Eileen s’était tenue sur la croix d’arrivée quelques secondes avant d’effectuer un demi-tour sec. Elle resterait digne. Elle était digne de toute façon. Cette épreuve était stupide. On ne devrait pas avoir le droit de forcer des enfants à monter des mètres au-dessus du sol sans protection. Parce que non, un pauvre professeur planté en bas avec une pauvre baguette magique ça ne compte pas comme protection. Il y avait eu des poignets cassé. Et même Eileen avait réussi à plonger dans le Lac sans que rien ne la retienne. Dire que ses parents lui avaient dit de faire attention, d’éviter le danger à tout prix. Ils auraient pu lui fournir une dispense pour cette horrible matière ! Ils n’étaient pas cohérents !

Eileen souffla en marchant. Ce n’était pas la première fois qu’elle faisait ce raisonnement. C’était inutile. Et puis finalement ça irait. C’était leur examen donc dernier cours et ils n’avaient pas vol en deuxième année. Si elle passait en deuxième année… Oh bon sang ! Ce mois de juin était vraiment une plaie ! Elle n’aurait pas pu avoir sa transformation à cette période ? Ca l’aurait sans doute excusée ! Quoiqu’elle aurait probablement dû passer les rattrapages… Oh monde cruel ! Incapable de lui rendre service correctement !

Derrière elle, le son de celui qui passait faisait écho dans le stade. Elle tourna la tête. Bien sûr, monsieur volait lui ! Eileen baissa la tête en serrant l’arête de son nez entre deux doigts tout en fermant les yeux. C’était débile. Elle poussa un nouveau long soupir puis rouvrit les paupières. Bon sang ! En plus sa chaussure était sale ! A vagabonder à pied dans le stade au lieu de voler, elle l’avait couverte de terre en son bout.

La première année s’accroupit pour frotter le cuir et du coin de l’œil aperçut une forme étrange sous les gradins. Plissant les yeux, elle reconnut le propriétaire de cette forme. Llewellyn Abernathy. Le garçon plus que timide qui était dans sa classe et maison. Il avait été dans les premiers à passer et l’exercice n’avait pas semblé lui faire du bien. Eileen n’avait pas pu s’empêcher de rire quand il avait dû se reprendre après un tournoiement infernal qu’il avait effectué pour atteindre le deuxième cercle. Elle n’avait pas voulu être méchante mais le pauvre… La scène était cocasse. Au moins avait-il finit par faire tout le parcours. Elle ne pouvait pas en dire autant. Si elle avait su, elle n’aurait peut-être pas eu le rire si facile.

Une pointe de remord à l’estomac, Eileen s’approcha des gradins pour se glisser en dessous et faire face au jeune Abernathy, les poings sur les hanches.

- Pourquoi tu restes là ? T’aimes tant les gradins ?

Mortifié !
Llewellyn était mortifié !
Si encore les examens avaient pu être discrets, passé en petit comité, juste quelques profs et l'élève ...
Mais non ! non et non !!
Il avait fallut que TOUT LE MONDE le regarde se ridiculiser, parce qu'en plus, il n'était que le second sur la liste alphabétique des première année. Il n'avait jamais prétendu savoir voler, ni même aimer ça. Il n'avait jamais eu de balais avant d'entrer à Poudlard, ni même vu qui que ce soit s'en servir, les cousines, et toutes les femmes du clan, d'ailleurs, avaient un moyen de déplacement de prédilection, bien plus commode, qu'il avait subi tout à loisir.
Il ne maitrisait pas plus ce moyen là, d'ailleurs, mais le sujet n'était pas là. Il avait tellement été pitresque, sur ce fichu morceau de bois, à essayer d’atteindre des hauteurs indécentes. Malgré tous ses efforts, il avait été la risée de TOUS les première année, et pas seulement de ceux de sa maison, comme il en avait l'habitude. Plus il avait essayé, et plus les rires étaient devenus denses, plus ils l'avaient transpercé, mis en pièces, mâchouillé puis recraché. Quand à la fin du slalom, il s'était laissé tombé sur la marque finale plus qu'il ne s'y était posé, il avait abandonné là l'instrument de torture de bois et de brindilles et avait filé se cacher sous les gradins. Et là, il avait pleuré de honte et de désespoir, sous le poids des rires et des lazzis.

Le temps avait passé, mais Llewy ne voulait pas sortir. Il comptait attendre la nuit tombée, pour réussir à rejoindre le château et s'y trouver un trou discret, histoire que les élèves aient un nouveau sujet de discussion avant qu'il ne réapparaisse.
Hélas ! Trois fois Hélas !!! Quelqu'un, et de sa maison, en plus, ne semblait pas du même avis.

- Pourquoi tu restes là ? T’aimes tant les gradins ?

Encore une chance de ne pas s'être fait traquer par "Miss-Pimbêche" en personne ! Mais la demoiselle Shalford paraissait attendre une réponse. Llew passa sa manche sur son visage mouillé de larmes, prit une profonde inspiration qui dégénéra en un long soupir.

- Ze savais bien que z'avais aucune ssance de réussir ce test. Ze savais zuste pas combien z'allais être ridicule, à tenter ce truc dingue. En plus, manque de ssance, z'ai du passer dans les premiers, quand tout le monde avait rien de mieux à faire que regarder ... et se foutre de moi.
En plus, z'ai zamais prétendu savoir voler, z'ai même zamais prétendu aimer ça, mais les porfs sont vraiment méssants de nous passer devant tout le monde, ze suis sur d'en entendre parler toute ma vie... et même des zens que ze connaitrai pas, plus tard, se diront en me croisant "t'as vu, c'est le garçon qui sais tellement pas voler que tout Poudlard en rigolait", tu vois le zenre ?
Alors non, z'aime pas les gradins, ze déteste le quidditss ... mais z'ai encore moins envie de sortir de là-dessous ...

Il fallut un temps à Eileen pour s’habituer à la légère obscurité offerte par les gradins. Une fois ce temps écoulé, ses yeux s’écarquillèrent et la pointe de remord qu’elle ressentait auparavant se transforma en douche de culpabilité.

Llewellyn essuyait ses larmes avec sa manche et Eileen ne savait absolument pas quoi faire. Elle ne pensait pas qu’il s’était réfugié là pour pleurer. Elle ne pensait pas non plus qu’il pouvait y avoir une autre raison de vouloir se cacher à l’instant présent. Elle n’avait pas réfléchi. Elle aurait dû continuer son chemin et ne jamais le remarquer. Les gens qui pleurent n’aiment pas être remarqués. En tout cas, elle, avait horreur de ça. Que devait-elle faire ? Que pouvait-elle faire ? Et ce n’était même pas comme si elle connaissait bien le garçon. Ils ne s’étaient quasiment jamais adressé la parole.

Les joues d’Eileen rosirent en l’entendant. Elle avait réellement fait partie du problème. Elle se mit à triturer le bas de sa chemise sans savoir quoi faire. Et puis maintenant il zozotait.

- Oh… Ok…

Bon sang ! Elle avait vraiment envie de faire quelque chose. Elle ne pouvait partir comme ça ! Elle ne pouvait pas non plus rester plantée là ! La manche de Llewellyn était humide. Avec un petit saut au cœur, Eileen eut une idée.

- Oh ! Tu veux un mouchoir ?

Eileen entreprit de fouiller dans ses poches. La première ne contenait qu’un vieux chouchou oublié mais la seconde contenait bien un mouchoir. Sale. Eileen regarda le mouchoir, puis Llewellyn, puis le mouchoir, puis Llewellyn. Non, elle ne pouvait décemment pas lui donner ça. C’était malin ! Elle lui proposait quelque chose qu’elle ne pouvait pas lui donner ! Mais qu’est-ce qu’il lui prenait ! Elle ne faisait rien comme il fallait !

Eileen baissa la tête.

- Désolée…

Elle tomba finalement en tailleur en face de lui.

- Et désolée d’avoir rigolé aussi… C’est juste, c’était marrant de… Enfin, non ça l’était pas.

Elle posa le mouchoir par terre, entre ses jambes croisées. Que pouvait-elle dire à présent ? Tout ça à cause d’une fichue épreuve de vol !

- Pfff, de toute façon, le vol c’est nul. C’est pour les crétins.

Llewy regardait la petite fille devant lui. Il savait qu'elle était la moins méchante des Serpentards, il croyait aussi l'avoir entendu parler de ses frères, mais sait-on jamais, c'était peut-être une ruse.
Cependant, il devait bien reconnaitre qu'elle n'avait jamais semblé lui vouloir du mal, ne s'était pas vraiment moquée de lui, mais n'avait pas non plus trop cherché à lier connaissance.
Une fillette complexe que la jeune Eileen, n’aimant pas plus que lui le Vol sur Balais, aussi appliquée que lui en potion, mais pas aussi convaincue par l'astronomie ou l'Histoire de la Magie ...

Vint alors l'impensable : elle lui proposa un mouchoir !
La mimique suivante, quand elle cacha son mouchoir tout cracra était impayable, il eut un hoquet, à mi chemin entre le croassement de rire et le sanglot, mais fut capable de la remercier pour le geste.

- C'pas grave, t'inquiètes pas, z'ai une autre mansse !

Joignant le geste à la parole, il se passa l'autre bras sur le visage, essuyant ses larmes, ou tentant de le faire, embarquant une bonne part de morve au passage, transformant le tissu en sentier d'escargots.
Eileen tenta ensuite de s'expliquer ... de se justifier ... se rendant bien compte au fur et à mesure que ses excuses n'en étaient pas.

- Et désolée d’avoir rigolé aussi… C’est juste, c’était marrant de… Enfin, non ça l’était pas.

La fillette assise en tailleur devant lui faisait vraiment acte de contrition. Son désir de se faire pardonner était réel. Sa volonté de lui remonter le moral aussi, d'ailleurs !

- Pfff, de toute façon, le vol c’est nul. C’est pour les crétins.

Llewy la regarda avec des yeux ronds, oubliant même de hoqueter. L'idée lui semblait tellement ... étrange !

- Oui ! Et c'est surement pour ça que "Princesse-Parfaite" y arrive si bien !

Et il éclata de rire, tombant à la renverse tant il avait du mal à se contrôler, les côtes douloureuses de rire si fort après avoir tant pleuré.

Ses deux manches étaient à présent ignobles. Eileen faisait son possible pour ne pas les fixer mais c’était une entreprise particulièrement difficile. Allait-il passer le reste de la journée ainsi ? Son souci de l’apparence était limité mais tout de même ! Au moins son mouchoir à elle était caché dans sa poche. Et puis sa morve était bien moins dégoutante que celle des autres, forcément.

S’efforçant de faire ou ne pas faire des choses, Eileen avait presque raté la phrase de Llewellyn. Elle le regarda quelques secondes sans comprendre.

- Princesse-Parfaite ?

Llewellyn semblait beaucoup amusé par son idée alors qu’Eileen le dévisageait. Le garçon en était tombé à la renverse. Soudain, une étincelle de compréhension illumina le cerveau de la lente jeune fille.

- Oh ! Nocta !

Qui d’autre vraiment ? Princesse-Parfaite était en effet le terme idéal. Eileen avait si peu l’habitude de parler de la blonde élève devant d’autres personne que Moira et Lucie qu’elle finissait par oublier que Nocta avait un effet sur plusieurs personnes dans leur maison. Llewellyn ne pouvait pas passer au travers des mailles d’intolérance de celle qui aimait tant les sang-purs.

Eileen rejoignit Llewellyn dans son rire avant de gémir d’agacement.

- Haaaaaan ! Heureusement qu’elle est dans les dernières à passer ! Au moins on a pas à la regarder ! J’ai juste tellement envie qu’elle se prenne un des cercles dans la figure et que ça l’expulse droit dans le saule cogneur !

Eileen eut un rire mauvais à cette image fort distrayante. Son rire s’éteint toutefois assez vite.

- Mais ça n’arrivera jamais… Elle est trop forte partout…

La petite brune interpella Llewellyn en faisant un grand geste de la main vers lui.

- Tu veux pas m’expliquer toi comment ça se fait que ça soit toujours les gens les plus insupportables qui arrivent à tout faire comme ça ? Pourquoi ils se font jamais punir ? Ou plutôt pourquoi y’a jamais une énorme catastrophe qui leur tombe sur la figure ?

Ce n'était pas qu'elle souhaitait que Nocta souffre atrocement pour ce qu'elle était mais... au moins un peu quoi ! Un peu beaucoup ! Mais non, Nocta était seulement une princesse parfaite. Parfaitement insupportable.

Llewellyn était étalé sur le dos, les bras en croix et les jambes toujours croisées. Il essayait tant bien que mal de reprendre son souffle.Le rire d'Eileen lui faisait du bien, aussi. La phrase suivante de la brunette le cueillit à froid, il ne s'attendait pas à se que la blondinette démoniaque ait autant ... d'ennemis ? ... dans sa propre maison. Quoique, il aurait pu s'en douter, nul ne semblant trouver grâce à ses yeux, à part le servile Saevus. Il répondit, sans se redresser, comme trop fatigué.

- Qu'elle se ramasse dans un obstacle ? Non, ça risque pas d'arriver, mais ce qui m'agace le plus, c'est qu'on va devoir l'encourazer, et supporter sa suffisance, quand elle sera dans l'équipe de quidditss.

La fin du rire d'Eileen sonne comme un glas. Llewy tourna la tête vers elle, et la vit pensive.

- … Elle est trop forte partout…
Tu veux pas m’expliquer toi comment ça se fait que ça soit toujours les gens les plus insupportables qui arrivent à tout faire comme ça ? Pourquoi ils se font jamais punir ? Ou plutôt pourquoi y’a jamais une énorme catastrophe qui leur tombe sur la figure ?

Les questions d'Eileen étaient sensées, un brin pleurnichardes (et ça, Llewy s'y connaissait), un poil exagératives, mais sensées. Le gamin se tourna un peu plus franchement vers la jeune fille, et prit le temps de la réflexion, avant de répondre.

- Humm ... non, ze ne crois pas qu'elle soit si bonne partout, elle est zuste très douée pour le faire croire. Quand aux insupportables et à leurs exploits, ze dirais que c'est l'inverse, c'est zustement parce qu'ils réussissent tout qu'ils deviennent imbuvables, ils prennent la grosse tête. Et pour ce qui est d'être punie, ze te rassure, elle l'a été, ho, pas pour les cours mais pour la facilité qu'elle a à sortir sa baguette et balancer des sorts sur tout le monde et n'importe qui. Et enfin, pour les catastrophes, elle est bien trop occupée avec ses robes, son hiboux affreux, ses histoires entre sang-purs et moldus pour prendre le moindre risque de se décoiffer, alors tu parles, une catastrophe ...

Llewellyn se disait que finalement, Eileen était peut-être une fille rigolote, quelque part. Mais il lui fallait en avoir le cœur net.

- Dis moi ... ze vais te poser une question étranze, mais ... c'est vrai que tu as des frères ? Vrai de vrai ?

- Hin ! Ben justement c’est pour ça qu’il faudrait qu’elle se prenne un gros truc dans la figure ! Ça lui rétrécirait sa grosse tête de… enfin, de… Bref, voilà !

Eileen pouvait s’étendre des heures durant sur le sujet de Nocta. Et elle était bien contente de trouver une nouvelle personne à qui se plaindre sur le sujet. Mais finalement, on faisait vite le tour de la question. La gamine était méchante. Voilà. Il n’y avait pas grand-chose à dire. Eileen aimait imaginer passer une de ses nuits de transformations dans leur dortoir rien que pour lui flanquer une sacrée frousse en faisant croire qu’elle allait la dévorer. Elle verrait ensuite si Nocta oserait lui adresser la parole ! Bien entendu, ce genre de chose ne se produirait jamais, mais visualiser ce type de scène était si doux !

Le zozotement du garçon avait presque disparu avant de revenir violemment à la charge avec sa nouvelle question. C’était tout de même étrange. Il ne zozotait pas tout le temps mais quasiment à chaque fois qu’Eileen l’avait entendu parler, le défaut revenait. Est-ce qu’il faisait semblant et plus il se laissait aller dans une conversation, plus il oubliait de se forcer ? Mais alors pourquoi ? Paraître timide pour frapper plus fort quand les autres pensent qu’on est faible ? C’était un peu trop risqué, non ?

Mais là n’était pas la question. La question était : est-ce qu’elle avait des frères (et sœurs elle supposait). Llewellyn avait l’air de prendre le sujet particulièrement à cœur et Eileen leva un sourcil face à son sérieux.

- Eum oui… J’ai deux frères et deux sœurs. Tous plus petits. Donc c’est moi qui commande. Enfin pas maintenant, parce que je suis plus là mais quand je reviendrai. Même si je commande pas vraiment Megan, elle fait un peu ce qu’elle veut…  Euh oui enfin parce que Megan c’est ma première sœur ! Ensuite y’a Duncan puis Anna puis Samuel. Mais Samuel il est trop petit alors on peut presque rien faire avec.

Elle tenait toujours les doigts qui avaient illustré son décompte. Penser à sa famille lui rappelait qu’elle avait hâte de rentrer. Elle aimait bien son école mais elle n’avait pas vu sa famille depuis le nouvel An. Et puis c’était si agréable d’avoir sa place quelque part. Un endroit auquel elle appartenait vraiment. Son agacement du vol s’estompait un peu. Elle secoua la tête pour se remettre dans la conversation.

- Et toi ? T’as des frères et sœurs ?

La famille était sans doute aussi importante pour lui que pour elle s’il posait la question.

Llewellyn avait écouté attentivement Eileen, suivant son décompte sur les doigts de la jeune fille. Elle n'avait pas l'air de mentir, ses sentiments pour ses frères et sœurs semblaient réels. Le garçon se sentit un peu rassuré, peu de risques, finalement, qu'elle soit à la botte de la vieille toupie. La question en retour d'Eileen le prit un peu au dépourvu, il n'avait pas imaginé que ses questions puissent entrainer une réciproque.

- Des frères et sœurs ? Naaaan ... même si z'aurais surement pu avoir des sœurs ...
Ou peut-être que z'en ai, en fait, z'ai tellement peu vu ma mère, en dix ans ...
Par contre, ze vivais au manoir avec trente cousines, et ze te zure que t'aurais zamais voulu faire des trucs avec elles. Même moi, ze voulais pas, mais elles me courraient touzours après, et elles m'attrapaient presque à ssaque fois...

Llewy avait l'air de plus en plus lointain, en parlant de son passé, comme si les souvenirs venaient s'intercaler entre lui et sa camarade, comme si la réalité s'estompait. Et son visage disait clairement qu'il n'aimait pas ce qu'il voyait, crispé sous le mélange de peur et de colère.
Quelqu'un de bien lui avait dit, peu de temps avant, qu'il avait le droit d'être en colère. Lui savait qu'il ne devait pas, il luttait de toutes ses forces pour ne pas se laisser aller, pour ne pas sombrer, pour mériter la lumière que lui promettait ArienBran.
Il reprit conscience de l'instant avec un énorme soupir, et passa sa main sur ses yeux pour empêcher les larmes de jaillir. L'aveu sortit tout seul.

- Tu sais, ze suis le premier garçon de mon clan depuis soixante ans ...

L’atmosphère n’était pas aussi chaleureusement qu’Eileen l’avait prévue. Llewellyn eut d’abord l’air pris de court par la question pourtant banale de la jeune fille. Elle ne comprenait pas tout. Sa première phrase était étrange. Oui bien sûr qu’il aurait pu avoir des sœurs. Des frères aussi d’ailleurs. Il semblait aimer ne mentionner qu’un des deux. Les sourcils d’Eileen s’élevèrent ensuite à la mention de la mère absente du garçon mais elle n’eut pas le temps de s’étaler sur cette information que Llewellyn décrivait des espèces de jeux avec des cousines, quoiqu’il n’ait pas paru apprécier les courses-poursuites. A vrai dire, son visage n’exprimait pas la plaisanterie à laquelle on aurait pu s’attendre dans ce genre de conversation.

- En même temps si elles étaient trente…

Houlà trente ? Mais comment ça pouvait rentrer dans sa maison ça ? Ou alors il avait un manoir… Mais ce n’étaient pas les gens riches qui avaient des manoirs ? Et Llewellyn n’avait pas l’air riche. Sinon pourquoi n’aurait-t-il que des affaires clairement d’occasion ? Tout le monde le savait et les rires n’étaient, encore une fois, pas toujours discrets. Ou alors c’était là aussi pour faire semblant ? Non  mais elle avait pensé ça, ça n’avait été qu’à moitié ! Elle ne croyait pas vraiment que les gens puisse faire semblant à ce point-là, si ?

Elle allait tenter de le questionner un peu plus quand elle remarqua enfin l’expression que Llewellyn arborait. Il était complètement crispé. Son visage hésitait entre plusieurs expressions comme si lui-même hésitait entre plusieurs émotions. La façon qu’il avait de vouloir se contrôler rappela à Eileen sa propre mère quand un sujet trop difficile venait dans une conversation. Automatiquement, la jeune fille se sentit très mal à l’aise. Pourtant cette fois, elle n’avait posé aucune question maladroite, si ? On ne pouvait pas faire semblant à ce point-là. C’était certain. En tout cas s’il faisait semblant il était un horrible personnage. Et très doué.

Mais là n’était pas le sujet. Llewellyn avait l’air moins torturé lorsqu’il se passa une manche sur le visage (ses habits ne seraient plus jamais les mêmes) et ce qu’il dit ensuite calma un peu Eileen. Soixante ans ? C’était super bizarre cette histoire.

- Attends, c… comment ils ont fait ? Je veux dire, tu peux pas choisir si t’as des garçons ou des filles, c’est juste pas contrôlable. Et les maris ils font pas partie du clan ? Bon ça ok, mais du coup peut-être qu’ils expulsent, enfin elles expulsent les enfants garçons… Mais dans ce cas tu devrais pas compter dans le eum… Clan ? Sérieux ?

Elle ne put s’empêcher de faire une énorme grimace incrédule.

- C’est quoi ta famille !?

Llewellyn comprenait parfaitement l'incrédulité d'Eileen. Il savait fort bien que son histoire, sa famille étaient des plus bizarres. C'est d'ailleurs la raison majeure qui le retenait d'en parler, même avec ses camarades de dortoir. Avec eux, chaque mot, chaque allusion devait être pesé. Il fallait systématiquement calculer jusqu'où on pouvait trop en dire. Le pouvoir de nuisance des jeunes serpentards semblait infini, la volonté de mal-faire de ses camarades lui faisait parfois tourner la tête.

Cependant, la fillette devant lui semblait beaucoup plus étonnée que concupiscente, il émanait d'elle une sorte de compassion, une sorte de volonté de comprendre et de soigner les maux de son cœur meurtri. Il finit par lâcher prise, écoutant en cela les conseils des professeur Grimgorson et Vernet. Il avait décidé de tenter la confiance. S'il se trompait, il pourrait toujours recourir à eux pour faire oublier ses éventuelles confession à Eileen si elle se révélait toxique. Après tout, encore six années à tenir, si ses secrets se retournaient contre lui, ça deviendrait vite invivable.

- Les femmes de mon clan sont tout à fait capables de ssoisir le sexe des enfants à naitre. Me demandes pas comment elles font, ze crois que c'est mazique.
Depuis plus de deux siècles et demi, à cause d'un contrat avec le Ministère, elles ont décidé de plus avoir que des filles. Ma mère s'est fassée avec sa grand-mère, la Matriarsse, la maitresse du clan, et pour la faire enrazer, elle a décidé d'avoir un garçon, moi, loin du clan, en se cassant pour pas qu'on me tue avant mes un an. Après, elle est revenue, et tout s'est -à peu près- arranzé. Sauf pour moi. On m'a pas eliminé parce que z'avais passé un an, et que la tradition voulait que ze vive. Mais ça voulait pas dire que ze devait être heureux. Ze sais pas si tu te souviens comme z'étais malade, au début de l'année, à cause des repas ? C'est parce que pendant dix ans, z'ai manzé que du pain, des patates bouillies, et bu que de l'eau.

Pendant son récit, Llewellyn avait entrepris de retirer sa robe de sorcier, puis sa chemise, si bien que lorsqu'il cessa de parler, on pouvait voir son torse et ses bras, couverts de vieilles cicatrices. Même si toutes les lésions étaient refermées, même si chaque blessure avait guéri, on voyait aisément qu'aucune n'avait été soignée correctement à l'époque. On y reconnaissait des traces de piqures, griffures, brulures, et même morsures ... humaines, faites par de jeunes dentitions.

- Voilà le zenre de zeux auxquels me conviaient mes ... adorables ... cousines.

Ma famille ? Ze suis le dernier garçon connu né dans le clan des DuLac-LeFay, le dernier descendant mâle des Sorcières d'Avalon, des Dames du Lac de la lézende.

Si Eileen avait pu plus ouvrir les yeux, ils seraient tombés au sol en un bruit assez peu ragoutant. Elle n’avait jamais entendu Llewellyn parler aussi longtemps d’un coup. En tout cas, certainement pas à elle. La fillette ne pouvait que le fixer, complètement abasourdie. Ce qu’il racontait était tellement étrange ! Elle ne savait pas quoi dire. Il n’y avait rien à dire. Il parlait d’élimination, de tradition, du ministère… Ce n’était pas une histoire de famille. Ca semblait tellement irréel ! Les gens comme ça ne pouvaient pas exister ! Même dans les contes ce n’était pas si sombre. Quoiqu’il arrivait que ça le soit en fait… Mais c’était faux ! C’était pour donner une leçon. Quelle leçon y avait-il à tirer de l’histoire de Llewellyn ? Que les gens de sa famille étaient affreux ?

Llewellyn entreprit de se déshabiller pendant son récit et l’incrédulité d’Eileen se transforma en gène. Il enleva enfin sa chemise et la première année jeta des regards autour d’elle pour vérifier que personne ne passait en rougissant. C’était bizarre comme moment.

- Non, arrête c’est pas…

Il était couvert de cicatrice. Eileen en grimaça. Il n’y avait pas une partie de son corps qui avait été épargnée. Et elle trouvait que sa cicatrice à elle était énorme ! De rouge, Eileen devint blanche. Elle imaginait chaque geste qui avait pu causer chaque cicatrice. Elle aurait aimé croire que de simples chutes auraient pu les causer mais devant une telle variété, elle devait se rendre à l’évidence. Impossible que Llewellyn fasse semblant de quoique ce soit. Eileen sentit la colère obscurcir ses pensées.

- Mais faut qu’elles aillent en prison ! Elles sont complètement tarées ! Faut… Faut… !

Elle n’arrivait plus à s’exprimer. C’était trop absurde et inattendu. Les gens comme ça devaient être punis. Ils étaient toujours punis. C’était comme ça que ça marchait !

Un mot fit écho dans son esprit, éloignant un peu la colère.

- Attends… Dames du Lac ? Comme… LA Dame du Lac ? Vivianne ? Ça vient de Vivianne ça ? Et Merlin et tout ?

Llewellyn se détendait, peu à peu. Une surprise comme celle d'Eileen lui semblait impossible à imiter, son dégoût, son incrédulité, son air horrifié paraissaient tellement vrai qu'il lui facile de croire que la fillette n'avait VRAIMENT rien à voir avec une cousine, aussi éloignée soit-elle. Son défaut de langue s'atténuait lui aussi, peu à peu, à mesure que le garçon se calmait.
Le petit garçon entreprit de se rhabiller, touché malgré lui par l'indignation de la jeune fille, avec un sourire morne.

- Désolé d'avoir du te montrer ça ... mais il fallait que tu comprennes. Mon arrière grand-mère est la maitresse de mon clan, l'héritière de Vivianne, et des Dames du Lac avant elles. Et elle m'a promis la mort, quand l'Homme du Ministère est venu pour m'emmener à Poudlard. Aucune idée du quand, du qui, et du comment, mais ça m'aide pas à faire confiance aux filles, quelles qu'elles soient, parce que ça sera forcément une fille ... ou une femme ...

Llewy poussa un profond soupir, puis regarda Eileen droit dans les yeux. Il parla à mi-voix, calmement, comme apaisé par un renoncement.

- Voilà, je t'ai tout dit, je t'ai confié mon ... mes secrets, même si ça peut me tuer. Y'a encore plein de détails, de choses à dire, pour t'expliquer ce qu'est vraiment ma famille, y'en aurait pour des jours et des jours ...
Quand à les dénoncer, les envoyer en prison, ça marche chez les moldus, ou chez les sorciers des villes. Elles sont maitresses en leur pays, presque indépendantes de fait, grâce au pacte avec le ministère.
Quand à Vivianne, elle est "morte" au treizième siècle, elle avait neuf cents ans, passés, et Merlin n'est plus apparu sur Avalon depuis le onzième, quand il a enfin réussi à s’échapper du piège de Mogayne. Et ça ne fait que deux siècle et demi, que le clan est comme ça, depuis la guerre contre le Ministère, même si le ver était dans le fruit depuis l'adoption de Morgayne dans le clan, vers 630.

L'enfant se leva, lentement, avec peine, comme épuisé, tant par les pleurs de honte du début de l'après midi, que par les efforts qu'il avait du faire pour lutter contre ses doutes, contre ses peurs, et contre son instinct. Il jeta un regard vers la fillette, et avec un effort perceptible, il tendit la main, vers elle.

- Viens, il faut y aller, le monde ne s'est pas arrêté de tourner, le ciel ne nous est pas tombé sur la tête ... Et demain sera un autre jour ... je crois.

Bon sang. Comment pouvait-il s’y retrouver dans cette histoire ? Des promesses de morts, pactes avec le ministère, des clans… C’était plus digne d’un roman que de la réalité. Un roman peu amusant mais diablement distrayant. Le genre de roman qu’Eileen aurait adoré lire tout en s’énervant contre les personnages. Et avec un peu de chance, Nim le connaitrait aussi et elles en auraient toutes deux débattu. Mais de savoir que c’était réel, Eileen n’avait pas le cœur de s’extasier.

Elle ne savait pas quoi faire. Llewellyn et elle ne s’étaient jamais vraiment parlé et maintenant il lui faisait une sacrée confidence. Si énorme qu’elle pensait qu’il lui faudrait probablement quelques jours pour tout réceptionner. Fallait-il faire preuve de réciprocité ? Ca semblait peu approprié. Et puis elle n’avait pas le droit. Vraiment pas. Apparemment lui non plus mais ça c’était son affaire. C’était tout de même étrange de recevoir tout ça et de ne rien faire. Eileen était vraiment perdue.

Llewellyn s’était levé et tendait la main vers elle. Elle redressa la tête d’un coup et lui prit la main pour se mettre sur ses jambes aussi. Dire qu’il y avait deux minutes, le sujet le plus important de la journée avait été cet échec de vol. Et elle avait pensé qu’elle passerait la soirée à y penser. Elle aurait un autre sujet à décortiquer. Seule, celui-ci. Ce n’était probablement pas une bonne idée d’en parler à qui que ce soit. Elle voulait vraiment le mentionner à Aiden et Nim ! Ils en auraient des choses à dire sur le sujet ! Ils pourraient s’étonner ensemble ! Nim ferait un rapprochement à un livre et Aiden allègerait l’humeur !

Eileen lâcha la main de Llewellyn.

- Attends, tu peux quand même pas vraiment mourir parce que tu m’en as parlé si ?

Elle ne tenait vraiment pas à se sentir responsable de quoique ce soit. Et puis la mort… C’est un peu trop définitif à son goût.

Llewellyn se rendait bien compte qu'une véritable tempête se jouait sous le crâne d'Eileen. Il comprenait que la fillette trouve son histoire difficile à croire ... quoi qu'elle ne sembla pas la mettre en doute, juste ne pas réussir à mettre bout à bout tous les éléments. C'est vrai que les intervenants étaient nombreux, et leurs relations complexes. Et c'était une facette sombre du monde qu'il lui avait décrit, un univers de lutte, de douleurs et de mort. Pas le genre de contes auxquels la demoiselle devait être habituée, certes.
Il la regarda, interloqué, quand elle lui posa sa dernière question, puis eut un petit rire sans joie quand il en comprit le sens.

- Non, non, ne t'inquiètes pas, il n'y a pas de sort extrême, comme le Serment Inviolable, ou le Gardien du Secret ...
Je ne risque pas de mourir pour t'avoir parlé. Mais je suis en danger quand même, parce que je t'ai confié mon secret, et un vieux sage des temps anciens a dit un jour "Un secret n'est en sécurité que s'il est partagé par deux personne au maximum ... et encore faut-il qu'une des deux soit morte", ce qui prouve bien que c'était un moldu qui ne connaissais pas les fantômes.
Le risque que je courre est que les Matrones entendent parler de mes confidences. Pour le moment, elles savent que je suis à Poudlard, et j'espère vraiment qu'elles n'en savent pas plus, ça voudrait dire qu'elles n'ont pas encore d'espionne ici. Je n'y crois pas trop, mais bon ...
Par contre, si elles entendent dire que je me suis confié à quelqu'un, dans l'école ou en dehors, alors je serai vraiment en danger, et peut-être pas que moi.

Llewellyn regarda Eileen, avec un petit air coupable.

- Je suis désolé, mais vivre tout seul avec ça, c'est très dur, et tu m'a trouvé dans un moment de faiblesse. Je ne voulais pas te mettre en péril, alors il vaudrait mieux garder ça pour toi, si tu peux ... et surtout te méfier de toutes les filles qui n'ont pas de frère et qui viendraient te poser des questions sur moi ...

- Attends, elles pourraient me tuer aussi ?

Eileen fit un pas en arrière. Elle n’avait pas pensé une seconde que les confidences de quelqu’un pouvait avoir des répercussions sur elle. Dire qu’elle s’était seulement demandé à qui elle pouvait en parler ! Maintenant elle risquait de mourir ? Il n’aurait pas pu la prévenir avant de se confier ?

- Mais moi j’ai rien fait ! J’ai rien demandé ! Pourquoi elles viendraient me tuer ?

C’était profondément injuste. Elle s’était sentie concernée et la voilà bien punie. Un raisonnement la rattrapa soudainement.

- Ah non, attends…

Elle baissa la voix pour être sûre.

- Personne peut nous entendre ici. Personne ne sait qu’on est là, pas vrai ?

Sans attendre de réponse elle regarda autour d’elle pour voir s’il pouvait y avoir un objet suspect qui pourrait éventuellement peut-être la dénoncer. Geste qui ne servait absolument à rien mais elle ne connaissait aucun sort pour lui révéler quoique ce soit. Elle ne s’était jamais posé la question de savoir si de tels sorts existaient. Dans les jeux fraternels il suffisait de faire un grand geste avec le bâton qui lui servait de baguette pour annoncer que tout danger était écarté.

- Non, y’a personne de toute façon…

- Si elles pourraient te tuer ? oui, surement ... est-ce qu'elles le voudraient ? peut-être, sauf si tu es assez forte, intrigante, spéciale pour paraitre intéressante à leurs yeux.
De toutes façons, tu ne risques rien tant que mes confidences restent entre nous, tant que personne n'est au courant.

