En me levant ce matin, j'étais loin de m'imaginer à quel point la journée allait s'annoncer aussi pourrie. Ou tout du moins pas à ce point-là. On était samedi, en vacances de printemps, il faisait plutôt beau dehors et même presque chaud. On allait avoir entrainement de Quidditch dans l'après-midi pour préparer le prochain match contre Serdaigle... Franchement, elle s'annonçait pas mal. Etant donné qu'on était le weekend et que nous pouvions nous passer de l'uniforme, je m'étais habillée d'un T-shirt noir et d'une jupe rouge sombre qui m'arrivait aux mollets, accompagnés de collants mi-opaques et d'une veste en cuir. Y'avait pas à dire, j'me sentais bien plus à l'aise dans ce genre de fringues. Après avoir fini de me coiffer et de me maquiller, je m'étais dirigé vers la Grande Salle pour avaler un bon petit déjeuner presque copieux à base de toasts à la confiture et de jus de citrouille. Jusqu'ici, tout se passait pas trop mal, me direz-vous. C'est à ce moment qu'Azimut débarqua en hululant, et le voir me donna le sourire. Il faillit rater son atterrissage, comme à son habitude, mais je tendis le bras pile au bon moment pour qu'il se pose dessus et qu'il se rattrape in-extremis.

- Salut, mon p'tit Az' ! T'as faim ?, lui demandais-je en lui tendant un petit morceau de toast grillé.

Il le regarda quelques secondes de son unique œil valide puis finit par le béqueter tandis que je lui caressait le plumage. Puis je vis qu'il avait une lettre accrochée à sa patte fêlée. Je n'avais pas d'amis qui m'envoyaient de courrier, alors la plupart du temps, ça voulait soit dire que ça provenait de Gwendolimace, ou de sa génitrice. Bingo ! Je reconnut immédiatement l'écriture de ma mère. Je poussa un soupir en fronçant les sourcils et la détacha de la patte d'Az' pour l'ouvrir. Ce fut l'erreur de ma journée. Elle se plaignait qu'elle en avait assez de recevoir des courriers annonçant mes retenues, qu'elle avait honte, que je devrais prendre exemple sur ma sœur, et bla bla bla... D'habitude, ce genre de mots me laissait indifférente... Mais pour une raison qui m'était inconnue, cette fois je sentis une colère fulgurante monter en moi.

Nan mais sérieux, je me faisait chier à rester à Poudlard pour ne pas avoir à la supporter, et il fallait qu'elle trouve le moyen de m'emmerder quand même ! J'en avait raz-le-bol ! Elle pouvait pas me foutre la paix, un peu ?! C'était ma vie, pas la sienne ! Alors qu'elle arrête de se mêler de tout ! Qu'est-ce que ça pouvait bien lui faire que j'étais collée, hein ?! Je tenta de contenir ma rage une petite seconde le temps de demander à Azimut d'aller se reposer dans la Volière, puis je me leva de mon banc brusquement et sortit de la salle à pas rapide, le sang bouillant à l'intérieur de mes veines. Trop, c'était trop ! Il fallait que je crie un bon coup, sinon j'allais craquer ! Je ne voulais voir personne, juste... Qu'on me foute la paix ! Je me rappela vite fait d'une classe désaffectée que j'avais croisée au Sixième Étage, et j'y fonça tête baissée, me retenant d'exploser en plein milieu du couloir. Ma respiration était si rapide que ma tête commençait presque à tourner. Une fois devant, j'ouvris brusquement la porte et la referma violemment en la faisant claquer derrière-moi.

Et j'hurla. Fort.

Puis je balança sur le même ton des tas d'injures qui feraient pleurer des Premières Années. Tout ce qui me passait par la tête, j'en avait rien à faire, il fallait que ça sorte ! Puis au bout de plusieurs minutes de rage intensive en faisant les cents pas... Mes jambes me lâchèrent dans un coin de la salle. Je me recroquevillai en repliant mes jambes contre ma poitrine et en les enlaçant... Puis éclata en sanglots. C'était rare... mais là, un tourbillon de sentiments faisait rage en moi, et je ne contrôlais plus rien. Alors je laissais couler.

Journée de merde...

La journée s'annonçait ennuyeuse... Liz était partie voir sa famille quelques jours pendant les vacances, mais moi je ne pouvais pas sortir... Et sans Liz, les journées n'étaient vraiment pas les mêmes. On s'ennuyait carrément. Je ne savais pas ce que j'allais faire aujourd'hui. Sans doute me balader dans la Forêt Interdite, rendre visite aux Centaures éventuellement. Bof... Le temps ne s'y prêtait pas trop, je préférais m'y rendre la nuit, quand il fait un petit peu plus froid. Je ne savais pas pourquoi, mais ça rendait mes ballades plus... agréables. De toute façon, j'avais toujours préféré la nuit au jour. Je ne savais pas pourquoi. Peut-être était-ce à cause de ma condition lycanthrope. Ou alors j'aimais la nuit, tout simplement. Il fallait dire que c'était complètement différent : le calme, déjà. Tout le monde dormait, la nuit, alors ça donnait un silence qui était des plus appréciables. Enfin bref, je m'égare un peu. D'ailleurs, en parlant de m'égarer... J'étais où, là ? Merde ! Avec mes réflexions, j'en avais encore perdu mon chemin ! Pourtant je SAVAIS que je devais faire attention où j'allais quand je prenais les escaliers, je le SAVAIS ! Pourquoi il fallait toujours que je me retrouve dans des situations pareilles ? Réfléchissons... Qu'aurait fait Liz si elle avait été avec moi ? Hm... Elle serait probablement allée explorer les lieux, en quête d'un quelconque truc qui éveillerait son intérêt. Bon, elle n'était pas là, mais étant donné que je n'avais rien de mieux à faire... Autant en profiter !

Je m'étais donc engouffré dans les couloirs qui me faisaient face, et les longeaient, les mains dans les poches de mon jean, marchant à pas lents. Puis au bout d'un moment, un étrange bruit se mit à bourdonner dans mes oreilles. Qu'est-ce que c'était que ça ? Curieux, je suivi la trace à l'oreille, et plus je me rapprochais, plus je me rendais compte qu'il s'agissait d'une voix. La voix d'une fille, pour être précis. Je me rapprocha encore, et je finis par comprendre ce qu'elle disait. Et là j’arquai un sourcil. Par les slips de Merlin ! Elle en ferait retourner ce vieux bouc dans sa tombe ! Elle semblait vraiment en colère pour sortir de telles injures. Contre quoi ? Aucune idée, même si j'arrivais à comprendre ce qu'elle disait, ses phrases ne semblaient n'avoir aucune cohérence entre elles. Mais plusieurs fois il fut mention d'une femme je crois, vu que la plupart étaient accordées au féminin. Qui avait donc bien pût la mettre dans un état pareil ? Je me tenais devant la porte qui menait à la salle où elle se trouvait, mais je n’eut pas besoin de coller mon oreille contre la porte pour entendre ce qu'elle disait. Même un sourd l'aurait entendue. Quelques tableaux aux alentours s'en plaignaient, d'ailleurs.

Puis soudain, plus rien. Je tendis l'oreille, soucieux, et je perçu... des sanglots. Aïe... La voilà qui pleurait maintenant. Ça devait vraiment être grave... Qu'est-ce que je faisais ? Est-ce que je devais aller la voir ? J'étais pas sûr qu'elle ait envie de voir un inconnu, mais je ne pouvais pas laisser quelqu'un comme ça non plus... Bon. Je sortis un Gallion de ma poche et la lança en l'air. Je la choppa au vol et l’aplatit sur le dos de ma main, avant de la caresser du bout du doigt pour en décrypter la face visible. Le sort avait décidé : je rangea ma pièce, et ouvrit lentement la porte en la refermant derrière moi.

- Euh... Ça va ?

J'avais envie de me foutre une claque. Évidemment, que ça va pas, pourquoi est-ce que j'avais posé cette question débile ? Quel idiot !

J'en pouvais plus... J'en avais marre... Tout ce que je voulais, là tout de suite, c'était partir loin d'ici. Loin de tout ça. Peu importait où. Du moment que c'était hors de portée de vol de hiboux. Je ne voulais plus recevoir de lettres. Plus jamais. Les larmes coulaient, inarrêtables, ponctués de temps à autres par des hoquets. Pourquoi est-ce que c'était toujours à moi qu'on s'en prenait ? Pourquoi ce n'était jamais Miss Parfaite qu'on engueulait ? Parce que Madame était une petite fille toute gentille, toute mignonne avec ses manières et sa politesse. Tu parles, une lèche-cul ouais ! Il lui suffisait de prendre son air de petite fille innocente pour qu'elle obtienne tout ce qu'elle voulait, et moi je pouvais me tamponner l'oreille avec une babouche parce que j'étais trop sincère, trop... moi-même. Putain ! Je t'en foutrais, moi ! C'était quoi le problème d'avoir les cheveux roses ? C'était quoi le problème d'avoir un tatouage ? C'était quoi le problème d'avoir des piercings ? D'être habillée comme une punk ? En quoi c'était moins bien que d'avoir une petite coupe au carré de merde de Madame Lèche-boules ?! Putain. Voilà que la colère remontait, mais ça n'avait que pour effet de me faire pleurer encore plus. Merde, j'en avait marre de chialer comme une gamine à qui on aurait confisqué sa peluche ! Tout ça à cause d'elle !

