Le muet se retrouvait seul, dans la serre, une fois de plus, convulsant légèrement alors que de petits hoquets résonnaient parfois dans le grand bâtiment. Les deux bruyères à côté du muet avaient cessé de bouger et semblaient même tomber de tristesse vers la terre.

Dix jours. Dix jours que Seyn avait fui de l'infirmerie et cinq qu'il envoyait des fleurs. Pour s'excuser, pour demander pardon. Parce qu'il avait passé une après-midi et une soirée fantastique à ses côtés mais ça n'avait pas suffit, n'est-ce pas ?

Le muet renifla et s'essuya les yeux avec sa manche, doucement. Il avait vu l'infirmière cette semaine et elle avait l'air mécontente, peut-être un peu désolée pour lui. Elle lui avait dit... Elle lui avait dit que Seyn était juste parti, sans rien dire, un air soucieux sur le visage. Il ne lui avait même pas dit au revoir. Et même si Link le connaissait enfin de compte très peu, il était prêt à parier que cette attitude de la part du commerçant était très douteuse. Mais pas besoin de se demander pourquoi.

Tout avait très bien commencé. Pour une fois il avait réussi à entrer dans un magasin et s'adresser au vendeur. Pour une fois le vendeur ne l'avait pas regardé bizarrement en se rendant compte que sa façon de communiquer était étrange. Seyn avait été adorable. Comme s'ils n'étaient pas de parfait inconnus. Le courant entre eux-deux était passé directement. Le poufsouffle n'avait jamais autant rit que cette après-midi là. Il avait accepté qu'on lui fasse des chatouilles. Il s'était laissé touché par quelqu'un d'autre que sa mère et son parrain. Ça n'était pas arrivé depuis...depuis ses douze ans et le poing d'Ethan férocement enfoncé dans son œsophage. Il avait vécu une journée normale, il avait pu se détendre comme quand il était en famille, avant Poudlard. Et puis son mutisme était venu se rappeler à lui par le biais de vague violentes de douleur. Et Link s'était haï. Il se haïssait toujours d'ailleurs. Il en avait plus qu'assez d'être cette sorte de chose dégoûtant et pas normale qui faisait fuir les autres. Il en avait marre de ne pas pouvoir rire dans une foule, de ne pas pouvoir chanter à tue-tête et il en avait marre d'être silencieux même dans ses moindres mouvements. Il en avait marre de ne pas réussir à avoir une vie normale.

C'était vrai, non ? Il avait 17 ans, n'avait jamais fait de choses normales pour son âge. Il était interdit pour lui de transplaner ni seul (de toute façon il n'avait pas son permis) ni avec quelqu'un. Il n'avait pas non plus le droit de prendre un portoloin, la cheminette était fortement peu recommandée. Il avait passé plus de temps à Sainte-Mangouste que beaucoup de jeunes de son âge et était accroc aux cachets qu'il prenait matin et soir, sans lesquels il tombait dans les pommes sous la douleur de son propre corps. Il n'était jamais sorti ni avec une fille, ni avec un garçon et n'avait jamais ne serait-ce qu'embrassé personne. Il était tombé amoureux une fois. De l'image d'une fille douce et brisée mais aussi piquante qu'une rose blanche. Et puis... plus rien. Rien ne s'était passé parce qu'elle était parti. Ils n'avaient vraiment rien partagé tous les deux. Elle l'avait effrayé, il l'avait réconfortée et lui avait offert des fleurs. Tout ça avait remué des sentiments douloureux plus qu'heureux et il était impossible pour lui  de dire s'il l'avait aimée ou s'il avait aimé l'idée qu'il en avait.

Avec Seyn il avait l'impression de retomber dans la même roue infernale de malheur. S'il était vraiment sincère, il ne saurait pas dire ce qu'il ressentait. Parler d'amour serait trop fort. Il ne l'avait vu qu'une seule fois. Mais il avait adoré cette journée. Tout c'était vraiment presque bien passé. Il s'était senti si bien et l'avait laissé le toucher, sans se sentir gêné, ou presque pas. Les contacts, les dialogues, tout avait été si naturel. Et la personnalité que Link avait entre-aperçu lui avait vraiment plu. Bon, peut-être qu'il craquait un peu pour cet homme plus grand que lui au sourire lumineux et constant, aux affaires mignonnes et à l'humour si rafraîchissant.

Et puis...Comme avec Morgane, il avait ressenti le besoin d'envoyer des fleurs. Il s'était senti si mal d'avoir dérangé Seyn par ce qu'il était qu'il avait d'abord envoyé un petit bouquet, pour s'excuser. Celui-ci comportait d'abord de la gentiane et de l'if pour manifester sa tristesse par rapport à la fuite de Seyn. À ceci il avait rajouté de l'asphodèle et de la pivoine, pour lui montrer à quel point il se sentait coupable de ce qu'il était. Enfin, dans une note d'optimisme qui lui était venu d'il-ne-savait-où, il avait rajouté une petite branche d'olivier, symbole de paix.

On ne pouvait pas vraiment dire qu'il avait envoyé le bouquet. En réalité, le muet avait demandé à Zackias de poser les fleurs devant chez Seyn, ce que l'elfe s'était empressé de faire, pensant que son maître irait mieux. Mais le premier bouquet n'eut pas l'effet escompté. Link se rongeait juste les sangs, inquiet d'avoir encore une fois mal agi. Peut-être que Seyn n'aimait pas les fleurs, peut-être y était-il allergique ou peut-être était-il juste trop dégoûté du muet, ou bien inintéressé par des fleurs envoyées par un inconnu. Mais le muet de voulait pas signer. Il ne pouvait pas. Pas quand il l'avait dégoûté au point de fuir. Et pourtant il ne pouvait pas non plus s'empêcher de lui envoyer des fleurs. Parce qu'il avait été bien avec lui en cette fin d'après-midi.

Comme avec Morgane, il avait abandonné la signification des fleurs et de leur agencement dès le second bouquet envoyé et avait préféré faire des bouquets avec les fleurs qui lui plaisaient dans le moment. Ainsi, le second bouquet fut commencé par des pervenches et du phlox violet, symboles de rêverie et de doux souvenirs que Link coupa après avoir observé son pansement pendant un petit moment. Il avait agrémenté le tout de lin, pour le remercier de la soirée passée et aussi de marguerite, de mauves et de mimosa.

Le troisième bouquet avait été confectionné pendant une montée d'espoir du brun. Il s'était composé de Camomille et de fusain, d'aubépine et d'amandée et puis de mysotis.

Il avait envoyé le dernier bouquet il y a quelques heures. Un bouquet d'églantines roses. Quand Zackias était parti, un regard désapprobateur collé sur le visage, les fleurs dans la main, le muet avait éclaté en sanglot. Il savait ce que voulait dire les églantines. Et il ne voulait pas... oh non il ne voulait pas... Mais c'était déjà le cas n'est-ce pas ? Même repoussé par son attitude, le poufsouffle était charmé par le vendeur de balais. Peut-être même un peu trop.

Il passa le reste de la soirée, à côté de la bruyère, sanglotant silencieusement.

Gentianes: En me fuyant, vous me faites souffrir:

If:Tristesse, Affliction:

Asphodèle: Je regrette le passé:

Olivier: Réconciliation:

Pivoine: J'ai honte de ce que j'ai fait (ici plutôt de ce que je suis):

Eglantines: