cecil ferma les yeux. Il avait froid. Il sentait ses membres s'engourdir. Il passa ses bras autour de la taille de Camille et posa la tête sur son épaule. Une larme s'écrasa contre la vitre de son casque. Il entendit dans sa tête la voix de Kerwan.

"Tu crois vraiment qu'après tout ce que tu as fait, tu mérites d'être heureux. Tu vas la briser comme tu as brisé tous les autres. Comme tu m'as brisé moi. Tu te souviens de la colère, de la haine. Tu la tueras comme tu m'as tué. Tu ne sais faire que ça. Monstre."

Cecil ferma les yeux. Il se sentait vulnérable. Sans le savoir, Camille venait d'ouvrir quelque chose en lui. Et ses souvenirs, par dizaines, s'engouffraient par cette faille nouvelle, avides de lui montrer toutes les vérités qu'il avait occulté. Il n'aurait jamais cru ça, mais Cecil se mit à espérer que le trajet se termine le plus vite possible.

Camille accéléra. Bien plus que de raison. Mais Cecil ne s'en rendit même pas compte. Il avait fermé les yeux et pressait autant que possible son casque contre l'épaule de Camille. Le tourbillon dans l'esprit de Cecil accélérait et absorbait toute pensée rationnelle. Il revivait en boucle ses souvenirs, qui le hantaient. Il revoyait encore et encore les visages de ceux qui avaient fait sa vie, sans parvenir à comprendre la signification de tout ceci.

La moto ralentit et s'arrêta. Camille prit la main de Cecil et dit quelque chose qu'il ne comprit pas. Il devait lui parler. Elle devait comprendre, savoir dans quoi elle s'engageait. Savoir qui il était. Quel monstre il était. Il fut pris de vertige. Cecil se leva, manquant de tomber. Il retira son casque, qu'il posa sur la moto, fit quelques pas, chancela, et se prit la tête dans les mains. Elle devait comprendre, mais comment? Il essaya de parler, mais aucun son formulé ne sortit de sa bouche. Il avait tellement froid.

Cecil eut alors une idée. Une idée folle et dangereuse, mais ce fut la seule qui parvint à transpercer le flot incohérent de ses pensées. Il ne s'était jamais entraîné en légilimancie, même s'il était un bon occlumens. Toutefois, il connaissait les principes de base. Il essaya de mettre en œuvre son idée en inversant ces principes. Au lieu de chercher les souvenirs de Camille, il projeta les siens, lui ouvrant complètement la porte à son esprit.

Cecil lui fit voir tout ce qu'il put. Son enfance. Sa famille. Ses voyages. Son travail au Ministère. Ses amours et ses peurs. Le meurtre de Kerwan. La mort de Thomas et le sentiment de vide que Cecil ressentait depuis. Cela dura à peine quelques secondes, mais Cecil lui offrit le maximum. Ses émotions. Ses sentiments plus profonds. Ses doutes et ses principes. Il en ressortit complètement vidé, de toute émotion et de son énergie, mais il savait qu'il avait fait le bon choix. Il s'écroula à quatre pattes dans l'herbe. Elle devait savoir. Pourvu qu'elle ne le rejette pas...

Cecil n'avait plus conscience de ce qui se passait. Il entendait la voix de Camille comme un écho lointain dont il n'arrivait pas à comprendre. Il la sentit l'embrasser, mais ne réagit pas. Il n'y parvint pas. Ses souvenirs s'agitaient encore dans sa tête, il n'arrivait pas à penser correctement. Il ne savait même plus où il était.

Cecil tomba à genoux. La magie liée à l'esprit avait toujours été très éprouvante pour lui, et se donner ainsi à Camille lui coûta bien plus que de l'énergie. Il avait tellement mal partout. A la tête, au cœur. Il passa ses mains dans ses cheveux et se mit à se frapper le crâne, faisant tomber le nœud qui les retenait et valser ses lunettes. Il dodelina de la tête. Il ne voyait plus Camille mais il sentait sa présence à côté de lui. Il posa son front contre le sol. Il tenta de calmer sa respiration et d'apaiser ses souvenirs qui tambourinaient à l'intérieur de son crâne. Il inspira, expira, et quelque part accepta. Camille, son air de garçon et ses cigarettes. Le sentiment de vulnérabilité qu'elle lui faisait ressentir. L'amour naissant et vertigineux qui se dessinait sous leurs pieds. L'idée d'un futur à deux.

La lune s'était levée dans le ciel. Elle éclairait le lac et ses rives. Une brise estivale caressait la surface de l'eau et ridait de son souffle le miroir nocturne. De temps à autre, un bruit d'animal venait troubler le calme de la nuit, rappelant ironiquement aux deux professeurs que le monde était indifférent à leur détresse. Mais Cecil s'en moquait, car à cet instant, il choisit de se débarrasser de tout. De tous ses souvenirs, de toutes ses peurs. Sans doute le chemin serait long, mais il avait posé le pied sur cette nouvelle voie. Il se releva doucement, afin de ne pas être pris de vertige, puis il s'approcha du lac.

