Seyn m'avait probablement laissé le devancer exprès, pour pouvoir exécuter sa figure. Il avait probablement besoin d'espace. Mais ce qu'il faisait, là... C'était terriblement dangereux ! J'écarquillai les yeux en ralentissant, au cas où j'aie besoin de venir à son secours. Ce fou se tenait debout sur son balais ! En équilibre, un sourire plaqué sur le visage. Il risquait sa vie, là. Faire des figures était une chose, être inconscient du danger en était une autre.

Comme de bien entendu avec quelque chose d'aussi... Inqualifiable... Seyn finit par rater son coup. Il s'était penché comme pour accélérer, mais fut pris au dépourvu par la réaction de son balais. Il passa au-devant de son balais en tombant dans le vide. Je fis aussitôt demi-tour en sortant ma baguette de la poche de mon manteau. Par réflexe, je lançai d'une voix ferme :

"Levicorpus !"

La chute de Seyn fut brutalement stoppée par mon sortilège et je m'arrêtai à sa hauteur, les yeux écarquillés. Si je n'avais pas été là, il aurait fini en chair à pâtée. J'étais tellement surpris que je m'exclamai en français :

"Par tous les sortilèges d'Ursula !"

Je secouai la tête et me repris, en anglais cette fois :

"Tu es complètement fou, Seyn ! tu aurais pu te rompre le cou ! Comment tu aurais fait si j'avais continué la course sans te regarder, hein ?"

Je fronçai les sourcils, consterné par l'inconscience de mon aîné. Si au moins il y avait eu quelqu'un d'autre que nous sur place pour éviter le pire... Mais nous étions seuls, nom d'un hippogriffe ! L'adrénaline de la course et la peur due à sa petite virée aérienne m'avaient retourné le cerveau et je descendis lentement, concentré pour ne pas le lâcher. Son balais s'était stoppé à une trentaine de mètres de là et perdait peu à peu de l'altitude.

Le pire dans toute cette histoire, c'était probablement que Seyn avait l'air d'avoir envie de rire. Il n'y avait rien de drôle là dedans. Je savais bien que ça arrivait régulièrement de tomber de son balais -comme pour moi quand j'essayais des figures-, mais là, il y avait des cognards. Proches, qui plus est. Il aurait pu s'en prendre un pendant sa chute, par Merlin ! Et là, il aurait beaucoup moins ri.

-Ceci, répliqua-t'il en sortant sa baguette pour lancer d'une voix assurée : Accio Balais !

Le balais ne se le fit pas dire deux fois et revint docilement vers lui. Il l'enfourcha aussitôt et se stabilisa. Il se justifia avec un soupir :

-Désolé pour la frousse occasionnée, c'est assez fréquent chez moi les chutes dans ce genre mais je te remercie. Merci beaucoup.

Je soupirai à mon tour, consterné. Ce n'était pas parce que c'était fréquent qu'on pouvait prendre cela à la légère. J'avais déjà vu de mes yeux le résultat d'une chute aussi conséquente et ça n'était pas vraiment beau à voir. L'une des premières choses que ma mère m'avait enseignées quand j'avais appris à voler, c'était d'être très prudent. Elle disait toujours qu'il vaut mieux être moins remarquable en un seul morceau qu'admirable en pièces détachées. J'avais bien mieux compris la référence à partir du moment où j'avais vu mon coéquipier batteur rater ce genre de manœuvre et aller s'écraser trente mètres plus bas. Heureusement pour lui, quelqu'un avait été là pour métamorphoser le sol et en faire une sorte de matière caoutchouteuse. Il avait fini avec plusieurs côtes cassées et un bras retourné, mais il était vivant. S'il n'y avait pas eu de professeur avec nous, ce jour-là, il serait mort. J'avais donc appris à ne pas me montrer inutilement téméraire... J'en étais là de mes réflexions lorsque Seyn fronça les sourcils et se mit à hurler :

-COGNARD !

Là, mon instinct se réveilla sans crier gare. J'avais le Quidditch dans le sang et on m'avait mis une batte dans la main à mes six ans. Alors, sans vraiment réfléchir, je me contorsionnai sur mon balais pour faire face à la balle vindicative et l'envoyai valser d'un revers, l'expédiant comme un boulet de canon en direction du champ adverse. Depuis tout petit, pour peu que je sois muni d'une batte, je n'avais jamais évité de cognard. Ma mère disait que j'étais un batteur-né. Je me redressai sur mon balais, à la recherche du deuxième cognard. Un sifflement m'indiqua sa position et je m'interposai entre lui et Seyn, tout en commentant d'une voix tranquille :

"Peut être que tu es doué avec ton accio, mais si le cognard t'avait repéré avant que ton balais n'ait eu le temps de revenir, je doute que ça t'aurait été utile."

