Link marchait à travers les couloirs, bousculé parfois par un élève courant rejoindre ses amis pour un dernier instant de soleil. On était dimanche après tout, et il faisait très beau pour un mois d'octobre. Le jeune homme soupira, premier réel bruit qu'il faisait depuis le début de l'après-midi. Il effraya d'ailleurs par le même mouvement un fantôme qui passait par là. Voilà maintenant qu'il faisait peur aux fantômes. Il n'y prit pas garde, lui fit un signe de tête, désolé, légèrement dans le vague et reprit sa déambulation. Le gros fantôme sympathique qu'était le moine gras ne s'en formalisa pas, dans sa grande gentillesse, et repartit vaquer à ses occupations.

Link, quant à lui, continuait à flâner dans les couloirs, sans vraiment réfléchir, sans vraiment penser. Car il savait. Il savait que s'il commençait à réfléchir, ses pensées ne lui plairaient pas. Il se dirait qu'il n'a rien à faire entre ces pierres fraîches alors que l'automne délivrait ses dernières journées de beau temps et de chaleur. Il se dirait qu'il n'avait rien à faire tout seul, alors même qu'il entendait au loin le rire d'un groupe de sorciers rire avec la force de la naïveté. Mais il était trop tard pour se dire qu'il ne devait pas y penser, parce que son cerveau s'était remis à tourner à plein régime, lui envoyant encore et encore des signaux de détresse et de déprime. Il n'était pas dehors, non, pourquoi faire ? L'inspiration l'avait quitté depuis quelque jours, le laissant seul face à la solitude qui n'avait jamais parue si pesante qu'en ce moment. Il n'avait pas la place sous le soleil, près de tous ces jeunes heureux qui discutaient et riaient à gorge déployée. Il n'avait plus rien à sortir de sa gorge, lui, alors l'ombre fraîche des pierres froides du château lui correspondait mieux n'est-ce pas ? Il était comme un mur de silence. Et personne n'aime être confronté à un mur. Il n'inspirait que dégoût et terreur et le silence de mort qui le suivait à la trace était même parvenu à effrayer un fantôme.

Un silence de mort. Voilà qui le caractérisait bien. Mort. Mais en vie quand même. Parfois la lumière se rallumait, le rendant tout chaud et chose à l'intérieur. Peut-être était-il heureux. Mais peut-être était-ce autre chose. Il aurait pu juste être malade, de toute façon le bonheur, le vrai et long bonheur remontait à trop loin pour que Link se souvienne vraiment de la sensation. Il chérissait ces moment de chaleur qui se logeait dans son ventre, ces moments ou la solitude allait faire un tour, loin de lui et que l'amusement et le bien être venait lui dire bonjour. Ces moments ne duraient pas longtemps mais Link s'amusait parfois à se les rappeler via un visage aux yeux bicolores, une lueur sarcastique et malicieuse flottant dans deux billes vertes ou encore un pelage tout doux contre sa joue. La chaleur revenait alors un peu mais elle était toujours accompagnée d'un goût amer et d'une douleur fulgurante au niveau de la poitrine qui donnait envie au muet de se tordre sous des crampes de tristesses. Finalement, Link préférait quand la solitude l'accompagnait. Il n'avait jamais mal à son souvenir ou son évocation au moins.

La déambulation morbide du muet dura une bonne partie de l'après-midi. Il monta les étages, les descendit,  fit des demi-tours sans le vouloir et continua de marcher, semblant suivre des chemins tortueux imaginaires, guidé par ses mauvaises pensées et son amie solitude.

Un bruit, il fallut un bruit, ou plutôt le souffle d'un bruit pour arrêter le septième année dans son élan. Silencieux comme une ombre, il s'arrêta et leva la tête. Ce qu'il vit lui coupa le souffle, mais aussi le fil de pensées noires qui le hantaient. Il lui sembla alors que ce qu'il voyait l'éclairait jusqu'au plus profond de lui même, chassant le noir de son âme et laissant derrière lui l'odeur délicate d'une rose blanche comme neige.