Cecil leva les yeux vers la lune, puis il commença à ôter ses vêtements. La douceur de l'air était suffisante, et il avait vraiment envie d'être nu. Il en ressentait presque un besoin physique. Il sentait le regard de Camille dans son dos et espérait qu'elle ne le prendrait pas pour un fou.

Il fit alors un pas dans l'eau, puis un autre, et avança jusqu'à s'immerger complètement. Il se mit sur le dos, flottant doucement sur l'eau, les bras en croix et les cheveux qui formaient une couronne autour de son visage. Il ferma les yeux, espérant que Camille comprendrait.

Cecil ne savait pas si Camille allait venir le rejoindre ou non. Il ne savait pas vraiment lui-même ce dont il avait envie. Mais lorsqu'elle se mit à chanter, il ne put s'empêcher de sourire. Entre les deux chemin, Camille prenait toujours le troisième, celui qui n'était ni indiqué ni pavé. Celui que seuls les êtres libres et sans contrainte pouvaient voir. Elle était là, elle chantait, sans doute un peu gênée mais en même temps furieusement elle-même.

Sa voix était rauque et éraillée mais elle était très expressive et mélancolique. La voix parfaite pour cet instant de nuit. Cecil se laissa bercer. Il devait décider ce qu'il allait faire par la suite. Il avait donné à Camille déjà bien plus qu'il ne l'aurait jamais cru. Il ne pouvait plus faire demi-tour et il ne le voulait pas. Il la voulait elle, tout en sachant qu'elle lui resterait à jamais inatteignable, libre et sauvage dans tout son être. Il ne lui demanderait qu'un peu de temps et d'amour et apprendrait à s'en satisfaire. Il arrivait à s'imaginer un futur profondément heureux, lui qui ne s'autorisait pas souvent le luxe de la joie.

Leur alchimie était réelle et intense. C'était ce qui effrayait Cecil le plus. Si elle prenait peur, elle s'en irait sans doute. Il allait devoir la traiter comme jamais il n'avait traité personne et surtout ranger dans un coin sa mauvaise humeur et sa fâcheuse tendance à toujours trouver ce qu'il ne possédait pas plus attirant. Elle méritait quelqu'un qui prenne soin d'elle, discrètement, sans l'étouffer, mais avec une passion et une honnêteté totales. Afin que toujours elle continue à chanter.

Cecil se remit en mouvement. Il commençait à avoir froid et il y voyait plus clair à présent. Il nagea vers la rive du lac. Malgré la lumière de la lune, la nuit garda le secret de son anatomie. Il se rhabilla rapidement, et se sécha d'un coup de baguette. Il laissa ses cheveux détachés. Il se sentait apaisé. Il s'approcha de Camille qui avait cessé de chanter.

« Je suis désolé de ce qui s'est passé. J'espère que tu pardonneras mon intrusion. J'ai un peu perdu pied, mais je vais mieux à présent. Comme tu le sais désormais, c'était l'enterrement de mon père aujourd'hui, ce qui explique mon état émotionnel. Maman est morte depuis une quinzaine d'années déjà. »

Cecil marqua un temps d'arrêt. Pour la première fois depuis bien longtemps, il cherchait ses mots.

« Je te demande pardon pour ses dernières semaines. La manière dont je t'ai ignorée était puérile et indigne de toi. J'avais juste peur que tu me rejettes, et c'est stupide parce que j'en suis venu à te rejeter toi. Je ne sais pas ce que tu as ressenti, je te laisse la pudeur de tes sentiments, mais je suis sincèrement navré de mon comportement. Tu mérites plus que ça. Je ne te connais pas très bien encore, mais mes sentiments pour toi sont profonds et inédits pour moi. Je suis en terrain inconnu, ce qui n'excuse nullement mon attitude cependant. J'ai mal agis et je le sais. Par respect pour toi et ton intimité je ne te demande pas ton pardon, mais si tu souhaite me l'offrir, je serais comblé. »

Elle allait avoir besoin de lui? Cecil ne s'y attendait pas. Il s'était déjà préparé à être en demande constante d'affection, mais visiblement, les choses se profilaient mieux que prévu. Peut-être après tout arriveraient-ils à construire une relation un tant soit peu équilibrée... Cecil eut un petit rire en la voyant se rouler une nouvelle cigarette, ce qu'elle faisait lorsqu'elle était gênée. Elle ajouta qu'elle se sentait ridicule. Oui, ça Cecil l'avait deviné. Il n'était pas facile pour une guerrière comme elle d'avouer avoir besoin de quoique ce soit d'autre que d'air et de tabac. Cecil ne fit aucune remarque sur l'aveu de son embarras. Il attendrait un peu avant de recommencer à la chahuter.

"Tu sais que ça te va bien les cheveux détachés ? Ça te donne un air sauvage..."

"Ah, euh... Merci!"

D'où est-ce que cela pouvait-il bien venir? Cecil cligna des yeux. Camille s'était mise face à lui, et l'attaquait ainsi d'un compliment venu de nulle part! Cecil était déstabilisé! Un instant elle est mal à l'aise et tout de suite après elle lui lance une pique. C'était pour le moins surprenant.

"Tu n'es pas mal non plus dans le genre sauvage. Enfin, pas sauvage asocial, mais disons... Euh... Non, bestial n'est pas le bon terme... Hum... Fichtre! Ah voilà! Féline!"

Celle-là aussi était venue de loin, mais Cecil était détendu à présent. Il ne rougit pas à son échec verbal. Il espérait plutôt la faire rire. Il profita de cette détente passagère pour glisser un message plus sérieux.

"D'ailleurs, si nous devons faire quelque chose ensemble, j'espère que tu garderas cet aspect de ta personnalité. Je dois t'avouer que j'aimerais beaucoup que nous fassions quelque chose ensemble. Du genre, quelque chose de sérieux... Si tu vois ce que je veux dire..."

Cecil maudit son manque de délicatesse mais tant pis. Elle était intelligente, mais il fallait qu'il soit clair.

"Après ce que tu as vu de moi, je peux supposer que tu n'as pas vraiment envie de ça, mais je te le propose quand même. Veux-tu être avec moi, tout en sachant qui je suis réellement? J'ai mauvais caractère, je suis buté et parfois méchant, mais mon attirance pour toi est sincère et véritablement profonde. Alors veux-tu embarquer dans cette aventure avec moi?"

Cecil fut tellement soulagé qu'il lui semblait que le monde entier était fait de coton. Pendant un court instant il s'était imaginé ce qu'il aurait fait si elle l'avait rejeté et il devait avouer qu'il n'avait pas réussi à penser à quoique ce soit de positif, sauf si on considère la dépression comme quelque chose de joyeux. Ce qui serait une contradiction dans les termes... Bref, il fut tellement soulagé qu'il se permit de prendre Camille dans ses bras et de l'embrasser langoureusement.

"Je peux faire ça maintenant."

Puis, Cecil s'écarta et fit quelques pas avant de s'étirer comme un chat. L'air commençait à se rafraîchir.

"Je te remercie beaucoup de m'avoir amené ici. C'est vraiment un endroit magnifique, Camille."

Puis il se tourna vers elle et lui sourit.

"Je te propose quelque chose si tu veux bien. Nous reprenons ta moto, nous filons en ville, nous trouvons et bar et nous vérifions lequel de nous deux tient le mieux l'alcool. Que penses-tu de cela? Oh, et, j'ai une autre question. Que fais-tu pour les vacances?"

"Du whisky? Parfait! Prépare ton foie, fillette, parce que c'est l'alcool que je tiens le mieux!"

Tout cela sentait vraiment très bon. Cecil avait une excellente descente, bien plus qu'il ne l'avouait souvent. Il avait un jour fait un concours avec un demi-géant luxembourgeois et l'avait battu, bien que leur verre soient des petits tonneaux. Il avait été affreusement malade le lendemain, mais cette soirée mémorable avait été un des meilleurs souvenirs de ses voyages en Europe.

Cecil n'avait rien prévu pour les vacances. D'une part parce que c'était la première fois depuis dix ans qu'il avait des vacances de plus de quinze jours, et qu'il ne savait fichtrement pas comment il allait s'occuper pendant tout ce temps, mais surtout parce que les chiffres et un pressentiment persistant lui avaient enjoint de ne rien organiser. Des évènements imprévus allaient se produire, positifs ou non. Ce qui c'était vérifié jusqu'alors. Cecil n'avait pas l'habitude d'organiser sa vie en fonction de ses calculs et de ses interprétations, mais, depuis qu'il avait quitté le ministère, il s'était ouvert à l'arithmancie et il sentait qu'elle allait l'aider à trouver une forme d'équilibre.

Camille lui dit qu'elle allait partir en Afrique. Trois semaines. Et qu'elle avait deux billets. Manière subtile de l'inviter tout en évitant de paraitre suppliante. Cecil ne put s'empêcher de rire. Elle était vraiment délicieuse. Cecil n'avait jamais été en Afrique, mais il avait toujours été attiré par ce continent, berceau de l'arithmétique, et siège de nombreux lieux magiques primaires. Cela promettait d'être intéressant. Peut-être pourraient-ils voir un lion. Cecil n'en avait jamais vu que dans des zoos, lieux qui le mettaient atrocement mal à l'aise. Il se décida de répondre à Camille par la ruse, un petit sourire taquin sur les lèvres.

"Quel hasard! J'avais moi-même prévu d'aller en Afrique. J'espère que l'on pourra se croiser. Quand à ce deuxième billet, il pourrait m'éviter la peine d'en acheter un. Je te rembourserai, peut-être. Si tu es sage."

Cecil fit un petit rire moqueur, attendant sa réponse. Puis lorsque le silence revint, il reprit.

"Bon, tu m'as parlé d'un bar! On y va ou on décide de camper ici?"