Ce matin-là, en me réveillant d'une nuit bien plus courte que d'habitude, je sus que quelque chose s'était produit. Lorsque je descendis dans la pièce commune de l'hôtel où mon oncle et moi logions, je le vis, l'air dévasté, une lettre à main. Un me la tendit sans rien dire, préférant sans doute que j'apprenne seul la terrible nouvelle. Écrite de la main de mon père, il ne contenait que quelques mots :

« Siobhan a été assassinée. Je m'occupe de tout. Empêche Cecil de revenir, c'est trop dangereux.
Thomas. »

Mon esprit se vida dans toute pensée, mon cœur de toute émotion. Je ne voyais plus rien. Marc voulut poser la main sur mon épaule, mais je reculai. Je sortis en trombe de l'hôtel. Marc me suivit en courant, criant que je devais rester là, pour ma propre sécurité. Un coup de coude dans la pommette me donna le temps de transplaner.

Je réapparus devant sur le toit de l'immeuble où se trouvait notre appartement, à Londres. Je dévalai les escaliers et fonçai vers la porte entrouverte. Je trouvai papa à l'intérieur, en train de parler à trois hommes habillés en noir, vraisemblablement des employés du ministère. Lorsqu'il me vit, il me conjura de repartir, prétextant un danger pour moi. Il avait l'air fatigué, mais paraissait indemne. Je le pressai de questions, demandant où, comment cela s'était passé. Et surtout qui.

Il refusa tout d'abord de me répondre. Mon ton se fit alors plus sombre, plus dur, plus désespéré. Je le suppliai. Ce fut un des employés du ministère qui répondit, d'une voix sans âme, sans doute pour me faire taire. Papa prit mon visage entre ses mains. Il était presque hystérique. Il me fit promettre de ne rien faire, de retourner auprès de Marc et d'y rester. A mi-mot, je lui promets. L'énergie me quitte, mes jambes m'abandonnent, et je me retrouve assis par terre, le dos contre le mur. Papa dit aux hommes du ministère qu'il passerait les voir plus tard. Ils partirent sans rien dire. Papa me prit dans ses bras, ivre de douleur, mais je ne pleurais pas.

Je n'arrivais pas à avoir une pensée construite, je n'essayais même pas. Papa pleurait sur mon épaule. D'un geste sec je me relevai, et sans un regard pour mon père éploré sur le sol, je sortis de l'appartement et je transplanai. Mais pas pour retrouver Marc.



Je m'approche du manoir, et je sors ma baguette de ma manche. Je sens les sortilèges de protection qui émanent du haut mur qui fait le tour du jardin. Pendant quelques instants je cherche, j'écoute les enchantements, puis je trouve le point de rupture. Je pousse de toutes mes forces. La voie est libre. D'un coup de baguette, je change le portail en sable, et d'un autre, j'envoie sur le manoir une puissante gerbe de flammes. Aussitôt, le toit s'embrase. A l'intérieur, j'entends des cris. La porte s'ouvre et plusieurs personnes sortent, leur baguette à la main. Je n'en vois qu'un seul. Kerwan O'Connel.

En me voyant, il sourit et lève la main.

« Celui-ci est pour moi. »

Il s'avance vers moi, la baguette pointée vers ma poitrine. Je devrais avoir peur, je devrais être triste, mais je suis prêt, comme si chaque seconde de ma vie avait mené à cet instant précis. Je lève ma baguette vers lui. Je la sens trembler dans ma main, prête au combat.

« Tu es prêt à en finir, mon garçon. Prêt à en finir comme ta mère. »

Ce n'est pas une question, alors je ne lui fais pas cadeau d'un seul mot. Qu'il parle s'il le souhaite, plus il parle, plus il se déconcentre.

« Elle est venue aussi tu sais, comme toi. Et elle s'en est mordu les doigts. »

Maman est venue aussi. Pourquoi ? Pourquoi une telle folie ? Il doit y avoir une raison, mais je n'arrive pas à voir laquelle.

« Maintenant vous tous, laissez-nous. »

Un à un, les autres membres de ma famille disparaissent, et bientôt il n'y a plus que lui et moi. J'attaque.

D'un mouvement ample, j'anime les statues du jardin qui se précipitent vers mon oncle. Je roule sur le côté pour éviter un sort, et, tandis que mes soldats l'occupent, j'incante une formule compliquée. Avec un hurlement de rage, Kerwan fait exploser les statues, mais mon sort est prêt. Du bout de ma baguette sort une gigantesque gerbe de feu qui s'étend vers lui et l'enserre.