Je devais probablement avoir l'air présomptueux, du haut de mes 18 ans. J'étais en train de donner une leçon de Quidditch à un joueur pro... C'était clairement malvenu, pourtant on m'avait tellement rebattu les oreilles avec ce genre de choses que c'était devenu instinctif. Lorsque j'eus éloigné la deuxième balle, je me remis bien face à Seyn et ajoutai d'un air désapprobateur :

"Un excès de confiance en soi ça n'est jamais bon. Quel que soit le domaine."

Non pas que j'aie envie de lui faire la morale, mais j'avais vraiment eu la trouille.

Soudain, je réalisai ce que je venais de dire. J'avais clairement reproché son inconséquence à Seyn et il en était gêné. Je ne le connaissais même pas, ce type ! Il était plus âgé que moi, il jouait dans une vraie équipe et il devait probablement avoir une vie personnelle bien plus intéressante que la mienne. Et moi je venais lui dire ce genre de choses... Honteux... Inqualifiable... Alors que mon interlocuteur se grattait la tête d'un air penaud, je virai à un rouge bordeaux des plus seyants. J'avais honte de mon attitude. Comment avais-je pu débiter des âneries pareilles ? De plus en plus rouge, je détournai les yeux alors qu'il répondait :

-Je suis désolé.

J'avais envie de m'agenouiller devant lui pour lui demander pardon, mais ça risquait d'être compliqué dans notre position actuelle. Nous étions tout de même très, très haut. Je ne me sentais plus capable de le regarder en face et je déglutis avec peine, réfléchissant à ce que je pourrais bien dire pour m'excuser.

-Jolis réflexes.

Heu... Quoi ? Je reposai les yeux sur Seyn, admirant sa tentative pour changer de sujet. Avec un peu d'aide de ma part, c'était faisable. Je répondis d'une petite voix gênée :

"Habitude de batteur. Ma mère est entraîneuse lors je savais utiliser une batte avant même qu'on soit sûr que j'étais capable de magie."

En effet, j'avais révélé mes dons à sept ans et demis, plus d'un an après avoir commencé à jouer au Quidditch. Je fis ) mon tour une tentative timide :

"On n'a pas fini la course."

Peut être que de repartir là dessus permettrait d'oublier le fâcheux incident qui venait de se passer. Je l'espérais, en tout cas. Car Seyn était aimable -malgré qu'il manque cruellement d'instinct de survie- et que je n'aurais pas été fâché de le revoir un autre jour, dans des circonstances similaires.

Alors que Seyn regardait en direction des gradins, j'entre aperçus le batteur de son équipe. Celui qui avait effectué la figure dont je m'étais inspiré un peu plus tôt. Mince... J'étais un peu gêné à l'idée qu'il nous observe -surtout qu'il jouait vraiment bien- mais je ne pouvais rien y faire dans l'immédiat. J'essayai de me concentrer sur Seyn et sur notre course, qu'il proposa de modifier en... Chasse au Cognard ? Intéressant. J'esquissai un sourire et répondis nonchalamment :

"Ça me va. Prêt ?"

À peine eut-il répondu que je filai en direction de là où j'avais expédié la première des balles sombres. En théorie un cognard n'est pas réellement dangereux quand on lui fait face et qu'on sait comment le réceptionner. Évidemment, si vous foncez à tout allure dessus vous risquez de finir dans un sale état...

Mais je n'étais pas si stupide. Lorsque je fus assez près pour que la sphère vindicative me repère, je fis volte face et descendis en piqué avec elle aux trousses. Je touchai rapidement terre et me tournai pour lui faire face.

Concentré, bras en avant, J'essayai de la saisir au vol tout en accompagnant son élan de façon à pouvoir la plaquer au sol. Emporté par sa vitesse, le cognard s'écrasa dans l'herbe, fermement maintenu entre mes mains et me faisant tomber au passage. Je l'entravai tant bien que mal en le serrant contre mon torse et jetai un œil à Seyn, le balais qu'il m'avait prêté flottant paresseusement quelques mètres plus loin.

Seyn, de son côté, retira sa veste et se lança à pleine vitesse, le deuxième cognard aux trousses. Il allait vite, rien à dire là dessus. Un vrai boulet de canon lâché à pleine vitesse sur le terrain. Planté dans l'herbe comme un piquet, je le regardais faire avec le plus grand intérêt. Je fronçai les sourcils en constatant qu'il prenait encore plus de vitesse, puis songeai qu'il devait vouloir avoir d'avantage d'avance sur la balle noire avant de tenter quelque chose. Et de fait, c'est ce qu'il fit.

