Je n'en revenais pas. Cette information résonnait dans ma tête comme dans un puits sans fond, sans pour autant parvenir à atteindre ma raison. Cela fait quelques jours maintenant que mon enquête sur Cassiopée se poursuivait, et même si pour le moment je n'avais aucune piste qui mènerait à une personne en particulier... J'avais appris l'identité de la personne du Ministère dont j'avais entendu parler, et qui avait été gravement blessée lors de l'attaque.

Cette personne... C'était Alizea.

J'avais du mal à y croire. Quelqu'un d'aussi débrouillarde qu'elle, qui m'avait emmenée en mission... Nous avions même fait l'OWA ensemble ! Elle m'avait prouvé sa capacité à gérer les situations de crises bon nombre de fois... Si bien que cette information sonnait faux en moi. Comme si ma conscience était incapable de l'assimiler comme étant possiblement réaliste. C'était exactement comme si on m'avait dit que les accromentules ne mangeaient que des fruits, ou que Liz n'aimait pas le rose. Pour moi, c'était le même niveau d'aberrance : Absolument impossible.

Je devais le vérifier par moi-même. M'assurer que c'était une erreur, et qu'elle allait parfaitement bien. J'ai demandé à ma chérie son adresse, étant donné qu'elle avait eue l'occasion d'y aller avant moi pour s'entrainer aux sortilèges, et décida de lui rendre visite. Il était un peu plus de vingt heures, et même si nous étions un samedi, j'espérais qu'elle était chez elle. Je pris la poudre de cheminette jusqu'au Chaudron Baveur, et fit ouvrir le fameux faux-mur pour me rendre au Chemin de Traverse. D'après Liz, elle n'habitait pas très loin, au deuxième étage. Je me rendit donc jusqu'à son immeuble, grimpa les escaliers -il y avait sans doute un ascenseur fonctionnel, mais les habitudes ont la vie dure- et me rendit à la porte qu'elle m'avait indiquée. Si elle n'avait pas encore confondue sa gauche et sa droite, normalement c'était la bonne. Je frappa donc trois coups, la boule à la gorge.

Ouf, au moins elle n'était pas absente : je l'entendais depuis l'autre côté de la porte pour venir m'ouvrir. Seulement... Ses pas étaient irréguliers. L'une de ses jambes s'appuyait bien plus lourdement sur le sol que l'autre. C'était subtil, mais c'était le genre de chose que j'étais capable de déceler avec mes sens acérés. Le nœud qui se formait au creux de mon estomac se resserra d'avantage. Lorsqu'elle m'ouvrit la porte, une étrange odeur parvint jusqu'à mon nez. Une odeur que je n'arrivais pas immédiatement à identifier. Pourtant, elle me semblait vaguement familière.

- Ça, pour une surprise ! S'exclama-t-elle de surprise, teint d'un ton de voix qui laissait transparaitre un sourire qui fut contagieux.
- Bonsoir, Lizzie.

Cela faisait bien longtemps que je ne lui avait pas rendue visite, effectivement. Après l'OWA, j'ai dû la croiser deux ou trois fois au détour des couloirs du Ministère, mais je n'avais jamais pris le temps de venir lui parler. En même temps, les études d'Aurors sont énormément chronophages, et d'après ce que j'avais compris, son travail l'était tout autant. Néanmoins, ce que nous avions vécus avait tissé un lien entre nous deux, bien que je ne saurais exactement en déterminer sa nature. Elle était plus qu'une collègue de travail, ça c'était certain, mais je ne saurais dire si je la considérais comme une amie. Je la respectais trop pour ça. En fait, je la plaçais quasiment au même niveau que ma tutrice. A ça près qu'elle était bien moins stricte et bien plus sociable. A la fois mentor et amie. Quelque-chose comme ça.

- Entre, je t'en prie.

