J'étais allongé sur le bord du Lac noir, à la frontière entre le château et la Forêt Interdite. Je me reposais sur l'herbe, les yeux clos, mains rabattues derrières la tête et m’enivrait du calme paisible qui régnait en ces lieux. Serein. Venir ici en des temps troublés était un baume pour mon cœur et mon esprit, et j'aimais m'y recueillir. Apaisé.

Tellement absorbé par ma paix intérieure, je n'entendis pas le jeune adolescente s'approcher de moins qu'au moment où il s'écroula par terre dans un grand fracas sonore. Enfin, pour moi, car pour lui ce devait être un simple choc à peine audible. Toujours par terre, il sembla s'intéresser à moi.

- On n'a pas idée de se coucher sur le passage des gens.

Ce n'était qu'un murmure, mais je l'entendis aussi bien que si il l'avait prononcé juste en face de mon oreille. Je n'en broncha pas pour autant, toujours allongé sur l'herbe fraiche, les yeux clos, et un sourire moqueur s'esquissa sur mes lèvres.

- Tu plaisantes ? Des passages il y en a par milliers dans le coin ! Alors lèves un peu le nez, et admire la vue ! m'écriais-je en tendant les bras vers le ciel comme pour l'enlacer.

- Toi tu es Throwback, le Poufsouffle aveugle, lança le jeune ado, imperturbable.

Tiens ? J'avais une réputation pareille ? Je n'en savais rien. Je pensais que mon état était resté discret et avait été oublié, mais il semblerait que non, et que même des inconnus arrivaient à me reconnaitre.

- Effectivement, c'est bien moi. Mais tu peux m’appeler Damien, je préfère, répondis-je, toujours le sourire au lèvres.
- Qu'es-tu devenu depuis Poudlard ?

C'était assez marrant comme cet ado me parlait comme si il me connaissait bien. Était-ce le cas ? Peut-être que finalement il me connaissait et moi non. Ou alors j'étais un phénomène de foire et et on aimait savoir ce que j'étais devenu. Au choix. M'enfin, qu'importe.

- Je suis ADEM aujourd'hui. ADEM Auror. Ça en jette, hein ? dis-je aussi naturellement que le jeune ado.

Comment s’appelait-il d'ailleurs ?

- Et toi, tu es... ?, commençais-je.

- Edwards.Lowell Edwards.

Lowell Edwards ? Hun...

Inconnu au bataillon.

Je m'attendais aussi à ce qu'il donne sa maison et sa classe, mais apparemment il n'en fit rien. Tant pis. De toute façon, à en juger par sa voix et sa démarche, il devait être en 5ème ou 6ème année, tout au plus.
Je sentis sa main se tendre vers moi, signe qu'il voulait sans doute faire une poignée de main pour sceller cette rencontre. Étant inconvenant de rester à terre pour ce mouvement, je me redressais à mon tour et m’emparai de la main de Lowell sans grande difficulté.
Piqué au vif par la curiosité, je m'empressais d'interroger le jeune élève pour plus amples informations.

- Comment ça se fait que tu me connais ? Y'a des rumeurs qui circulent sur mon compte ?

- Hm... Oui, il parait que tu es aveugle depuis pas mal d'année, mais apparemment tu t'en sors plutôt bien. Après au sujet de tes cheveux... C'est vrai qu'ils sont atypique. C'est du à quoi ?

Tirant un soupir de soulagement intérieur, soulagé que mon secret concernant ma lycanthropie n'avait pas été révélée, je m'ébouriffais lesdits cheveux en questions. C'est vrai que j'avais souvent tendance à l'oublier, vu que je ne les voyais pas souvent (ce qui était un euphémisme), mais une touffe de cheveux blancs, sur les jeunes de mon âge, ça doit pas courir les crânes ! Je tentais d'éviter de me remémorer à nouveau mon enfance, jugeant que ce n'était pas le bon moment, et sortit la même excuse que je sortais à chaque nouvelle tête.

- Un mauvais sortilège. Je passais au mauvais endroit, au mauvais moment, et ça m'a ricoché dessus. Heureusement que c'était que mes cheveux, t'imagines si ça aurait été ma peau ! J'aurais l'air d'un cadavre ambulant !, disais-je en m'esclaffant.

Bien sur que c'était un mensonge. Le sortilège en question était celui qui avait donné ma cécité, et cette couleur blanche n'était dû qu'à mon nouveau "pelage" lycanthrope. Un spécimen rare de loup blanc. Forcément, ça... déteint !

Apparemment, ma boutade avait l'air d'avoir fonctionné puisque Lowell s'était joint à mon euphorie. Pas si mauvais bougre que ça, le garçon. Une légère brise vint caresser ma peau en direction du lac, et je me tourna vers elle, comme pour répondre à sa sollicitation, et lui esquissa un sourire tendre, les cheveux ondulant par sa douce force.

- Tu n'aurais pas un peu de sucre sur toi ?

Du sucre ? Il allait quand même pas nous faire une crise hypoglycémie, si ? Heureusement pour lui, je conservais toujours une tablette de chocolat dans mon sac. Depuis que je sais qu'il avait de bonnes propriétés contre les Détraqueurs ou quelques formes de magie noir, je me suis dit qu'il valait mieux toujours en garder à portée de main. Je me baissa pour l'ouvrir et me releva pour lui tendre un carré.

- Tiens, c'est du chocolat. Je sais pas si t'aimes ça, mais c'est tout ce que j'ai, lui dis-je d'un sourire amical.

Je commençais à bien l'aimer, ce petit Lowell. Pas très bavard, mais sympathique.

Lowell s'empara du carré de chocolat que je lui avait offert et mordit dedans. A en croire son silence, sans tirer de gémissement de dégout, il semblerait qu'il l'aimait. Tant mieux ! A son tour, le jeune ado fouilla dans son sac et me tendit quelque-chose dont je renifla l'odeur. C'était aussi du chocolat, mais à en croire l'odeur, c'était... Une chocogrenouille ! Chic ! J'adorais ça ! Je m'en empara en le remerciant d'un hochement de tête, mais quelque-chose m'interpella et me fit arquer un sourcil. Si il avait du chocolat sur lui, pourquoi m'avais-t-il demandé du sucre ? Oh tant pis, pas la peine de se prendre la tête pour ça.

- Tiens, et merci pour le carreau ! C'est vraiment agréable de manger du chocolat avec toi je trouve. J'ai l'impression que ça fait une éternité que je n'ai pas manger d'aussi bon chocolat. Je me demande si les chocolats moldus peuvent être meilleurs que ceux sorciers...

Je m'assis là où je me trouvais tout à l'heure, en invitant Lowell à en faire de même, et leva ma chocogrenouille. Je la pince deux fois, lui tirant un étrange gargouillis qui me fit rire et la porte à ma bouche. Délicieux !

- Bah juchtement, ch'est du chocolat moldu que j'tai paché. 'L'est bon, hein ? disais-je la bouche pleine, une patte dépassant d'entre mes lèvres, me donnant un air d'ahuri.

J'avalais la cuisse de chocogrenouille qui pendait à mes lèvres, manquant de m'étouffer, et m'éclaircit la gorge pour la soulager. C'est bon, les chocogrenouilles, mais c'est très visqueux, alors c'est pas toujours évident pour passer sans encombre dans la gorge.

- Oh, c'était la première fois que j'en mangeais. Il était délicieux, c'est sur ! Tu vas souvent acheter des choses chez les moldus ?, me demanda-t-il sur un ton intéressé.

Ma première réaction fut de soulever les sourcils. C'était la première fois qu'il goutait à du chocolat moldu ? Ah ces sorciers, ils ont de bonnes friandises, c'est vrai, mais ils ne savaient pas ce qu'ils manquaient en ne découvrant pas les sucreries moldues.

- Assez souvent, oui. Ma famille s'est installée dans une maison de campagne près de Londres, alors je ramène souvent des sucreries de là-bas. Surtout le chocolat ! Ma mère m'en envoie une tablette par mois par hiboux.

En évoquant ma mère, un imperceptible sourire mélancolique s'esquissait sur mon visage. Ma mère... Elle me manquait. Cela faisait quelques mois que je ne l'avais pas revue, et elle me manquait terriblement. Elle et ma petite sœur Emily.

- Quelle chance tu as d'habiter près de la capitale ! J'ai tellement hâte de passer mon permis de transplanage.

Le transplanage. C'est vrai que c'était une expérience qu'on ne vivait pas tout les jours. Je tirais un sourire amusé et un léger rire en repensant à mes premiers essais de transplanage. Pas vraiment très efficaces puisque j'étais aveugle, je devais donc me fier à des odeurs. Mon premier essai, au lieu de m'emmener quelques mètres plus loin, m'avait fait atterrir dans un placard à balai du château, deux étages plus haut. Et j'avais vomi sur mes chaussures. Inoubliable.

- Tes parents font quoi dans la vie ?

La question m'enleva mon sourire instantanément. Mes parents, hein... Si seulement...

- Ma mère ne travaille pas, enfin pas encore puisqu'elle s'est remise à chercher récemment, et mon père...

Mon père...

- ...travaillait au Ministère, au Département des Jeux et Sports Magiques.

J'avais voulu tenter une bourrade, pour détendre l'atmosphère et me changer les idées. Je n'y parvint pas. J'essayais alors une autre approche.

- Et les tiens ? Ils font quoi ?, lui demandais-je pour essayer de dévier son attention.

J'entendis Lowell se mettre à fouiller dans son sac. Qu'est-ce qu'il faisait ? Encore une chocogrenouille, peut-être ?

- Ma mère est médicomage à St Mangouste et mon père travaille aussi au ministère dans le département des Transports Magiques. Pourquoi ton père ne travaille plus au ministère ? Il a été viré ?