Stationnaire à environ deux mètres de haut, il attendit que le cognard se rapproche, puis bondit habilement de son balais, veste en main.

-YAAAH !

C'est sur cette onomatopée des plus gracieuses que Seyn emprisonna la balle dans le tissus de sa veste et faisant un roulé boulé dans l'herbe. Pas mal, même s'il aurait probablement eu moins de peine à faire la même chose directement depuis le plancher des vaches. Je détachai mon attention du jeune homme pour aviser l'autre personne qui entrait sur le terrain avec la malle à cognards. Et un immense sourire moqueur.

-Alors mon canard ? On se fait sauver comme une princesse ?

Un canard ? Je fronçai les sourcils, mon regard allant de l'un à l'autre avec perplexité. Qu'est-ce qu'il voulait dire par là ? Est-ce que par hasard, ces deux là auraient une relation... Intime ? Je secouai la tête pour évacuer l'idée, surtout que cela ne me concernait aucunement. Seyn éclata de rire et répondit :

-Fais pas le malin Lance, il pourrait te coiffer au poteau avec une batte dans la main, je te présente Arnaud.

Les deux hommes rangèrent le premier cognard et j'attendis qu'ils en aient terminé, bien patiemment. Debout. En les regardant. Passionnant.

-Et je te présente Lance.

Je saluai l'homme d'un signe de tête et m'approchai pour ranger mon cognard, toujours solidement maintenu contre mon torse. Je profitai que Seyn me tienne la malle pour l'installer convenablement et le sangler avec soin. Ce serait dommage qu'il s'échappe et fasse des blessés, pas vrai ? Une fois fait, je reculai et attirai le balai de Seyn -qui lévitait paresseusement un peu plus loin- à l'aide d'un accio informulé. J'étais capable de jeter quelques sortilèges informulés pour peu qu'ils soient simples. Et quoi de plus basique qu'un accio ? Je tendis ensuite son bien à mon camarade de vol et commentai avec un léger sourire :

"C'était un plaisir."

Seyn récupéra son balais avant de rendre l'autre à son ami. Il souriait et j'en fis de même amusé. C'était vrai que nous avions passé un moment des plus agréables.

-Reprends ton horreur. fit-il à l'adresse de son coéquipier.

Ce dernier lui jeta un regard de défi, qui me fit songer qu'il ne laisserait pas passer l'insulte aussi facilement et trouverait rapidement un moyen de laver l'honneur de son balais. Je le comprenais, puisque j'aurais probablement fait la même chose s'il s'agissait de mon nimbus. Puis le jeune homme se tourna vers moi avec un immense sourire et me dit :

"J'ai beaucoup apprécié aussi. D'ailleurs, si tu veux passer au magasin de Quidditch, je suis le proprio', passes quand tu veux, ca me ferait plaisir !
-Le magasin de Quidditch ? Celui de Pré-Au-Lard ?"

Il me répondit par l'affirmative et mon regard s'éclaira sensiblement. Voilà qui était intéressant ! J'étais déjà passé devant à plusieurs reprises mais je n'étais jamais entré. D'une part, parce que je ne jouais plus et que j'entretenais moi même mon balais, d'autre part, parce que j'avais déjà tout le matériel nécessaire. Cela dit, si je devais passer dans son magasin, ce serait probablement d'avantage pour sa présence que pour sa marchandise... Finalement, Seyn se mit à bâiller et ajouta :

"Bon, les gars, je pue et j'ai sommeil ! Je pense que comme un gros lâche je vais vous planter là ! Arnaud, vraiment, au plaisir de te revoir, j'ai passer un très bon moment avec toi, un rendez vous sur un terrain pour voler un peu serai vraiment appréciable aussi.

Je hochai la tête en répondant à l'affirmative. En effet, ce serait une bonne idée et cela me permettrait -probablement- de me faire un nouvel ami en Grande Bretagne. Depuis que j'étais ici, je n'avais que Paddy et j'avais envie de faire de nouvelle connaissances. Des gens avec les mêmes intérêts que moi, qui soient agréables et respectent ma timidité... Tout ce qu'était Seyn, en somme. Le jeune homme s'adressa alors à son ami en posant une main sur épaule. Leur attitude était tellement suggestive que je rougis alors qu'il lui demandait de le ramener. Le deuxième homme soupira et me salua avant de traîner Seyn jusqu'aux vestiaires. Ce dernier me fit un signe d'au revoir auquel je répondis d'un geste avant de transplaner, le cœur joyeux de ce bon moment.