Après trois semaines passées avec Camille en Afrique, Cecil profitait d'un peu de temps en solitaire. Non pas que la présence de Camille le dérange, mais passer de plusieurs années de célibat à une vie de couple un tant soit peu normale, si quelque chose pouvait être normal avec Camille, était une étape. Il ne l'avait pas vécu aussi difficilement que ce qu'il aurait imaginé, mais il était heureux de retrouver une forme de solitude à laquelle il s'était habituée.

Cecil était donc retourné au château en cette agréable fin août afin de préparer son année. En allant un jour à la bibliothèque déserte, il s'était souvenu de sa rencontre avec la petite Salamandre, Nim, qui lui avait parlé de son frère, grand joueur de Quidditch. Une petite visite s'imposait. D'autant plus qu'un peu d'air frais lui ferait du bien.

Malgré l'été étonnamment doux pour l'Ecosse, Cecil s'était couvert, car il traînait depuis son retour un semblant de rhume, que sa fierté lui interdisait de soigner. Après tout, il était impossible que lui, Cecil Vernet, attrape un rhume à cause de la climatisation de l'avion. Im-pos-sible.

Il portait donc écharpe et manteau en partant vers Pré-Au-Lard. La route fut agréable et malgré quelque éternuements sporadiques, Cecil avança d'un bon pas, parvenant bientôt au petit village ensoleillé. Les ruelles étaient vides, mais l'atmosphère était tout de même chaleureuse. Il avisa le magasin d'Accessoires de Quidditch et s'y dirigea d'un pas vif. Il poussa la porte, s'essuya les pieds et dit d'une voix franche.

"Bonjour, Seyn Landers! Je suis ravi de faire votre connaissance. Cecil Vernet, je suis un très grand fan!"

Cecil avait l'impression d'avoir rajeuni de vingt ans. Voir devant lui une de ses idoles étaient assez grisant, d'autant plus que Seyn Landers était tout de même très séduisant. Cecil ne fit absolument pas attention au bégaiement du joueur, même si en temps normal il n'aurait pas manqué de noter l'air stupide et étonné qui s'était peint sur son visage. On aurait dit qu'il venait de voir un démon, mais Cecil n'avait d'yeux que pour son héros et son incroyable magasin.

"Je dois vous avouer, Seyn Landers, que je suis un très grand supporter de l'équipe de Quidditch irlandaise, mais vous êtes sans conteste l'un de mes joueurs favoris. Vos prouesses n'ont d'égal que mon amour pour votre sport et votre équipe et je dois vous avouer que vous rencontrer est pour moi un honneur doublé d'une joie immense. J'ai vu tous vos matchs depuis que vous avez commencé à jouer, et j'ai même incendié personnellement le commentateur de la Gazette qui a osé un jour vous critiquez après votre défaite contre le Portugal. Haha! Le pauvre homme s'est répandu en excuse. Bref, tout cela pour vous dire que je suis un grand fan de vous, et lorsque j'ai appris que vous teniez une boutique à Pré-Au-Lard, je me suis dit qu'il serait dommage et stupide que je ne vienne pas vous rendre une petite visite, même si je suis sûr que vous êtes assailli de fans constamment dans la journée."

Cecil lui adressa un grand sourire et, sans attendre de réponse, se mit à regarder les étagères d'un air expert.

"Votre boutique est vraiment merveilleuse. Cela va sans dire qu'un joueur aussi talentueux que vous ait une boutique de pointe, me direz-vous, mais je tiens tout de même à souligner la qualité de vos produits."

Le regard de Cecil tomba sur la porte entrouverte vers l'arrière-boutique qui était assez, euh... encombré dirons-nous. Ses yeux revinrent un instant vers le joueur. Se pourrait-il qu'il soit mal organisé? Non, impossible! Il devait avoir eu une journée difficile avec de nombreuses livraisons. Un magasin tel que le sien devait voir passer énormément de monde. Le sourire de Cecil revient tandis qu'il se plantait devant le commerçant.

"C'est réellement un plaisir, Seyn Landers."

Pour la première fois depuis que Cecil était entré dans le magasin, Seyn lui sourit, en lui tendant la main. Cecil le saisit avec joie.

"Vernet. Monsieur Vernet. Mais appelez-moi Cecil."

Cecil ne put dire quoique ce soit de plus. Il resta sans voix. Jamais encore, il n'avait vu de sourir tel que celui que Seyn venait de lui offrir, et même Cecil qui arrivait toujours à trouver les mots pour qualifier les choses dut reconnaitre que, cette fois-ci, aucun mot ne convenait. Seyn brillait. Comme un soleil blanc. Jeune, vif, naïf, mais incroyablement éclatant. Un soleil que l'on pouvait regarder, un soleil qui s'offre à nous. Un soleil qui donne sans rien demander en échange. Un soleil qui dispense tout ce qu'il a, tout ce qu'il est en un éclat, un éclair qui vous brûle et vous change. Cecil avait rencontré des centaines de personnes. Il avait vu des milliers de sourire. Le sourire d'un enfant canadien, courant après un oiseau. Le sourire d'un vieillard chinois, heureux et sage. Le sourire d'une mère devant les pas hésitants de son fils. Mais, parmi tout ces sourires, il n'avait encore jamais vu celui-là. Celui que lui offrait négligemment Seyn, inconscient de ce qu'il était, inconscient de la lumière qui émanait de lui, qui illuminait la pièce et réchauffait les âmes. Un lumière profondément pure, parfaitement honnête, terriblement humaine. L'instant fut bref, pas même une seconde, mais en lâchant la main de Seyn, Cecil se sentit différent, comme apaisé. Quelques instants passèrent sans qu'il ne puisse dire quoique ce soit. Ses yeux étaient plongés dans ceux de Seyn. Bon sang qu'il était attirant. Cecil n'avait pas l'habitude de passer en second sur le plan de charisme, mais cette fois-là, il laissa volontiers la place au joueur de Quidditch. Un sourire réapparut sur le visage de Cecil, grandissant petit à petit, comme une certitude qui s'ancre sur un terrain glissant.

"Veuillez m'excuser, je parle beaucoup. Vous devez me prendre pour un fou. Sachez simplement que je suis heureux de faire votre connaissance. J'ai rencontré votre soeur qui m'a dit que vous aviez un magasin ici et je n'ai pas pu résister à la tentation de venir vous voir. J'espère que cela ne vous ennuie pas..."

Cecil fut touché par la lueur qui s'alluma dans le regard de Seyn lorsqu'il lui parla de sa sœur. Visiblement, l'amour qui liait les deux était immense. Cecil eut un petit sourire. Lui était fils unique. Cela ne l'avait jamais vraiment dérangé, puisque, étant enfant, il préférait souvent jouer ou étudier seul. Il n'avait jamais ressenti le besoin d'avoir quelqu'un avec lui. Ses parents lui suffisaient. Mais, voir le regard de Seyn s'illuminer ainsi était d'autant plus marquant pour lui qui n'avait jamais eu ce genre de relation. Cecil se dit que les Landers devaient vraiment être une belle famille à voir.

"Oui en effet. J'ai eu le plaisir de rencontrer votre sœur à la bibliothèque. J'espère d'ailleurs la retrouver l'année prochaine dans mon option. Je suis professeur d'Arithmancie."

Bizarrement, Cecil se sentit de trop. Il sentait que le monde de Seyn était joyeux et lumineux. Il devait avoir sa vie et ses entrainements. Ses petites amies et sa famille. Visiblement, il était assez inconscient de sa notoriété, et cela mit Cecil mal à l'aise. Il s'était attendu à trouver un jouer professionnel de Quidditch, pas un grand frère gaga. Il n'était pas déçu, mais il ne savait plus trop quoi dire ou faire.

"Belle journée, n'est-ce pas? Vous avez eu beaucoup de monde?"

Cecil observait Seyn qui filait vers l'étage. Il ne savait pas vraiment s'il était content ou non de se retrouver seul. Certes, il était moins mal à l'aise, mais il ne savait pas non plus quoi faire dans cet endroit inconnu. Il observa la boutique. Honnêtement, c'était une belle boutique, chaleureuse, souriante. On s'y sentait tout de suite bien. Un lieu à l'image de son propriétaire.

Pourtant, dans chaque objet exposé, chaque étagère, chaque balais entassé derrière le comptoir, Cecil voyait une chose, presque comme si elle était écrite. Il ne faisait pas parti de ce monde. Il n'était pas joueur, ni même amateur. Il ne pouvait que s'extasier des matchs auxquels il assistait, que louer le talent et la virtuosité des joueurs qu'il voyait évoluer sur leur balais. Lui souffrait du vertige, le vol en lui-même ne l'attirait pas. Comment pouvait-il faire partie d'un monde dont il n'était que le spectateur?

Son amour du Quidditch lui venait de sa mère, il l'avait toujours su. Sans elle, il aurait toujours aimé ce sport, mais avec moins de ferveur, moins de passion. Assister à des matchs était pour lui un moyen de se sentir proche d'elle, de se souvenir des moments de bonheur qu'il avait eu avec elle. Il était peut-être temps pour lui de passer à autre chose. Cela allait bientôt faire vingt ans qu'elle était partie et pourtant, Cecil avait l'impression que la veille encore elle lui souriait, le chahutait gentiment.

Cecil caressa du bout du doigt un Souafle sur une étagère. Siobhan non plus n'avait jamais vraiment joué au Quidditch. Mais elle avait été une des meilleures dans son travail : l'enchantement des balais. Son expertise avait été louée de nombreuses fois, et beaucoup de compagnies de fabrication de balais avaient voulu s'offrir l'excellence de sa baguette. Mais elle était restée fidèle à son entreprise. Une femme exceptionnelle.

Seyn reviendrait bientôt, mais Cecil n'en avait pas envie. Il voulait rester un peu seul, perdu dans ses souvenirs, comme cela lui arrivait de plus en plus souvent. Mais ce n'était pas à lui de décider. Après tout, c'était lui-même qui était venu voir son joueur fétiche. Il eut un petit sourire triste. Il s'accouda sur le comptoir et attendit patiemment de ne plus être seul.

Ah, le thé glacé. Cecil étant un grand amateur de thé, il n'avait pu manquer de découvrir cette boisson estivale. Il avait bu pour la première fois cette boisson en Chine, où la modernité avait réadapté cette boisson culturellement ancestrale.

"Nous vous inquiétez pas. Merci beaucoup. Je raffole de cette boisson."

Cecil lui fit un clin d'oeil. Il sentait peu à peu la tension se dissiper. Cecil but à son tour une gorgée. Assez sucré, mais indéniablement généreux. Mais, même la fraîcheur et les glaçons ne purent refroidir l'atmosphère qui s'installait. Seyn avait l'air plus à l'aise et Cecil l'était tout autant. Lorsque Seyn lui parla du match de la semaine à venir, Cecil sourit intérieurement.

"En vérité, j'ai déjà mon billet. Je n'aurais pour rien au monde manqué la moindre occasion de voir mon équipe favorite jouer contre une redoutable adversaire. Je dois bien avouer que les Hongrois forment une équipe que j'affectionne beaucoup. Leur jeu n'est pas forcément toujours extrêmement technique, mais au moins, il y a de l'action, pas comme avec les Anglais."

Cecil était reparti à parler de ce qu'il aimait, car au fond, son amour pour le Quidditch était bien le sien. Sans doute lui avait-il été offert par sa mère, mais, au fil des années, il se l'était approprié, l'avait cultivé, perfectionné. Il ne serait jamais joueur. Il serait toujours spectateur éclairé, et au fond, cette position lui convenait. Voir des matchs avec un œil aiguisé. Apprécier dans toute leur splendeur les actions de certains joueurs. Pouvoir débattre du bienfondé du coup de sifflet d'un arbitre. Sa passion était la sienne. Et qui aurait bien pu dire le contraire en le voyant ainsi, le sourire aux lèvres et les yeux brillants, discuter de Souafle et de Cognard avec son joueur préféré.