Encore une nuit sans rêve…
Tyne se frotta les yeux avec une infime précaution, frémissant à chaque froissement de drap. Elle préférait éviter de réveiller Aelita, sa colocataire, parce qu’elle n’avait pas envie de parler à qui que ce soit de si bon matin. D’autant plus qu’elle avait encore anticipé le réveil, avec au moins cinq minute d’avance, jugeât-elle satisfaite. Cinq minutes, c’était suffisant pour se relever fébrilement et s’extirper délicatement des draps, avant de… De s’apercevoir que sa chère voisine avait déjà déserté le lit qui jouxtait le sien.
Un peu dépité, Tyne sauta de son lit et manquant une fois de plus de se tordre la cheville. D’aucun jugerait qu’il serait sans doute plus sage pour elle d’apprendre à se servir de ses jambes, avant de prétendre manier une baguette… Habituée depuis toujours à cette fichue maladresse qui lui collait au basques’, Tyne poursuivit l’air de rien son rituel matinal : s’habiller, puis aller prendre une bonne douche brûlante, à la limite du supportable. Elle adorait rester sous la douche, puis augmenter de plus en plus la température, pour tester ses limites. Son teint de porcelaine virait au rouge tomate, avant de passer par le saumon. Si bien qu’en sortant de la salle de bain, Tyne attirait les regards comme un furet attirait un Hippogriffe, chose qu’elle ne remarquait même pas. Par la blancheur extravagante de ses cheveux et cils, elle avait l’habitude d’être la proie de regard aussi bien curieux, que dégoulinant de moquerie.  

Alors que son pas élastique la menait à la grande salle pour prendre son petit déjeuner, elle eut l’étrange et désagréable impression d’oublier quelque chose. Mais comme elle n’était pas fichue de se souvenir de ce qu’il s’agissait, elle passa à autre chose. Frôlant les murs tel un fantôme, elle finit par trouver une place à sa table, tout au bout, là où il n’y avait personne. Enfin, pour l’instant.
Tyne salivait en se tartinant de la confiture sur du pain, puis elle ajouta un peu d’omelette par-dessus. Ce petit déjeuner peu commun avait le don de la requinquer et de lui donner l’énergie suffisante pour tenir toute une journée de cours, sans s’endormir.
Lorsqu’elle s’apprêta à mordre dans son sandwich, deux filles vinrent s’assoir près d’elle. Stoppé dans son mouvement, elle les dévisagea timidement avant de se rendre compte qu’elle devait avoir l’air totalement ridicule, à gober les mouches… Elle fit donc comme si de rien était et mordit doucement dans son pain. Au moment où ses dents entrèrent en contact avec la mie encore tiède, un liquide glacé se renversa sur sa robe. Dans sa tête, des rouages s’ébranlèrent pendant une fraction de seconde, pour tenter de comprendre la relation mathématique entre du pain, de la confiture, de l’omelette et… un truc liquide. En mâchonnant placidement, elle baisa la tête en s’apercevant que le bas de sa robe de sorcière était recouvert de lait.  
Ensuite elle entendit un éclat de rire, ponctué de sourds borborygmes. En levant les yeux vers sa voisine de gauche, elle vit une jeune brune, plus âgée qu’elle, probablement en train de s’excuse, à en juger par le ton de la voix:

-Je … Je suis vraiment désolée ! Ah non mais quelle patate je fais ! Laissez moi arranger ça, ça sera rapide ! Non mais …

De tout ce que dit l’inconnue, visiblement aussi maladroite qu’elle, Tyne ne retint que le « patate » et elle éclata de rire. Mais pas un éclat de rire bruyant comme vous un moi, un rire totalement Tynien : au volume faible, ni trop rauque, ni trop aigu. Un éclat de rire élégant, princier même. Puis, elle se reprit :

-M… Mais non vous n’êtes pas une… une patate. C’est bon, je vais m’en occuper.

Elle tâtonna ses poches furtivement, avant de se souvenir de ce qu’elle avait oublié : sa Baguette. Tyne, où la seule sorcière du monde capable d’oublier qu’elle est… une sorcière. Mais elle était bien embêtée sur le coup : elle venait de dire qu’elle s’en chargeait alors que finalement, elle se retrouvait dans l’incapacité d’agir. Elle n’osa pas demander son aide à la sorcière plus âgée, ni avouer ce qu’elle venait d’oublier….

Visiblement vive d’esprit, la Gryffondor vint rapidement en aide à la gamine que la honte commençait à métamorphoser en tomate… Tyne la gratifia d’un sourire gêné, car elle avait eu la magnanimité de ne faire aucune réflexion à ce sujet. Puis la Lionne agita élégamment sa baguette, qui sembla aspirer le lait qui commençait à lui refroidir les jambes. Ebahi par la rapidité et la dextérité de la cinquième année, Tyne regarda tour à tour la baguette et sa robe, avant de s’empresser de remercier celle qui avait réussi cet « exploit ». En effet, pour elle qui venait tout juste de découvrir qu’elle était une sorcière, remplacer de l’essuie-tout et une machine à laver par un aussi petit bout de bois était une idée quelque peu saugrenue. Tout compte fait, heureusement qu’elle avait égarée sa baguette, car elle aurait bien été capable d’empirer les choses ou de laisser encore la moitié du lait sur ses vêtements… Ce n’était pas qu’elle manquait d’habileté, enfin si probablement, mais surtout, Tyne ne saurait pas réussir le moindre sortilège en publique, même si  sa vie en dépendait.
Elle rejeta une mèche de cheveux en arrière, espérant que ce geste suffirait à ôter ces pensées moroses de son esprit. Au même moment, elle se rendit compte que les deux yeux céruléens de la sorcière se baladaient sur sa tignasse javellisée. Mais évidemment, il ne s’agissait pas d’une teinture, car même ses cils et ses sourcils arboraient un blanc impeccable. Ce que la Gryffondor ne semblait pas avoir remarqué :

-Excuse moi si c'est indiscret mais ... tes cheveux, c'est une teinture ? En tout cas c'est magnifique. J'aime beaucoup.  

Timidement, Tyne esquissa un faible sourire. Elle était légèrement gênée, mais finalement, ce n’était rien d’inhabituelle. Mais pour elle aussi, l’épisode du verre de lait faisait déjà partie d’un passé lointain, oublié car sans importance. Aussi, elle ajouta, sans du tout noter le passage du tutoiement au vouvoiement :

-Ah euh… Non, c’est leur vrai couleur. Je suis atteinte de leucistisme en fait. Puis elle se souvint que cette maladie était assez méconnu alors elle précisa : une variable de l’albinisme.

Elle rougit derechef avant de baisser la tête. Mais elle n’eut pas le temps de se poser de question sur une quelconque réaction de la Lionne, car cette dernière ajouta :

-Euhm oui, ça ne te dérange pas si je te tutoie ? Tu peux faire de même, c'est juste que je n'ai pas trop l'habitude ...

Tyne hocha de la tête en haussa légèrement les épaules, car à vrai dire la question la préoccupait pas tellement. La sociabilité, ce n’était pas du tout son truc et elle ne savait pas encore que parfois les gens s’attachaient davantage aux plus infimes détails…