Elle était là, la fille qu'il avait bousculé il y a de cela un mois. L'être qu'il s'évertuait à fuir par tout les moyens, trop effrayé par sa force apparente. La personne qui l'obsédait par cette fragilité qu'il voyait briller brièvement au fond des yeux jaunes qui l'avaient dardé. Elle était là mais elle ne l'effrayait plus du tout. Et la sensibilité qu'elle se forçait à cacher l'avait frappé de plein fouet, effaçant ses réflexions. Elles semblait si jolie, caressant la vitre avec une douceur qui semblait inespérée de sa part, un rayon de soleil jouant doucement avec ses cheveux presque blancs, bouclés comme ceux d'une princesse d'un autre temps. Les yeux du muet s'activèrent, semblant tenter de garder le moindre détail gravé à jamais sur la pupille. Elle était si belle. Aussi belle que les neiges éternelles.

La peau blanche des joues de la jeune fille ne tarda cependant pas à s'humidifier, choquant encore plus le muet que précédemment. Il se surprit de la trouver également belle dans son malheur mais se reprit bien vite, secouant sa tête, toujours aussi silencieux.

Et Link se fustigea. Il était là, ne bougeant pas, la regardant s'enfoncer dans sa tristesse, celle-ci semblant enlacer le petit corps frêle de la serpentarde. Elle était si fine ! Elle paraissait si fragile ! Comme sur le point de se casser. Et le muet eut mal pour elle, juste un peu. Cette jeune fille avait beau l'effrayer avec son fort caractère, et avoir peu de considération, il ne pouvait s'empêcher de souffrir avec elle.

Une chanson moldue lui revint en mémoire. Il l'avait entendue alors qu'il se posait des questions sur l'école de magie et que des doutes l'assaillaient parfois même jusqu'à l'hyperventilation. Cette mélodie, ces paroles, avaient trouvé une résonance dans son cœur. Et, même s'il ne connaissait pas la jeune fille, il lui sembla qu'elles résonneraient également avec le sien.

I don't know what you want
Don't leave me hanging on
Don't know what you want
Don't leave me hanging on

Link prit une inspiration silencieuse, ainsi que son courage à deux mains. Décidément, il ne pouvait pas laisser une si jolie fleur se faner. Parce que, mine de rien,il avait aperçu ce garçon non loin de la fenêtre, et cette fille, gênante, l'enlacer avec amour.

I'm wasting my youg years
It doesn't matter
I'm wasting my young years.

Le jeune homme s'approcha de la préfète, sortit un mouchoir de tissus propre, un peu ringard, il le savait, et le tendit avec un sourire sous les yeux de la serpentarde.


Maybe I'm wasting my young...

Parce que, mine de rien, Link en avait marre de gaspiller ses années de jeunesses.

Link inspira. Expira doucement, son souffle roulant dans l'air de façon lente et réfléchie. Il était clairement dans l'attente, son bras tendue et sa main tremblant légèrement, l'angoisse remplaçant petit à petit l'élan gryffondorien qu'il avait eu quelques secondes avant. Le muet espérait juste que tout se passerait bien. Par Merlin, il fallait que ça se passe bien, sinon il serait brisé à tout jamais.

Sa main droite se crispa sur le mouchoir quand il se rendit compte que l'adolescente avait posé le regard dessus, sortant de sa triste transe. Et ensuite ? Ensuite un moment étrange et mystique se passa entre le garçon et la fille. Elle le regarda avec intensité. Enfin, c'est ce qu'il parut à Link l'espace d'un instant. Parce que la seconde qui suivait le jeune homme comprit que ce n'était pas lui qu'elle regardait, ou pas vraiment, mais plutôt elle-même à travers son regard. Le sourire timide du jeune homme s'accentua et il fit un geste de la main, proposant encore une fois le mouchoir.

