31 ans? Cecil comprenait à présent. Il sourit à la question de Conuratio et soupira un peu.

"Vous êtes un jeune homme. Je m'approche de la quarantaine. Trente-neuf longues années depuis juillet dernier. Il est normal que nous ne nous soyons pas rencontrés à Poudlard alors."

Cecil s'étonna un peu de l'âge de son collègue. Non pas qu'il ait l'air vieux, mais plutôt car il disposait d'une sagesse bien supérieure à ce qu'on pourrait attendre de quelqu'un de son âge. Et découvrir son âge ne fit qu'accroître le respect nouveau que Cecil se découvrait pour ce collègue qu'il ne connaissait pas quelques minutes auparavant.

"Vous étiez donc à Poudlard lors des évènements?"

Cecil s'assombrit un peu. Il abordait un sujet sensible pour lui.

Cecil sentit immédiatement le malaise de Conuratio et s'en voulut d'avoir posé la question.

"Je comprends."

Il baissa son regard vers sa copie et prit quelques minutes pour finir de la corriger. "De bons passages mais un ensemble flasque" fut son commentaire à côté d'un A rouge qui vint s'inscrire sur le coin supérieur gauche de la copie. Cecil le posa ensuite sur la pile de celles qu'il avait corrigées et il en attrapa une autre. Il ne lui en restait que cinq. Toutefois, il ne put s'empêcher d'ajouter quelque chose pour Conuratio.

"Désolé de vous avoir posé cette question. Ma curiosité aurait dû mieux respecter votre pudeur."

Cecil acquiesça mais ne répondit pas. Il ne pouvait en effet ne pas penser à sa mère dès qu'il a bordait ce sujet. Lui-même avait participé à la guerre à sa manière et le souvenir de l'affrontement avec son oncle résonnait encore dans ses os.

"Oui je suis d'accord. Surtout notre génération qui était jeune à l'époque. La guerre a formé nos esprits et nos attentes du monde. J'espère que de tels évènements ne se reproduiront pas de sitôt."

Mais le ton de Cecil prouvait qu'il n'y croyait pas vraiment. Ses calculs et ses recherches faisaient sans cesse ressortir une ombre qui assombrissait l'avenir sans que Cecil parvienne à savoir pourquoi.

Je regardais mon collègue avec intérêt tout en acquiesçant à ses paroles :

   -    Je l'espère aussi...Cette période a été dévastatrice pour notre monde. Mais j'ai bien peur que ce soit dans la nature des hommes de créer le chaos et de chercher une paix après lui. La plupart de nos élèves n'ont pas vécus la guerre, ou alors ils ne s'en souviennent pas.Mais ils ont quasiment tous été touchés par elle. C'est triste.

C'était triste de voir que certains avaient été touchés par la guerre s'en même pouvoir s'en souvenir. Ca l'était peut-être autant que pour ceux qui l'avaient vécu de près comme Cecil semblait l'avoir vécu, ou comme moi d'ailleurs.

Cecil hocha la tête, l'air grave.

"Il est donc de notre devoir de faire en sorte qu'ils apprennent de nos erreurs. En espérant que cela soit possible."

Cecil ignorait s'il y croyait ou non mais il savait qu'il donnerait toute son énergie et tout son courage dans ce sens.

"En tout cas, je suis ravi de voir que nous partageons la même idée sur la question. J'en suis malheureusement venu à constater que beaucoup on la mémoire courte et que le sectarisme est toujours un fléau qu'il nous faut surveiller."

Le ton de Cecil était dur, froid et laissait poindre une noirceur assumée. Jamais il ne laisserait se reproduire ce qui lui avait coûté sa famille.