J'acceptai son offre en inclinant légèrement la tête et pénétra à l'intérieur de l'appartement. Elle m'invita à la suivre jusqu'au salon, et passa devant moi pour me montrer le chemin. Seulement... tandis qu'elle marchait, je ne pouvais pas ne pas entendre le bruit atypique de ses pas. L'une de ses jambes semblait normale, mais l'autre... Comme je l'avais entendu depuis l'entrée, elle s'appuyait plus sur cette jambe-là. Et même plus que ça : l'odeur étrange que je sentais semblait provenir de là, car elle suivait Lizzie à la trace. Et quand elle bougeait, j'entendais des dizaines de petits cliquetis métalliques, comme les rouages que l'on entendait à l'intérieur d'une montre. C'est alors que je compris exactement de quoi il était question.

Une jambe métallique.

C'était cela l'odeur que je sentais : un mélange de fer et d'huile. Mon dieu... Elle avait une prothèse métallique à la jambe. Quand j'avais entendu qu'elle avait été gravement blessée, je n'aurais jamais cru que ce soit à ce point-là... Comment un Détraqueur avait pu lui infliger pareille blessure ? D'habitude, ils s'attaquent plutôt à l'humeur, au moral des victimes, voir à leurs âmes... Je n'avais jamais entendu parler d'agression physique, et surtout aussi violente. A moins que ça ne soit autre chose ? Tandis que je me posais toutes ces questions, mon ventre se tordait littéralement. Par Merlin... Cette attaque avait été bien, bien plus grave que je ne le pensais. Une apprentie Auror est morte, une membre du Ministère aussi douée qu'Alizea avait perdue une jambe... C'était à se demander par quel miracle je m'en étais sorti en un seul morceau. Encore que... Si je n'étais pas aussi amoureux de Liz à ce moment-là, si nous n'avions pas été en couple... m'en serais-je sorti ? C'est grâce à elle que j'avais su trouver la force de combattre le Détraqueur. Si elle n'avait pas été dans ma vie... Je serais probablement dans la tombe voisine à celle de Cassiopée à l'heure actuelle.

Je m'installa sur le sofa en face de celui de Lizzie, la mine bien plus grave qu'à l'instant.

- Que me vaut cette visite ? Cela fait longtemps qu'on ne s'est pas vus.

J'ouvris la bouche, mais les mots avaient du mal à sortir, comme si ils s'agglutinaient dans ma gorge. En tant normal, j'aurais probablement fait un jeu de mot du genre "Tellement longtemps qu'en vérité, je ne t'ai jamais vue !"...

Mais nous n'étions pas en temps normal.

Je ne m'attendais pas à ce qu'elle soit blessée à ce point-là... Ce dû être un événement traumatisant pour elle, aucun doute là-dessus. Est-ce que je pouvais en parler aussi librement ? Même pour moi, cet incident était suffisamment récent dans mon esprit pour que je m'en rappelle comme si c'était hier. Alors ce devait être également le cas pour elle. Et peut-être n'avait-elle pas envie de ressasser ce genre de souvenir plus que traumatisant. Il était encore temps de mentir, de passer ma venue pour une simple visite de courtoise, parler de tout et de rien et rentrer à la maison comme si rien ne s'était passé. Peut-être devrais-je attendre un peu avant de poursuivre mon enquête...

...Non. Je ne pouvais pas. J'ai perdu une amie ce jour-là. Et celle qui se trouvait en face de moi avait perdu une jambe. Ce genre d’événement ne pouvait pas être prit à la légère. Il fallait que je découvre la vérité derrière tout ça. Même si le Ministère faisait son enquête de son côté... mon instinct me disait que je ne pouvais pas leur faire confiance. Je ne pouvais pas rester sans rien faire alors qu'un événement avait blessé autant de gens, aussi bien physiquement que moralement. Ce n'était pas mon genre.

J'espérais seulement qu'Alizea saurait me pardonner...

- Je... Je suis venu te parler de ce qui s'est passé... à Poudlard. L'attaque des Détraqueurs. Annonçais-je d'une voix grave.

Je pris une grande inspiration avant de poursuivre.

- J'ai besoin de savoir ce qui s'est passé. Ce qui t'es arrivée.

Je l'entendis soupirer. Elle n'avait probablement pas envie d'en parler, je m'en rendais bien compte. Mais j'avais besoin de savoir.