Puis tout se passa très vite. Tout d'abord Link vit la jeune fille froncer les sourcils. Ensuite Il fut surpris de voir le vert de ses yeux s'intensifier et l'atmosphère du bout de couloir changea du tout au tout. Et la suite fut le pire dans tout ça. A peine Morgane avait-elle ouvert la bouche que les yeux du jeune homme s'étaient écarquillés. Quelque chose n'allait pas. Était-ce sa posture, son expression ou bien l'atmosphère qui avait prévenu Link ? Le muet ne le savait pas mais peu importait réellement. Quelque chose n'allait pas du tout et le jeune homme commençait à avoir réellement peur. Une multitude de sons assemblés dans des mots criés contre lui sortirent de la bouche de Morgane et le cauchemars commença.

-TU CROIS QUE J'AI BESOIN DE CA ?

Le jeune homme, pétrifié par le cri plus que par les propos sentit sa main se faire rejeter sans faux-semblants et sa bonne volonté fuir de toute ses forces alors que des flashs de son enfance oubliée refaisaient surface. Il se voyait jouant au ballon avec Ethan, chantant doucement dans son bain, faisant le pitre avec sa mère, jouant à la chaise musicale à l'école moldue, croquant dans une chocolatine au centre de Paris. Il revit ensuite la couleur rouge du capot de la voiture, entendit le bruit des roues crissants sur le béton, ressentit de nouveau la douleur du choc et puis celle du reveil. Tous ces petits flashs de souvenirs enfouis semblaient faire gonfler sa terreur. Link aperçu alors les fines et délicates lèvres de Morgane s'entrouvrir de nouveau, prêtes à cracher leur venin.

Sa tétanie prit soudainement fin et le muet recula puis tomba sur le sol dans sa précipitation. Il croisa de nouveau le regard de la serpentard alors qu'elle criait de nouveau et se protégea de ses bras comme si on allait le frapper. Ce geste sembla faire taire la blonde instantanément et leur regards se croisèrent de nouveau. L'un était plein d'horreur et d'effroi, au bord de la crise de nerf et de peur alors que l'autre semblait horrifié, également, mais plus par son propre comportement, ce qui sembla calmer légèrement le muet.

Link n'eut d'ailleurs pas le temps de réfléchir, trop surpris par la réaction de la serpentarde qui ouvrait doucement la bouche, de nouveau, mais qui semblait détruite par ses propre paroles. Le muet la trouva alors de nouveau si fragile, alors qu'elle murmurait un « pardon » qui semblait tellement sincère. Il lui semblait qu'elle allait éclater en des millions de petits pétales blancs et que ceux-ci tomberaient au sol comme des plumes égarées, ce qui le rendait triste sans savoir réellement pourquoi. Le Poufsouffle décida qu'il n'aimait réellement pas la voir si prise au dépourvu à cause de lui en plus !! la culpabilité remplaça rapidement la peur. Il fallait aussi dire que Link commençait réellement à être habitué à ses cauchemars qui le hantaient sans cesse. Certes, ressentir de nouveau toute la détresse de son accident l'avait rendu horriblement triste et déprimé sur l'instant, mais il y réfléchirait plus tard. Il ne pouvait pas se permettre de laisser cette jolie rose dans cet état.

Bon... C'était réellement plus facile à dire qu'à faire. Link tremblait encore comme une feuille sous le coup de l'émotion, toujours par terre et la peau plus pâle que jamais, serrant son mouchoir comme si il pouvait lui servir de protection.

Link leva alors la tête et se rendit compte que la jeune fille ne semblait pas mieux lotie que lui, tremblante, tête baissée et la main vers lui. Il comprit rapidement qu'elle le voulait, ce mouchoir, finalement. Le jeune homme se mit à genoux et posa délicatement le bout de tissus dans la main de la jeune fille, faisant se toucher leurs mains par inadvertance. Link savait que sa peau était froid comme le marbre et apprécia le toucher tiède, quoique mouillé par les larmes, de la jeune fille.

