« Elle est mignonne cette petite, mais tu ne lui dois rien. » Voilà une des seules phrases que m'a dit Lance après que je lui ai raconté mon histoire. Karna. Le rouge de la passion et la violence de la trahison.

Je suis là, assis sur le plancher de cet appartement vide que je viens d'acquérir. C'est mon chez moi, c'est ma nouvelle page. Mon nouveau chapitre qui commence. Le magasin en dessous est plein de cartons et balais. C'est un joyeux bazar dans lequel Tolys se balade. J'entends ses griffes trop longues cliqueter sur le carrelage. Un bruit de cuillère sur une bouteille en verre. C'est un bruit rassurant. Je ne suis jamais seul grâce à lui. Jamais. Moi, je suis dans ce qui va devenir ma chambre dès que j'aurai installé mes meubles.

Quand je suis entré dans la pièce, quelques minutes plutôt, j'ai été surpris par ce grand miroir sale qui était nonchalamment appuyé contre le mur du fond. Tout de suite, il m'avait attiré, inexorablement. J'avais eu envie de le voir de plus près. Alors, sans réfléchir j'avais abandonné mes chaussures à l'entrée de la chambre et avait laissé mes pieds marquer la poussières après leur passage. Comme des pas dans la neige.

Arrivé devant, j'ai regardé les contours vieux et noircis, j'ai regardé les grains de rouilles qui déformaient la surface lisse. J'y ai passé les doigts et je me suis vu.

Je me suis alors laissé glisser au sol et me voilà maintenant en train de regarder mon propre moi et d'entendre encore Lance me dire que je ne devais rien à Karna. J'ai m'y longtemps à le comprendre et à l'accepter.

Je ne sais même pas si je l'accepte en fait. Je le vis seulement. Oui. Je le vis. Comme je l'ai vécu il y a quelques années. Enfin … Vécu... Subi plutôt. Mais là n'est pas la question.

Je regarde mes cheveux noirs corbeau que ma chemise aux tons d'hermines fait ressortir. La pièce est lumineuse et je sais que mon haut blanc ferai mal aux yeux si quelqu'un me voyait mais dans ce miroir noirci tout semble terne. Vide. Mort.

Je ne lui dois rien.

Ce n'est pas moi qui l'ai mit enceinte. Ce n'est pas moi qui ai parlé à ses amies. Je n'ai rien dit.

Je suis resté passif.

J'ai été spectateur de ma propre vie.

Je fixe mes yeux verts et je les maudis d'avoir été aussi aveugles. J'aurai du ignorer, j'aurai du laissé couler. J'aurai du.

Mes sourcils se froncent dangereusement. La colère monte en moi.

Et je me mets à hurler. Un cri désincarné et discontinu. Un cris plein de hargne et de rage. Le genre de hurlement qui fait un bien fou mais qui ne sert à rien.

Je n'entends plus les cliquetis des griffes de Tolys. Je n'entends plus rien que ma propre voix qui fini par se briser alors que j'éclate en sanglot. Je pleure tout ce que je peux, silencieusement.

Je n'arrive même pas à la haïr pour ce qu'elle à fait, pour tout ce qu'elle est. Je n'arrive pas à décharger ma haine sur elle. Impossible.

Non, Lance à raison, je ne lui dois rien et je ne lui ferai pas le plaisir de lui donner quoi que ce soit. Même ce sentiment négatif qui m'a toujours bouffé de l'intérieur.

Je renifle d'une manière bien peu élégante et regarde une nouvelle fois mon visage dans le miroir. Mes yeux brillent, mes joues sont rouges et Tolys me regarde silencieusement depuis l'embrasure de la pièce. Je ne l'avais pas entendu monter. Il entre, les cliquetis recommencent. Il s'assoit à ma droite et regarde mon reflet.

J'ai cru lire des reproches dans ses yeux noirs.

Je souris alors. Je pousse un profond soupire et le carillon du magasin sonne, nous faisant sursauter. D'en bas, j'entends Lance qui hurle mon nom.

Je me regarde une dernière fois dans ce miroir sale et terne, je me relève et salue mon reflet qui sera maintenant le fantôme de mon passé. Celui dont je vais me débarrasser.

De ma voix encore tremblante j'appelle Lance pour m'aider à le descendre. Il ne le saura jamais mais une nouvelle fois, il m'aura aidé à me relever. Ce sera encore une fois grâce à lui que je tremperai ma plume dans l'encre pour un nouveau chapitre. Je suis le violon et il est l'archet.

On attrape les bords de ce miroir et descendons les escaliers. Je ne peux plus m'empêcher de sourire maintenant. Effectivement Lance, comme tu dis :

« Elle est mignonne cette petite, mais tu ne lui dois rien »