- Ce n'est pas le genre d'histoire que j'aime raconter. D'autant que je ne suis en vie que grâce à l'intervention d'un élève. J'ai tout raté, ce jour là. Peut être par excès de confiance en moi, je ne sais pas. J'ai été stupide.

Un long silence de plomb s'en suivit, pendant lequel je me rappelais ce qui s'était passé de mon côté... Lorsque j'avais commencé à fuir, mais qu'au final j'ai fini par vouloir affronter le Détraqueur de face. Là aussi, était-ce un excès de confiance ? Probablement... Les choses auraient probablement étés différentes si j'avais continué à fuir... Mais j'aimais croire que grâce à mon intervention, ces deux rejetons de la Mort ne se sont pas attaqués à d'autres élèves innocents et biens moins doués pour la Défense Contre les Forces du Mal que moi. C'est ce que j'aimais croire.

- J'étais là pour parler de mon service aux élèves, afin d'éviter des transformations sauvages et non accompagnées. On essaie de réguler l'accès à l'animagie et ça commence par Poudlard. Je ne sais pas pourquoi, j'ai eu envie d'aller faire un tour dans le parc. Et une fois arrivée au lac, j'ai senti quelque chose. Le détraqueur, expliqua-t-elle tandis que je l'écoutais avec attention. Je m'en serais probablement sortie si je n'avais pas été métamorphosée. J'étais en renarde et au dessus du lac... je suis tombée à l'eau. Ce sont les strangulots qui m'ont brisé une patte. Ils ont manqué de me tuer, de me noyer. C'est un élève de poufsouffle qui m'a tirée de ce mauvais pas. Araekin Michaelis, si tu le connais.

Michaelis ? En effet, il ce nom ne m'était pas inconnu. Il me semblait que ma chérie m'en avait parlée, vaguement. C'était donc uniquement grâce à l'intervention de cet élève qu'Alizea était encore en vie et devant moi en ce moment-même ? Merlin... Entre ce témoignage, la mort de Cassiopée et ma propre expérience... Je me rendais compte à quel point la vie était si fragile, peu importait comment on se préparait à ce genre de dangers. Toutes ce formations d'Auror, toutes les années d'expérience sur le terrain d'Alizea... Et même avec tout ça, aucun d'entre nous n'étions à l'abri du danger. La Mort planait toujours au dessus de nous, peu importait le temps que nous passions à lutter contre son emprise. C'en était terrifiant.

- Tu n'as pas à te blâmer. Personne ne pouvait s'attendre à ce genre d'attaque... Surtout à Poudlard.

Encore que ce dernier point semblait devenir de moins en moins vrai en ce moment. Certes, malgré la réputation de cette école prestigieuse pour être aussi protégée qu'une véritable forteresse imprenable, les dangers à l'intérieur de ses murs n'étaient pas inexistants. Comme le basilic qui rôdait dans la Chambre des Secrets pendant de longues années, auparavant. Ou même toutes les créatures potentiellement mortelles qui trouvaient refuge dans la Forêt Interdite. Mais en ce moment, j'avais la sensation que les récents incidents qui s'étaient déroulés dans cette école détonnaient des autres. Il se passait quelque-chose, et je ne savais pas encore quoi. Mais je comptais bien le découvrir.

- Moi-même j'ai bien failli y passer, ce jour-là. Deux d'entre eux me sont tombés dessus pendant que je me promenais dans la Forêt Interdite. Il s'en est vraiment fallu de peu.

Parfois, j'avais encore l'impression de ressentir le froid qui s'était répandu sur ma main. Comme si je l'avais laissée dans un congélateur pendant deux heures, mais en seulement deux secondes. Et cette sensation immonde qui s'en était suivie... Je me demandais combien de temps il allait encore me falloir avant que je ne l'oublie. Si je l'oublie un jour.

- ...Mais j'ai une amie qui y était, et qui n'a pas eu cette chance. Et j'ai beau demander aux Aurors, ils ne veulent pas me donner les résultats de l'avancement de l'enquête.

Je me penchai légèrement en avant.

- Mais il me faut des réponses. Est-ce que tu sais quoi que ce soit sur cette attaque ?