Le jeune homme eut le bon goût de paraître gêné et de rougir et se décida, une nouvelle fois, à faire le premier pas. Décidément, ça devenait une habitude ! Le muet inspira doucement et récupéra son sac qui était tombé avec lui. Il attrapa ensuite un crayon, son éternel calepin et se mit à écrire à même le sol, anxieux.

Ça va aller ? Je n'avais que ce mouchoir, je suis désolé... et je m'appelle Link... Oh, et je voudrais m'excuser pour le début de l'année, je t'ai bousculée, pardonne moi.

Link était perdu dans ses pensées, à genoux comme un homme qui demande sa main à l'amour de sa vie, alors qu'il avait simplement tendu un mouchoir à la jeune fille, et tendu son aide par la même occasion. Sans savoir réellement pourquoi, l'idée de la soutenir et l'aider dans ce que Morgane traversait en ce moment démangeait vraiment le muet. Il n'aimait pas la voir comme ça.

Car il avait beau dire, il l'avait croisé plusieurs fois, l'évitant d'abord, apeuré de rencontrer ce regard inquisiteur, puis surpris par lui-même de chercher du regard dans la Grande Salle ou encore dans les couloir cette étincelle de fierté, ce magnétisme qui imprégnait chaque pas de la préfète. Et aujourd'hui, alors qu'elle se trouvait face à lui, il ne comprenait pas l'intérêt qu'il lui portait. Pourtant, il se sentait plutôt bien, quoi qu'un peu mitigé entre son sentiment de normalité sereine et son anxiété quant à la réponse de la jeune fille face à ses excuses. Elle n'allait pas le gronder, si ? Le jeune homme se releva, prenant appui de sa main sur son genoux pour se donner l'impulsion nécessaire pour se tenir debout. Il s'épousseta ensuite et un petit sourire idiot prit place sur ses lèvres alors qu'il entendait Morgane lui répondre et qu'un air surprit apparaissait sur le visage de la jeune fille.

Le sourire de Link s'agrandit alors quand la jeune fille se présenta de façon posée, rallumant l'étincelle de fierté naturelle de ses yeux, puisant, semblait-il, un certain réconfort dans son statut. Le contraste entre ses joues mouillées et cet air farouche était étrange, et plutôt désagréable finalement. Où était-ce peut être cette fierté résultant d'un simple nom de famille ? Link secoua la tête à cette réflexion. Il ne pouvait s'empêcher d'être jaloux de cette fille si ancrée dans sa famille, si fière de ses origines, alors que lui ne connaissait rien de ses racines. Il avait un père oui, un père inconnu qui avait fui à l'annonce de la grossesse de sa mère. Un père dont Crystal ne voulait jamais parler et dont les yeux, quand Link l'évoquait, se remplissaient de tristesse et de résignation. Parfois le muet avait peur, peur de ce passé qu'il n'avait pas. Ne disait-on pas qu'il faut connaître son passé pour assurer son futur ? Comment devrait-il faire alors ?

Le jeune homme secoua la tête de nouveau pour effacer ses réflexions, se faisant l'effet d'un chiot qui sort de l'eau. Il regarda réellement de nouveau la jeune préfète de Serpentard, juste au bon moment pour voir sa fierté faillir dans une vague de tristesse, alors qu'elle tenter de se redonner contenance en réajustant son chapeau face à la vitre. Le couple aperçu auparavant semblait avoir disparu mais le soleil dardait toujours le dallage de ses derniers rayons chaleureux de la semaine. Il semblait à Link que les sentiments de ses deux personnes dansaient, là dans la lumière, encerclés par la triste de brume de la fille à ses côtés. Le muet ferma le poing, serrait ses doigts qui tremblaient à l'idée de dessiner ce ressenti. Mine de rien, l'atmosphère le touchait énormément, comme si son âme aspirait la tristesse de la demoiselle à ses côtés, le tout tourbillonnant avec ces propres sentiments, dans un mélange étonnant de gris, de noir et de couleurs éclatantes. Son autre poing se serra doucement et le jeune homme se concentra sur la petite rose lui faisant face. Il lui offrit un sourire rassurant alors qu'il voyait encore flotter les nuages de tristesse dans ces yeux. Ceux-ci attendaient visiblement le bon moment pour laisser se déverser la pluie que contenait le cœur de la Serpentarde.