Il se protège du mieux qu'il peut, et transplane de l'autre côté du jardin. Mon sort se résout et explose violemment, créant un énorme trou dans le sol. L'herbe se met à brûler presque partout dans le jardin. Kerwan me lance plusieurs éclairs d'un vert éclatant à la suite, m'obligeant à courir dans la direction opposée. Je saute derrière un talus, et j'essaie de reprendre mon souffle. Avec ma baguette, je décris plusieurs cercles dans les airs. Derrière moi, j'entends la terre se déchirer. Je me remets à courir.

Les créatures de terre et de roche que j'ai invoqué harcèle Kerwan, mais une fois encore, il parvient à briser violemment mon sort. J'arrive près du manoir. De toute mes forces, j'envoie un sort contre le mur. Un pan entier de la maison s'écroule. En grognant sous l'effort, je lance sur mon oncle d'énormes morceaux de mur grâce à la lévitation.

J'essaie de gagner du temps, le plus possible, pour le fatiguer, l'irriter, car je sais qu'en duel régulier, je n'ai aucune chance de le vaincre. J'agite ma baguette une fois de plus et l'herbe autour de Kerwan s'embrase. Les flammes deviennent bleues tant elles sont chaudes.

Je me remets à courir vers l'intérieur de la maison. Un peu partout je lance des sorts à retardement sur les murs. Je déboule dans ce qui semble être le salon, et me cache derrière un meuble. La chaleur est terrible, je sens la sueur couler dans mon dos et dans mes yeux. Je sers ma baguette tellement fort que mes mains souffrent.

Enfin, j'entends le pas de mon oncle arrivé vers le salon.

« Où es-tu, espèce de lâche ? » Éructe-il, hors de lui.

Je sens entre mes doigts mes sorts en suspens. D'un coup de baguette je les active tous. La puissance de l'explosion est telle qu'elle souffle l'armoire derrière laquelle je me cache, et moi avec. Je me retrouve précipité à travers une fenêtre, complètement sonné.

Un énorme craquement indique que la charpente à céder. Le manoir s'écroule sur lui-même, ensevelissant mon oncle. A ma gauche, j'entends soudain le bruit caractéristique d'un transplanage. Je vois mon oncle, couché sur le dos, en train de tousser. D'un coup de baguette, un bandage apparaît et panse son bras gauche, qui s'arrête désormais au-dessus du coude. Le sang tâche sa robe argentée.

Je me sens pris de nausée. J'essaie de ma relever, mais je n'arrive qu'à retomber un peu plus loin. J'entends mon oncle crier.

« Tu as voulu me tuer, bâtard. Tu as échoué ! »

Il éclate d'un rire dément, empreint de haine et de souffrance.

« Comme ta salope de mère, qui n'a jamais voulu accepter son héritage. Une lâche, une couarde, comme toi qui ne veux pas m'affronter en face. Je l'ai tuée, cette salope. Elle ne s'est même pas défendue. Elle m'a supplié d'arrêter cette folie, mais quelle folie ? Pourquoi est-ce qu'on devrait vivre cachés, comme des rats, honteux de ce que la nature à fait de nous ? C'est vous qui devriez avoir honte ! Imagine ce que nous pourrions faire de ce monde ! »

Qu'il se taise ! Pitié qu'il se taise. Je ne sens plus mon corps. Je ne sais pas ce que j'ai ressent, j'ai juste chaud. Sans trop savoir comment, je me retrouve debout. D'un geste sec je désarme Kerwan. Je lance sur lui un éclair rouge et je l'entends crier. Je veux qu'il souffre. Je ne veux qu'il meurt, je veux le voir souffrir, me supplier.

J'accentue la puissance du sort, et ses cris deviennent des hurlements. Je sens sa souffrance. Ses yeux se révulsent, gonflent. Du sang sort de son nez, de sa bouche et bientôt de ses yeux, qui explosent sous la pression.

Je lève ma baguette. Les hurlements ont cessé. Le silence est revenu. Kerwan ne bouge plus. Je me sens vide. Maman est morte. Les larmes coulent sur mes joues. Maman est morte. Je tombe à genous et frappe Kerwan. C'est lui qui l'a tuée, alors je frappe Kerwan. Je le hais, je le hais. Je veux qu'il souffre.

Je me lève enfin. Mes mains tremblent. Je suis recouvert de sang. Le mien le sien, je ne sais pas. Je dois avoir mal, mais je ne sens rien. Je suis vide. Je transplane.

Maman est morte.