J'avais failli relever le métier de sa mère. Médicomage ? Elle faisait peut-être partie de l'équipe qui avait tenté de me soigner de ma cécité. Failli. Sa dernière phrase m'en coupa toute envie. En tant normal, j'aurais apprécié quelqu'un qui faisait preuve d'autant d'esprit, et qui savait déceler les failles dans des phrases. Mais là, ça ne m'arrangeais pas. Pas du tout. Un flot d'émotions jaillit en moi et il m'a fallut toutes les peines du monde pour le contenir. Ne pas pleurer.

- Non, il a...

Ma gorge se noua et m'empêcha de prononcer un mot de plus. Une larme perla le long de ma joue Rester fort... Rester...

Les larmes coulèrent.

Les paroles de Lowell se répercutèrent dans mon esprit comme un vague écho informe et incompréhensible. Il fallut de longues secondes et une volonté surhumaine pour me remettre sur pieds. Les larmes ne coulaient plus, mais mon cœur était toujours déchiré.

- Excuses-moi, commençais-je, la gorge légèrement dénouée. C'était il y a 10 ans. La 424ème Coupe du Monde de Quidditch. J'y étais allé avec mon père. Le match était époustouflant.

Ajouter ce détail était sans doute inutile, mais j'avais besoin de parler, car au fur et à mesure des mots, ma gorge se dénouait.

- Le soir même, alors qu'on rentrait la maison, un groupe de sorciers nous à tendus une embuscade dans la forêt. Ils en avaient après mon père. J'ai réussi à m'enfuir, et j'étais blessé, mais un sort à ricoché et je suis devenu aveugle. Ce n'est que plus tard, à Ste Mangouste, que j'ai appris qu'il était... mort.

J'essuyais mes larmes qui avaient séchées, et leva la tête vers le ciel. Une autre brise vint me caresser le visage comme pour me rassurer.

- C'est pour lui que je veux devenir Auror. Personne ne devrait vivre ce que j'ai vécu. Je ne suis pas malheureux j'ai encore ma mère et ma petite sœur, mais... Il me manque terriblement.

Je baissa mes yeux et les tourna vers Lowell.

- Désolé de t'embêter avec mes histoires. Mais je te remercie de m'avoir écouté.

Je sentais qu'un poids imperceptible s'était envolé. Je me sentais déjà mieux.

- Ne t'excuse pas. Tu ne m'embêtes pas. Je comprend ta douleur, je ne la connait pas moi-même, mais je compatis.

Je le remerciais d'un hochement de tête. C'était tant mieux que Lowell ne connaissait pas cette douleur. Personne ne devrait.

- Je trouve que c'est une bonne chose que tu puisses construire quelque chose de positif à partir ce passé difficile, être Auror je veux dire.

Un sourire de satisfaction se dessina sur mon visage. Lowell était vraiment gentil.

- Je me demande comment il aurait réagit si il me voyait aujourd'hui. J'aime à croire qu'il serait fier, mais avec lui, rien n'était sûr. Ma mère n'approuvait qu'à moitié ce choix, tu sais ? Elle me disait que ce serait prendre des risques inconsidérés.

La suite de mes pensées me tira un léger rire. Un rire heureux.

- Et ma petite sœur lui à répondu du haut de ses 8 ans : "Mais Maman, comme ça Daminou il pourra casser la tête aux méchants ! Il deviendra un super-héros !", disais-je en riant.

Le souvenir de ma mère et de ma sœur termina de panser la plaie qui s'était ouverte dans mon cœur. Ma résolution était prise. Je me battrais pour mon père, et pour protéger ma famille. Je me battrais pour eux.

- Je t'ai entendu jeter un sort tout à l'heure. Qu'est-ce que tu faisais ?, disais-je comme si de rien ne c'était passé.

- Oh, je reviens de la foret, j'y ai cueillit deux trois bricoles pour les potions. L'ennui c'est que certain ingrédients ont des besoins de conservations très spécifique. Cette mousse par exemple, doit être tenue hors d'atteinte de l'humidité pour que ses propriétés magiques soient optimales ! Mais d'autres ont besoin de températures basses comme ce champignon.

On pouvait sentir la passion dans ses phrases. Lowell aimait les potions, c'était certain. Peu d'élèves aurait sacrifié son temps libre à essayer de ramasser des ingrédients soi-même alors que la plupart étaient fournis pendant les cours. Les ingrédients que me tendait Lowell avaient une odeur particulière, et ensemble formait un parfum de forêt particulier. Une idée germa dans mon esprit.

- Ne bouge pas !, lui dis-je en me redressant brusquement.

Je me dirigeais vers la forêt au pas de course et m'y enfonça sur quelques mètres. Lorsque je revins au bout de quelques secondes, une poignée de feuille de laurier se tenait dans ma main que je tendis à Lowell.

- Utilises-les pour les brûler avec le charbon dans le brasero. Sa fumée amplifie les effets et rallonge la durée de certaines potions qui sont limitées dans le temps. Tu verras, c'est super efficace !