Link aurait voulu l'aider, aurait voulu lui dire que tout allait s'arranger bientôt, mais sa peine, trop visible, lui montrait qu'ils ne se connaissaient pas. Link ne savait presque rien d'elle, et elle, elle ne savait rien de lui. Même pas qu'il était muet, même si elle devait maintenant s'en douter. Ce manque cruel d'information permit à  l'adolescent de voir la réalité en face. S'il restait trop égoïste à vouloir se protéger, le muet ne pourrait jamais comprendre, ni aider ni compter aux yeux de quelqu'un. Voulait-il vraiment de ça ?

Le Poufsouffle soupira. L'heure de réfléchir sur sa condition et ses choix de vies n'était pas arrivée. Pour l'instant il devait juste s'assurer que cette jeune fille irait bien. Peut-être pas tout de suite, peut-être que si, qui sait ? Link n'avait jamais eu affaire à un chagrin d'amour. Ni à l'amour d'ailleurs. Il ne savait pas à quel point Morgane pouvait être attaché à ce garçon étrange. Une chose était pourtant sûre à ses yeux : la jeune fille avait une dignité, comme tout le monde. Et s'il ne pouvait rien faire pour elle, il pourrait peut-être l'aider à préserver celle-ci.

Le muet fit alors un sourire confiant à Morgane. Il se détourna pour écrire trois mots sur son carnet, appuyé contre le mur et le tendis à la serpentarde. Dans son message, Link signifiait de façon amicale à Morgane qu'il comprenait son besoin d'être seule pour gérer ses émotions et lui proposait chaleureusement de la raccompagner jusqu'à sa maison. Il lui donna le carnet ensuite et tendit le bras de la même façon qu'un gentleman l'aurait fait devant une demoiselle, lui proposant d'aller se promener dans le jardin et conversant de tout et de rien. Finalement, le muet était de ce genre de personnes qui n'aimaient ni forcer les autres, ni heurter la sensibilité. Il sentait que sa proposition était la meilleure chose à faire.

Un sourire. Il n'avait pas rêvé n'est-ce pas ? C'était bien un sourire qu'il avait vu s'étaler sur les douces lèvres rosées de la Serpentarde. Certes, celui-ci semblait un peu triste mais il était là et n'était pas forcé, Link le sentait. Ce petit sourire lui mit du baume au cœur, le faisait se sentir mieux pour la jeune fille lui faisant face. Peut-être irait-elle mieux bientôt. Elle était capable de lui sourire alors même que son chagrin guettait pour l'accabler. Sûrement qu'elle irait mieux bientôt. Le garçon se promit qu'il ferait de son mieux pour que ce soit le cas.

Au sourire suivit alors une phrase qui rendit toute sa bonne humeur au muet. Il était évident qu'il n'était pas d'ici. Personne ne l'avait jamais vu avant cette année, alors qu'il était inscrit depuis ses sept ans, peut-être même depuis plus que ça. Et il avait été tenace en ce qui concernait le sujet Morgane Taylor. Pourquoi? Link n'en avait aucune idée. C'était comme un instinct précaire qui lui disait qu'il avait envie de la voir, de l'entre rire et de lui donner une chance. Lui donner une chance... Peut-être que le muet sentait aussi qu'elle pourrait lui en donner une, de chance ? Une nouvelle chance de faire quelque chose de bien. La seule chance qui lui était apparue depuis ses dix ans. Et puis, de toute façon, il n'avait pas l'impression d'aider, plutôt qu'il  la soutenait et là encore ce qu'il faisait lui paraissait vraiment dérisoire. Après tout il lui avait juste tendu un mouchoir, proposé de la ramener et c'était tout. Pourtant, ces petits gestes humains semblaient étrangement importants aux yeux de la blonde.