Trop occupée à sangloter, je n'avais pas entendu quelqu'un entrer, et je ne me rendis compte de sa présence que lorsqu'il m'adressa la parole :

- Euh... Ça va ?

Je releva brusquement la tête, une mèche de cheveux rebelle me barrant le visage. C'était l'aveugle aux cheveux blancs. Je l'avais déjà croisée plusieurs fois dans les couloirs. En même temps difficile de le louper : il avait une couleur de cheveux tellement atypique qu'il attirait irrémédiablement l’œil. Et venant d'une fille qui se teignait les cheveux en roses, ça voulait dire quelque-chose. Je me demandais si il était comme moi. Mais maintenant ça n'avait plus aucune importance. J'm'en fichais pas mal de sa tronche aux yeux blancs.

- Ouais, j'pète la forme, le soleil brille et les licornes chient des arcs-en-ciel. Tout va bien, répondis-je sèchement.

Putain, et voilà que je m'en prenais à lui par pur colère alors qu'il ne m'avait rien fait. De plus en plus pathétique. Je décida d'enfouir à nouveau ma tête entre mes jambes, comme pour me cacher de lui. Bravo, Vi. T'es vraiment la pire des connasses. Ma mère avait peut-être raison au final. Peut-être que je ne valais vraiment rien.

- Laisses-moi seule.

Il y eu quelques secondes de flottement dans lequel elle ne me répondit pas immédiatement, et mon odorat en profita pour me ramener principalement une odeur de... cuir ? J'étais pas sûr, étant donné que je n'en sentais pas souvent, mais il me semblait bien que c'était du cuir que je sentais. Bon, ce n'était pas une information capitale, mais dans les moments de silence, on fait toujours attention à des petits détails sans importance.

- Ouais, j'pète la forme, le soleil brille et les licornes chient des arcs-en-ciel. Tout va bien.

...Okay. Il y avait tout les signes possibles qui prouvaient que ça n'allait pas : la voix cassée mais tranchante et du sarcasme bien dosé. Bon... Au moins ça avait le mérite d'être assez clair. Par contradiction, certes, mais néanmoins très clair. Qu'est-ce que je devais faire, dans ce cas-là ? Non parce que là je crois qu'il était tout aussi clair qu'elle n'avait pas envie de parler. Est-ce que je devais partir ? Si Liz avait été à ma place, elle aurait sans doute insisté. Sauf que le problème était que je n'étais pas Liz. J'étais pas capable de faire tout ce qu'elle faisait, même si je l'aurais voulu. Mais même sans ça, j'étais un Poufsouffle. Et un Poufsouffle n'abandonnait pas quelqu'un dans le besoin. Car même si elle ne voulait parler à personne, avoir quelqu'un pour écouter pouvait faire du bien, même si ce n'était que moi, un gars qu'elle ne connaissait même pas.

- Laisses-moi seule, finit-elle par lâcher d'une voix faible.

Je m'approchais alors lentement et m’assieds à deux mètres en face d'elle, en tailleur.

- Écoutes... Je ne t'obliges à rien, mais parfois, parler de ses problèmes ça peut aider à les résoudre. Ou au pire à juste te sentir mieux. Ce n'est jamais bon de garder ses problèmes pour soi, et les accumuler jusqu'à les laisser exploser en toi. Crois-moi, je sais de quoi je parle.

Je faisais évidemment référence à mes premières années à Poudlard, où je n'avais absolument aucun confident (ou devrais-je dire aucune) sur ma nature lycanthropique. A ce moment-là, même en présence de Liz, je ressentais une solitude qui me rongeait de l'intérieur et dévorait mon bonheur à petit feu. Comme l'ombre d'un Détraqueur qui me suivait partout où j'allais, et qui aspirait ma bonne humeur avec une lenteur délectable. Mais à partir du moment où j'ai pu me confier à Liz, c'était comme si elle avait jeté un Patronus sur cette ombre, et l'avait fait définitivement partir. Depuis, je me sentais bien plus léger, bien plus heureux. Elle avait eu la gentillesse de me tendre la main. Et apparemment, cette fille en face de moi n'avait pas eu cette chance.

Pourtant, tout le monde devrait avoir sa chance.

- Je sais que tu ne me connais pas, et que je ne te connais pas non plus. Mais... Je suis prêt à t'écouter.