J'entendis le changement de ton dans la voix de Cecil et je n'eu aucun mal à comprendre qu'il avait dû perdre des êtres chers pendant la guerre. Je me dandinais sur ma chaise, assez mal-à-l'aise. Après tout, celui qui me faisait office de père avait prit parti pour Voldemort. Après tout, peut-être avait-il tué ces gens que mon collègue avait aimé ? Comment réagirait Cecil s'il l'apprenait ? Je tentais alors de reprendre contenance :

- En effet, j'entends souvent des paroles regrettables qui me mettent hors de moi et me forcent à distribuer des retenues. Avec tout ce qui s'est passé, les morts et les drames qu'il y a eut, certains élèves semblent déterminés à garder leurs œillères. Quelques uns sont jeunes et sont encore sous l'influence malheureuse de leur famille. Mais qu'en est-il des plus vieux, qui sont censés réfléchir par eux-même ?

Cecil hocha la tête gravement devant l'indignation de son collègue. Lui aussi pensait que le comportement de certains membres de la société sorcière était proprement révoltant et il désirait plus que tout se battre afin que la situation évolue.

"Vous savez, je pense que nous ne pouvons pas faire grand chose pour ces gens-là. Ils sont adultes, ils ont fait leur choix de vie. Notre mission auprès de la jeunesse n'en est que plus importante."

Cecil replongea son regard vers la copie qu'il corrigeait et, en quelques instants, il finit par annoter un A écarlate sur le coin supérieur avant de passer à la suivante. Ses pensées le travaillant encore, il leva à nouveau les yeux vers Conuratio.

"J'espère sincèrement que Poudlard saura rester ce qu'il doit être, un havre où les jeunes sorciers peuvent apprendre, s'épanouir et découvrir le monde et les choses sous des angles divers."

J'hochais la tête pour marquer mon approbation. Le problème étant que la jeunesse était grandement influencé par les adultes, et beaucoup plus par leurs parents que leurs professeurs.

- Oui, mais ils écouteront beaucoup plus leurs parents que nous, et je ne crois pas que l'on puisse leur jeter la pierre.

Je m'esclaffais en l'entendant mais c'était un rire jaune. Je levais vers lui un regard qui n'était pas du tout confiant :

- Oui... On espérait ça, la première fois. C'était le cas puis après... On sait comment ça a terminé, les mangemorts sont venus et ont transformés le château en cimetière...

Je pouvais presque être heureux de ne pas avoir vécu les combats, mais en même temps cela me faisait beaucoup culpabiliser de ne pas y avoir participé. Surtout sachant que mon père était du côté de Voldemort.

- Vous étiez à la grande bataille ? demandais-je d'une petite voix.

Cecil s'assombrit devant la question de son collègue. Ce sujet était assez délicat pour lui, mais, quelque part, il ne voyait pas pourquoi il aurait dû lui mentir.

"Non, je n'y étais pas. Ma mère a été assassinée quelques mois avant la bataille de Poudlard alors mon père m'a demandé de rester loin de la Grande-Bretagne. Je viens d'une famille haïe par les Mangemorts voyez-vous."

Cecil ne put masquer la fierté qu'il avait de se trouver contre ces êtres qu'il abhorrait tant. Il releva les yeux vers Conuratio.

"Mais, comme de nombreux sorciers à l'époque, j'ai regretté de ne pas y avoir participé."

Bien sûr que je voyais très bien. Je n'avais jamais entendu son nom, à la maison, mais je savais qu'il y avait beaucoup de familles détestées par les Mangemorts. J'ai vu quelques victimes, j'ai vu quelques punitions et je préférais ne pas trop m'en rappeler.

- J'en suis navré.

J'étais sincère. Et je me sentais un peu coupable aussi, alors qu'il n'y avait aucune raison que je le sois.

- Ma mère m'a retiré de l'école en Février. Elle ne voulait plus que j'y mette les pieds, parce qu'elle disait que ça empirait. Donc je suis resté à l'écart de tout ça, cloîtré dans un manoir. Mais comme vous, j'ai regretté de ne pas y avoir participé, d'avoir laissé des proches mourir, sans moi à leurs côtés.

Je me gardais bien de dire d'où elle tenait ses informations. De la bouche de mon père bien sûr, qui lui, me voyait comme le cheval de troie idéal, au château avec d'autres tels que les Malefoy, Crabbe et autres... Je voulais y participer pourtant, avec les Aurors. Je comprenais donc ce sentiment d'impuissance qu'éprouvait Cecil.

