~ Coupe du Monde de Quidditch 1980 ~

Le carillon d'un vestiaire en ébullition tinta lorsqu'un homme s'en approcha, sans pour autant attirer la moindre attention. Il fallait dire qu'entre les cris qui s'échappaient du vestiaire polonais, les cris des mascottes et les bruits grinçants des musiciens qui accordaient leurs violons pour les hymnes nationaux, le carillon passa quelques peu inaperçu.

"Jacek Wronski!"

Dans la salle déjà bondée de l'équipe de Quidditch de Pologne, la tête du capitaine émergea avec difficulté par-dessus les grands gaillards qui l'entouraient.

"Oui? J'suis là!"

L'attrapeur de la Pologne leva la main pour se faire remarquer et un homme en costard avec un badge officiel joua du coude pour se frayer un chemin vers lui. Il semblait parler, du moins c'est ce que le mouvement de ses lèvres indiquait mais le brouhaha incessant des joueurs empêchait le jeune Wronski de saisir la teneur des paroles de l'homme. Faisant signe à celui-ci de s'interrompre un instant, le sorcier mit ses mains de part et d'autre de sa bouche pour crier:

"Oh les gars un peu d'silence s'il-vous-plait!"

Aussitôt le volume baissa pour se changer en un murmure interrogateur tandis que les regards convergeaient vers l'intrus. Il est vrai qu'au milieu des robes de sport d'un rouge vif au blason polonais, le sorcier au costard noir dénotait complètement avec sa tenue sobre. Jacek put enfin poser les yeux sur le badge épinglé à sa poitrine: Service International des Sports Magiques. Celui qui avait tout l'air d'être un responsable prit alors la parole dans le silence du vestiaire:

"Capitaine Wronski, je suis l'agent Dertast de la Comission Internationale des Sports Magiques."

Derrière lui entrèrent alors deux autres bonhommes vêtus de la même façon. Le jeune joueur de vingt-sept ans leur jeta un regard moqueur que lui rendit son équipe avant de répondre:

"Eh bien bonjour monsieur Dertast. Il y a un problème avec le match?"

L'attrapeur se demandait pourquoi ce n'était pas leur coach -c'est-à-dire sa mère- qui ne venait leur annoncer un quelconque changement de programme. Mais il n'eut guère le temps de s'interroger plus en avant:

"Non, du moins pas encore. Il nous a été signalé que vous possédiez du matériel hors-norme et interdit au Quidditch, vous mettant en position de tricherie. Je ne vous le demanderai qu'une seule fois capitaine Wronski: possédez-vous oui ou non ce genre de matériel ici?"

Le silence était maintenant total et tous les joueurs souffraient de l'affront qui était fait à leur capitaine et plus généralement à leur équipe. Mais ce n'était pas comparable avec ce que ressentait Jacek au plus profond de lui. Non mais pour qui se prenaient donc ces gens? Oser prétendre qu'il trichait, et ce devant toute son équipe alors même qu'il n'y avait pas plus franc joueur que lui? Le jeune Wronski sentit ses joues s'empourprer et il serra ses poings pour retrouver son calme. Après une longue inspiration, il répondit d'une voix cassante:

"Je ne suis pas un tricheur monsieur. L'équipe de Pologne a les moyens d'inquiéter ses adversaires sans recourir à ça, et je vous déconseille de remettre en doute l'honneur de mon équipe."

Ces mots fermes trouvaient de l'appui dans chaque murmure s'élevant de la bouche des joueurs polonais, lesquels hochaient la tête en jetant un regard noir au petit homme en costard. Mais celui-ci ne se laissa pas démonter et reprit en regardant droit dans les yeux son interlocuteur:

"Ce discours n'est donc pas un mensonge? En fouillant vos affaires je ne découvrirai que du matériel autorisé?"

Jacek se força à sourire pour ravaler la haine qui grandissait en lui. L'homme était susceptible, c'était indéniable. Mais il détestait par dessus-tout que l'on puisse remettre en doute sa fiabilité et son honneur de joueur de Quidditch. Cependant il était capitaine, il ne pouvait se permettre de jeter l'opprobre sur son équipe en paraissant grossier ou en frappant un membre officiel de la Comission Internationale, bien qu'il en ait franchement envie à cet instant. Le petit brun resserra sa cape rouge au col d'hermine autour de lui et croisa ses bras musclés sur sa poitrine avant de répondre d'une voix qu'il voulait calme.

"Je considère que le mensonge est une trahison envers soi-même. Fouillez mes affaire je vous en prie. Vous ne trouverez pas ce que vous cherchez."

Et si le timbre de sa voix paraissait calme, la colère grondait encore doucement. Il s'écarta pour montrer le casier qui lui avait été assigné avec ses protections, ses lunettes et son balai. Les trois hommes passèrent devant lui et commencèrent à chercher dans les affaires du jeune Wronski. Ce dernier était en colère mais peu inquiet: il savait mieux que personne de quoi était fait son équipement et tout était autorisé et homologué par la Comission Internationale de Quidditch. Il attendait donc avec un léger sourire agacé, ayant hâte de pouvoir renvoyer ces trois énergumènes de là où il venait en prouvant qu'il était un joueur honnête. Le premier homme qui l'avait interpellé ne jeta qu'un coup d'oeil rapide au balai et saisit les gants de cuir du joueur. Il déposa le droit et retourna le gauche pour découvrir un petit disque de métal inconnu de Jacek. Wanda Wronski, ancienne batteuse professionnelle et coach de l'équipe de Pologne arriva sur ses entre-faits et jeta un regard interrogateur à son fils. Mais celui-ci était beaucoup trop obnubilé par le disque d'acier que tenait l'agent sur son gant. Il ne connaissait pas cet objet, ce n'était pas à lui! Qu'est ce que cela faisait sous sa mitaine de cuir? Petit à petit l'affolement le gagnait jusqu'à ce qu'un Vif d'Or soit libéré par un deuxième homme. A peine le gant fut approché de la balle dorée que celle-ci se colla à lui, comme happée par un aimant. Un silence encore plus pesant intervint et Jacek regarda avec horreur son équipement truqué. Il s'écria:

"Ce n'est pas à moi! Je n'ai jamais vu cet objet de ma vie, quelqu'un l'a mis sur mon gant, il ne..."

Mais le responsable l'arrêta d'un geste:

"On nous a dit que vous répondriez ça. Vous avez menti monsieur Wronski, et vous êtes donc trahi par la même occasion, comme vous le disiez tout à l'heure. Vous êtes disqualifié de la Coupe et de votre équipe, veuillez..."

Mais la suite fut étouffée dans une marée de protestations, de brouhahas et de cris. Jacek fut transpercé par les regards de son équipe et le rejet qu'il lisait en eux. Ils le croyaient responsable. Ils le voyaient comme un tricheur. Le jeune homme eut l'impression de suffoquer. Pourquoi? Il n'arrivait même plus à protester et sentait le regard horrifié de sa mère derrière lui. Il n'était pas un menteur! Le sportif se fraya tant bien que mal un chemin hors du vestiaire, trébuchant sur des balais et des chaussures qui s'étaient retrouvés sur le sol lorsque l'affaire avait éclaté.

Mais si le joueur piégé avait espéré trouvé du calme dans le couloir il se trompait: une foule de journalistes et des joueurs canadiens curieux se bousculaient dans le couloir à la sortie de Jacek. Le sorcier n'eut d'autres choix que de rebrousser chemin avant d'être traîné quasiment de force par les deux hommes en costume noir pour rejoindre la Comission. Ce fut un enfer. C'était pire que d'être torturé: son nom, sa réputation et son équipé était traînés dans la boue pour un acte qu'il n'avait pas commis. Les cris et les projectiles de ses supporters ne firent qu'empirer sa détresse dès lors que la situation leur fut expliquée et Jacek mis aux arrêts. On le traitait de menteur, de tricheur. On disait qu'il n'avait gagné ses matchs précédents que grâce à cet objet dont il ignorait tout et qu'il avait vu pour la première fois dans le vestiaire. A chaque fois qu'il niait on le rabrouait, le mettait plus bas que terre en le sommant d'arrêter de mentir. Jacek n'avait même plus la force de se mettre en colère. Il était juste désespéré et sentait toute vitalité le quitter petit à petit. Jamais il ne parviendrait à redorer son blason, à balayer cette histoire. Jamais plus personne ne pourrait lui faire confiance. Mais qu'avait-il fait pour mériter ça?

Le regard inquiet de sa mère le dégoûtait. L'attitude enragée de ses supporters l'effrayait. Les moqueries profondément mauvaises des Canadiens le révoltait. Mais le pire... le pire était les regards de son équipe. Ses joueurs se sentaient trahis et le rejetaient avec un dédain et une colère que Jacek ne leur avait jamais connu. Jamais, ô grand jamais l'homme aurait pu croire qu'il était possible de souffrir autant. Tout s'effondrait autour de lui, ses marques et ses repères, ses certitudes et sa confiance. On ne cessait de répéter son petit "discours" avant que la preuve ne soit découverte: "Je considère que le mensonge est une trahison envers soi-même". Et l'on retournait cette phrase qu'il avait prononcé contre lui même, on l'appelait "le menteur" ou "le traître". Et chacune de ces moqueries était comme un coup de couteau enfoncé au plus profond de son coeur. Jacek était certains que le sortilège Doloris serait d'une douceur extrême en comparaison avec ce qu'il vécut ce jour-là.

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Pas même une semaine plus tard, l'ancien capitaine de l'équipe était méconnaissable. Jacek s'était enfui sur une plage dont il ignorait le nom, ne sachant même plus dans quel pays il se trouvait. L'homme avait sombré en quelques jours à peine dans l'alcool et la drogue. Et il se tenait là, sur un rocher, vêtu en moldu, une bouteille de vodka à la main et une seringue d'héroïne dans l'autre. Le mensonge est une trahison... Il ne s'était pas trahi, il n'avait pas menti. Mais le monde entier croyait le contraire. Le monde entier ne voyait en lui qu'un traître et un menteur. Et Jacek haïssait le monde entier, au moins autant qu'il se haïssait lui-même. Non loin de lui, Kabbler posa sa tête sur les genoux de son maître. Ce dernier ne sentait même plus les larmes couler sur ses joues, tenant sa tête entre ses mains, laissant l'alcool et la drogue lui procurer la douceur de l'oubli pour supporter cette existence déjà si lourde sur les épaules d'un jeune homme de vingt-sept ans...

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