Llewellyn essayait de rassurer Eileen, il voyait bien que sa camarade flippait de savoir des êtres aussi sombres que les femelles d'Avalon prêtes à se lancer sur ses traces. Il n'avait pas eu conscience, avant de voir sa réaction, de s'être habitué au danger, à la menace que la vieille faisait peser sur lui.
En y repensant, le stress que ses cousines lui avaient infligé durant sa petite enfance, à le traquer dans les couloirs du manoir, et sur la lande désolée qui l'entourait, quand il osait en sortir, devait aussi l'avoir préparé à cette atmosphère de peur constante qui pesait sur lui, et il voyait bien que les enfants "normaux" ne réagissaient pas du tout pareil.

Llewy se rendit tout de suite compte qu'il devait faire baisser la tension, la réaction d'Eileen et son air tout sauf naturel risquant d'attirer l'attention sur elle, amenant des questions qu'il valait mieux éviter.

- Je ne voulais pas te faire peur, ni te mettre en danger, mais je crois que tu as compris pourquoi je peux sembler bizarre, et secret, avec les autres. Si tu surveilles ta langue, et que tu ne fais rien d'étrange, personne ne se doutera de rien. En plus, avec les examens, un peu de stress passera inaperçu, et les autres auront tout l'été pour oublier tout comportement un tant soit peu étrange.
Tu pourras choisir, à la rentrée prochaine, de faire comme si on ne s'était jamais parlé, et continuer ta vie loin du danger qui plane sur moi.

Llewy baissa la tête, se mordilla un peu la lèvre, jeta un regard en direction de l'école, puis repris, à voix plus basse.

- N'empêche que je suis content d'avoir pu parler avec toi, et d'avoir pu être ton ami, même si c'est que pour un moment. A toi de choisir si après l'été, ça doit n'avoir été qu'un rêve. Et même si c'est le cas, vu les dangers que tu pourrais courir, je t'en voudrai pas.

Après un dernier geste de la main vers la fillette, le plus petit des serpentards se mit en route vers le château, à pas lents, les épaules à nouveau courbées sous le poids de son destin.

Eileen fronçait les sourcils pas encore certaine de sa sécurité. Encore une fois, toute cette histoire était dingue. Llewellyn ne laissa pas Eileen répondre quoique ce soit et après avoir faire un dernier geste vers elle, il se sauva.

- Euh… Salut...

Mais le garçon s’éloignait déjà, lentement. Eileen le regarda partir sans bouger.

« Ami » avait-il dit. Les gens de Poudlard avaient une conception de l’amitié assez simple. Ou du moins précipitée. C’était la deuxième personne qui parlait d’amitié après une unique conversation avec elle. Quoiqu’au moins, Eileen avait déjà croisé Llewellyn avant de lui avoir vraiment parlé.

C’était sans doute la dernière fois qu’Eileen verrait vraiment Llewellyn avant les vacances. Il semblait si solennel de devoir faire un choix. Mais elle avait toujours aimé la solennité. Et puis, il y avait des vraies questions à considérer. Elle ne se voyait pas rejeter complètement le pauvre garçon mais si elle risquait quelque chose… Non seulement ses parents lui avaient dit d’éviter le danger mais en plus… Ben elle n’avait aucune envie de mourir. Accessoirement.

Llewellyn avait bien dit que le danger n’était pas immédiat. Il fallait seulement être sur ses gardes. Bon sang ! Elle détestait ça être sur ses gardes ! Elle devait déjà faire attention ! Pourquoi les gens déblatéraient-ils leurs secrets si facilement sans se soucier de ce que les autres devaient en faire ! C’était pareil dans les livres ! Et boum je te balance que je suis recherché par tout le monde et que tu dois me cacher en te donnant un faux choix auquel tu ne peux décemment pas dire non et tu te débrouilles !
Comme dans les livres… Plus l’année passait, plus il semblait à Eileen que sa vie devenait irréelle.

Son estomac gronda. Eileen secoua la tête. Elle ne pourrait de toute façon pas réfléchir immédiatement. Autant aller manger. Au moins avait-elle oublié son épreuve de vol. Ah cette stupide épreuve de vol !

HRP:

Llewellyn avait pris la route du château, sans trop savoir si Eileen allait le laisser partir comme cela ou si elle aller le rappeler.
Sa réflexion, pour le moment, était plus tournée vers son erreur, vers le moment de faiblesse qui l'avait fait se confier si vite. Il n'avait pris conscience du danger auquel il exposait sa camarade qu'au fil de ses explications, la curiosité de la fillette entrainant confidence après secret, révélation sur indice. La finesse et l'intelligence de la jeune serpentard ne se serait pas satisfaite de demi-vérités, d’atermoiements ni de dérobades, cela, il en avait la certitude. Elle pouvait bien être aussi responsable que lui de l'ampleur de ses révélations, il n'empêche qu'il était seul responsable des risques qu'elle pouvait courir maintenant.
Cette constatation l'effrayait et l'attristait tout autant. Cela voulait-il dire qu'il devait encore plus maintenir le vide autour de lui ? Devait-il continuer à repousser toute tentative de contact et de fraternisation des autres élèves?
Il ne savait pas trop, mais la réponse lui viendrait surement après l'été, été dont il redoutait la venue, son sort n'étant pas encore fixé. L'entrevue avec le directeur avait été demandée au professeur Audlington, et c'est à cette occasion uniquement qu'il saurait quels risques les vacances lui feraient vraiment courir.

Et les examens qui venaient à peine de commencer ...