Il n'y avait pas besoin d'être devin pour s'en apercevoir, et Cecil était suffisamment bon observateur pour s'en rendre compte : cet épisode avait profondément marqué Conuratio, et de nombreux secrets se cachaient derrière sa franchise. Combien d'amis avaient-ils perdu? Comment avait-il vécu les heures impuissantes? Cecil ne lui demanderait pas, même si son jeune collègue avait attisé sa curiosité.

"Ne soyez pas trop dur avec vous-même. Ce choix n'était pas le vôtre et les circonstances ont été telles que vous étiez en sécurité. Ne vous blâmez pas pour ce que vous auriez pu faire, mais pensez plutôt à ce que vous pouvez faire de cette leçon amèrement apprise."

Cecil craignit de paraître tel un vieux sage qui enseigne à un disciple, mais ses mots étaient sincères et il espérait que Conuratio le comprendrait.

Les paroles étaient sages. Mais j'étais malheureusement de ceux qui pensait que lorsqu'on voulait vraiment quelque chose, on pouvait l'avoir en forçant peut-être le destin. Ce que je n'avais pas fait. Je n'avais pas lutté, je m'étais rangé et c'était sans doute ça que j'avais du mal à me pardonner.

- J'entends vos paroles. Mais je pense que tout est une question de volonté et que si je regrette aujourd'hui, c'est qu'au fond, je l'ai mérité.

Cela faisait très bizarre de se remettre ainsi en question. Mais le faire de temps en temps ne faisait pas de mal.

- Mais cela s'est passé il y a quinze ans, et je pense qu'il faut savoir passer à autre chose avec le temps. C'est souvent ce que l'on dit à nos élèves, mais nous n'y croyons pas nous-même. Mais n'allons pas nous pourrir l'après-midi à discuter de cela.Ce qui est fait est fait et l'on ne peut revenir dessus, alors autant accepter.

Je jetais un coup d'oeil aux dix copies qu'il me restait. J'avais presque finit, et j'avais hâte. Je n'avais pas mit beaucoup de note correcte et cela me désolait.

"Certes."

Cecil admirait la capacité que semblait avoir Conuratio d'aller de l'avant. Il lui enviait peut-être en partie. Lui-même gardait un fort attachement au passé qui, sans en devenir pathologique, marquait parfois tristement son présent. Avec un imperceptible soupir, il retourna à la copie qu'il était en train de corriger. Les minutes s'égrainèrent sans autre paroles que le chant des plumes sur le parchemin et le froissement sporadique du papier. Lorsque enfin la dernière copie fut corrigée, Cecil remis ses lunettes sur le haut de sa tête avec satisfaction.

"Voilà une bonne chose de faite."

A l'instar de mon collègue, je repartis dans ma fastidieuse correction. Franchement, ce devoir n'était pas infaisable ou alors le niveau des élèves avait baissé en quinze ans ? Au bout d'un moment, je le vis bouger et je pu constater qu'il avait finis. Je soupirais en jetant un regard morne aux dix copies qu'il me restait.

- Quelle chance. J'ai dû surestimer la capacité de mes élèves, j'aurais dû m'y mettre plus tôt.

Sans attendre je barrais tout une phrase en me passant une main sur front. Je mourrais d'envie de mettre une note catastrophique, mais je décidais de sauver un peu les meubles, avec un "A".

Cecil sourit devant le désarroi de son collègue et il se félicita intérieurement d'être le professeur d'une option exigeante où les classes étaient très réduites. Il rassembla ses affaires d'un coup de baguette et se leva prestement.

"Le devoir m'appelle. Un cours sur les carrés magiques pour les cinquième années. Bon courage, cher collègue. Ce fut un plaisir d'échanger avec vous."

Cecil sourit à moitié à Conuratio et sortit de la Salle des Professeurs, son sac de cuir sous le bras.