Le muet sentit, plus qu'il ne vit, la main de la jeune fille se gliser dans l'angle que formait son bras. Ainsi le Poufsouffle commença à avancer, la tête droite et un sourire bien en place. C'était la première fois pour lui. La réelle première fois qu'il prenait le temps de regarder en hauteur, la première fois qu'on pouvait croiser son regard plutôt que sa chevelure. Link n'avait pas l'habitude de lever la tête en marchant. Il eut un peu peur, tout d'abord, de se mélanger les pédales et de les faire chuter, Morgane et lui. Cependant le jeune homme savait marcher depuis plus ou moins seize ans. Et, qu'il le croit ou non, ses pieds savaient se  débrouiller sans qu'il passe son temps à les regarder marcher.

Le sourire qui était vissé sur les joues du muet semblait ne pas vouloir le quitter alors qu'il raccompagnait sagement la préfète dans sa tanière. Hum... Tanière n'était pas réellement adapté n'est-ce pas ? Les lions avaient une tanière. Les aigles un nid. Qu'avaient donc les serpents et les blaireaux ? Link se refusait à employer le terme de trou pour les serpents. D'une part parce que leur salle commune ne devait rien avoir d'un trou. Secondement car les fenêtres de celles-ci donnaient sur les profondeurs du lac. La salle commune des Serpentard devait être incroyable ! Alors voilà, Link ramenait le capitaine au navire. Et après, il retournerait sûrement dans son terrier.

Ils croisèrent plusieurs fois des élèves et le jeune homme sentit plus qu'il ne vit la jeune fille se ratatiner sur lui, honteuse de se présenter si faible. Sa tête était basse et il sembla au Poufsouffle que Merlin était passé par là pour échanger leur rôles. Et cela ne semblait pas vraiment plaire à Link. Mais ce qui suivit fut presque pire. Ils étaient presque arrivés, et les deux jeunes gens croisaient encore des élèves, curieux ou les ignorant tout simplement. Le silence était tombé mais l'adolescent ne s'en formalisait pas, le silence était son quotidien après tout. Peut-être aurait-il préféré qu'il ne s'éloigne pas alors que Morgane prenait la parole.

- Tu ne parles pas beaucoup, mais je comprends... C'est pas comme si je méritais d'entendre ta voix. Ça fait bizarre, c'est la première fois que quelqu'un ose me snober... A part Raven.

Link failli s'étrangler avec sa propre salive. Un petit sursaut le prit. Mais avant qu'il ait pu faire quoi que ce soit, Morgane reprenait la parole.

- Je ne sais pas si c'est parce que tu ne me connais pas... Mais je te trouve courageux... Ou maso à vouloir m'aider ainsi. En tout cas... Je n'oublierais pas ce que tu as fais pour moi.

Le muet s'arrêta, tout sourire disparu. Non seulement ils étaient arrivés mais le regard assombri de Link montrait une sévérité étrange qu'il n'avait jamais montré à personne. Le muet était en colère. Comment pouvait-elle croire qu'il ne voulait pas lui parler ? Il ne pouvait pas ! Il ne pouvait pas ! IL ne snobait personne, par Merlin ! Il ne savait même pas comment on faisait !

Il se posta face à  la fille, un regard inquisiteur plongeant dans les yeux verts de la serpentarde. Link prit alors sa main et la posa sur les cicatrices qui serpentaient dans son coup. Et il se mit à parler, comme s'il le pouvait encore. Son regard, au début inquisiteur, s'attrista alors qu'il espérait que Morgane comprenait tout ce que cela impliquait.

Finalement un élève que le Poufsouffle ne connaissait pas ouvrit le portrait de l'intérieur et appela, surprit, la préfète. Link en profita pour lâcher la main de la jeune fille et faire demi-tour après un petit signe de la main timide. Direction les sous-sols et plus particulièrement les cuisines. Rien de tel qu'une bonne glace caramel au beurre salé pour se remettre de toutes ces émotions.