Ma camarade m'adressa un sourire et passa une main dans ses cheveux sans sembler y penser. Elle sembla se perdre dans des réflexions pas très amusantes et j'attendis qu'elle reprenne. On avait tous notre lot de souffrance et elle n'avait pas du être épargnée vu ses absences régulières du dortoir. Il aurait fallu être aveugle ou vraiment sans coeur pour ne pas se rendre compte qu'elle revenait de loin.
Je me sentis un peu honteuse de déprimer pour de petites choses alors qu'elle se battait pour revenir à une vie à peu près normale.

-Oui, voler nous libère des chaines qui nous entravent au sol. On arrive à tout oublier, nos soucis, nos souffrances. Parfois on ne veut même pas redescendre sur le sol car on ne veut ou peut pas affronter nos problèmes… Enfin bref félicitation Yohana, tu te débrouille très bien ! Ton intuition te sauvera la mise dans le match tu verras et tu apprendras beaucoup d’autres figures pour surprendre tes adversaires ! Pour moi, il n’y a aucun souci à ce que tu intègres l’équipe en tant que poursuiveur et une fois que je l’aurais raconté aux autres, ils seront de mon avis. Mais je veux quand même tester tes capacités en tant que batteur, vu que tu hésitais entre ces deux postes. Ne te soucis pas de ta force, tu pourras l’améliorer quand on s’entraînera, ce qui m’intéresse c’est ta visée et ta capacité d’adaptation.

Kathleen s’éloigna de nouveau et sortit sa baguette. Je me remis dans le bon état d'esprit de la sélection et attendis sagement ses explications :

-L’exercice est simple, évite les bleus et frappe dans les rouges en direction des anneaux là-bas. Prêt ? Go !

Changer les couleurs, astucieuse combine pour déstabiliser un candidat, mais ce n'était pas vraiment un problème pour moi. Je prenais vite le pli dans ce genre d'exercice d'acrobatie mentale et ce ne fut pas difficile de se rendre compte qu'à présent les balles bleues se comportaient comme de parfait cognards vicieux.
Je resserrais ma prise sur ma batte et me mis à la poursuite des balles rouge.
Le plus compliqué fut d'ajuster au mieux mes tirs vers les anneaux tout en prenant compte de ma propre position. Kathleen s'arrangeait toujours pour m'empêcher d'être dans la position idéale pour frapper et il me fallu plus de temps que je ne le pensais pour commencer à me sentir à l'aise. Autant esquiver et attraper ne me posais pas vraiment de problème, autant avec le tir, je commençais à me rendre compte que ce n'étais pas aussi simple que ce que je pensais. Je mettais plus bien plus de temps à réussir à trouver une bonne opportunité pour frapper les balles.
Je finis par me rendre compte que je n'étais pas assez souple sur mon balais et après quelques essais, je trouvais un équilibre entre une poigne ferme sur le manche et élancer d'abord mon corps pour changer de direction plutôt qu'en forçant mon balais par la force. Je finis par réussir un tir sur trois dans des positions compliquées, mais Kathleen ne devait s'estimer satisfaite car elle fit durer l'exercice.
Je n'étais pas contre un peu plus de pratique et je continuais à suivre le rythme qu'elle m'imposait. En plus, tout au fond de moi, ma volonté d'assimiler cette technique de vol était de plus en plus forte, et me poussais à m'améliorer.

Je finis par perdre la notion du temps, ainsi que celle du haut et du bas - j'avais souvent la tête en bas - et je commençai à sentir la fatigue venir. Profitant d'une accalmie, je jetai un rapide coup d’œil à la position du soleil dans le ciel. Il avait pas mal avancé au moins une heure depuis le début de l'exercice, mais il nous restait du temps avant la nuit.
Mon inattention fut interprétée comme un signe pour Kathleen et elle arrêta de lancer des balles.

Le temps que l'adrénaline redescende à un niveau à peu près normal, je me rendis compte que j'étais épuisée. J'avais tellement était prise dans le truc que je ne m'étais pas rendue compte que je n'étais pas loin de la limite. J’atterris avec plus de fracas que je ne le pensais et me laissais glisser au sol.
Ma camarade me rejoignis et je vis une lueur d’inquiétude que je ne compris pas tout de suite.

- Ne t'en fais pas, j'ai juste un peu trop forcé, lui expliquai-je avec un sourire quand je compris qu'elle s'inquiétait pour moi. Pour je ne sais quelle raison, mon corps n'est pas assez résistant pour supporter ma magie. Du coup j'ai tendance à avoir des malaises si je force un peu trop. Mais j'en avais assez de vivre comme une poupée de porcelaine, alors j'ai commencé à courir deux fois par semaine. Depuis le printemps je cours le mardi le jeudi et le samedi. Toujours très tôt au moment où le soleil se lève.

Je m’arrêtais de parler un instant pour m'étirer un peu avec quelques mouvements de Tai-chi-chuan. C'était mon frère qui m'avait conseillé de le faire avant et après chaque effort physique, et j'étais forcée de constater que c'était une idée géniale.
Je repris mon babillage tout en continuant d'enchainer les mouvements :

- Au final, malgré ce que dit l'infirmière, faire du sport ne me fait pas de mal. Au contraire, grâce à ça je me sens plus résistante et je fais moins de crises. C'est ça qui m'a décidé à tenter d'entrer dans l'équipe alors que l'an passé c'était tout simplement inimaginable. Mais assez parlé de moi, parlons plutôt de ma performance. Je ne suis pas sure que ça a été très glorieux, l'exercice s'est avéré difficile. Mais ça m'a plu et je suis contente d'avoir pu découvrir une toute autre façon de voler.

Je offris mon plus beau sourire depuis plusieurs mois à Kathleen. Même si je n'étais finalement pas aussi douée que je l'aurai voulu, j'avais passé un bon moment avec elle et j'avais de grande chance d'entrer à mon tour dans l'équipe de ma maison. J'avais tellement hâte que j'en avais oublié tous mes soucis.