Lavander était seule. Nul ne viendrait avec elle cette nuit. Une nuit noire sur laquelle planait les ténèbres. La mort. La sorcière sentait cette dernière la couvrir peu à peu de son voile. Elle ferma les yeux. Elle devait avancer, sans se laisser distraire. Pas même par ses craintes, ses cauchemars. Peu importait. Elle n’était pas celle qui possédait le don de voyance. Elle était juste suffisamment intelligente pour avoir compris il y a bien longtemps déjà que tout finirait ainsi. Il y avait une forme d’inéluctabilité dans la voie qu’elles avaient choisies. Dans leur vieille bibliothèque, leur magnifique bibliothèque, elle venait d’écrire ses dernières volontés. Elle fixait désormais un portait. Trois sorcières. Trois jeunes sorcières. Elles lui souriaient, l’encourageaient. Elles étaient si jeune alors.

« Jenifael. Nous te rejoindrons, bientôt. »

Elle n’avait plus aucun espoir. Pourquoi en aurait-elle ? Elle avait essayé pourtant. Encore et encore.

Mais dans ce monde, tout le monde crie. Sans parler. Tout le monde entend. Sans écouter. Était-elle différente des autres, à prêcher la tolérance envers les moldus et à moquer les Sangs Purs ? Sans doute que non. D’ailleurs, c’était pour cela qu’elle et Aisling se trouvaient désormais si seules. Oh, des amis, elles en avaient. Lavander pouvait même tirer fierté d’une amitié solide au pays des Pyramides. Mais ceux là étaient trop loin et les autres trop couards. Non, c’était sans doute injuste de dire cela. Les relations de Lavander étaient celles d’une érudite à d’autres érudits. On ne pouvait parler là d’amitié véritable.

Elle posa sur ses épaules un grand manteau noir, qu’elle ferma d’une broche en sorbier, marqué de la rune Ur. Elle avait créé cette broche de ses propres mains, suivant un texte sur une pierre runique qu’elle avait lu avec son ancien professeur. Lorsque le roi du Danemark, Harald, avait envahi les terres fertiles de l’Angleterre, certains guerriers norrois portaient ce genre de broche pour fermer le manteau au dessus de leur armure de cuir ou leur cotte de mailles. Les anciennes écritures les décrivaient comme des charmes de protection, dotant le soldat d’une force et d’une robustesse sans pareil. Elle en aurait bien besoin.

Elle passa d’abord par leur grand jardin, se dirigeant dans le noir sans guère de difficulté. Lavander n’avait nul besoin d’allumer sa baguette. Elle connaissait le chemin par cœur. Le chemin menant à la tombe de ses parents. Elle ne les avait guère plus écouté que tous les autres, excepté sa sœur, avant qu’ils ne meurent. A vrai dire, elle avait coupé les ponts avec eux même. Pour voyager autour du monde et ne rentrer avec ses remords qu’une fois qu’Aisling lui apprit leur mort.

« J’ai échoué. J’aurais voulu protéger ma famille mieux que ça. Jenifael est morte par ma faute. Je n’ai pas eu le courage et la bonté de vous retrouver, de rentrer, de vous pardonner. De me pardonner. Et la mort vous a pris quand j’étais loin de vous. Aujourd’hui, c’est Aisling qui est partie. Quelque part, elle m’attends. Je tremble en pensant à ce qu’elle a pu subir aux mains de ces mages sinistres. Je dois y aller. »

Elle déposa une gerbe de lavande sur la pierre de marbre avant de s’éloigner. Il fut un temps où les Greengrass, son père le premier, prônaient le rapprochement des moldus et des sorciers. Il était persuadé que bientôt, très bientôt, ils pourraient vivre ensemble, sans se cacher. Pourtant, il avait respecté le Décret du Secret Magique quand celui ci vint troubler le mode de vie de tous ces sorciers aristocrates qui vivaient un pied dans chaque monde. Il le regrettait, mais n’y pouvait rien. Il n’avait pas été écouté. Qu’est ce qui a changé depuis ce moment là ?

La mort de Jenifael. Tuée par des moldus. Attisant la haine d’un homme qui se pensait habiter seulement par la paix.

« Quand elle est morte Père. Vous ne m’avez plus jamais entendue. Ni moi, ni Aisling. N’étions nous pas vos filles, comme Jenifael ? Nous avions besoin de vous. Pas de cette folie de Pureté du Sang. »

Des excuses, rien que des excuses. Elles n’effaçaient pas sa culpabilité. La mort d’une seule personne a détruit leur famille, et c’est à cause d’elle que sa petite sœur était morte. Maintenant. Elle devait tout faire pour sauver sa deuxième sœur. Elle disparu de sa demeure. Kily, leur elfe de maison, s’occuperait de tout. Quoi qu’il arrive.

Elle arriva dans les rues d’une petite ville, au sud de Londres. Sa sœur était proche. Elle souffrait. La quarantenaire fila à grand pas vers une maison. Personne. Il y avait sans aucun doute des sorts qui devaient protéger cette porte. Mais Lavander avait exploré plusieurs tombeaux égyptiens et d’autres ruines, d’autres pays. Elle savait comment se défaire de ces maléfices piégeurs. En quelques instants, elle fut à l’intérieur. Et elle l’entendit.

Elle entendit sa sœur hurler de douleur.

Ce n’était pas des hommes, mais des monstres.

Elle fila dans la maison. Suivant les hurlements. Peu à peu, d’autres voix se faisaient entendre. Mais elle ne les écoutait pas. Elle n’écoutait que sa sœur.

Jusqu’à ce que seul le silence se fasse entendre.

Le son du silence, quel bruit assourdissant.

Enfin, elle franchit la dernière porte. Dans cette cave sombre, éclairée de seulement deux torches, elle vit. Le corps de sa sœur, inanimé. Ses grands yeux vides, qui fixaient sans le voir le plafond. La douleur, la terreur, le désespoir. Voilà dans quoi elle était morte. Trois sorciers l’entouraient. La fixant.

Elle n’avait pu sauver aucune de ses sœurs. Mais au moins, elle vengerait Aisling.

Les premiers sorts à son encontre percutèrent le mur qu’elle dressa entre eux. Mur qu’elle poussa dans leur direction. Mur qui explosa. Elle renvoya les briques projetées dans sa direction sur le premier.

Douleur.

De justesse, elle para deux autres sortilèges. Elle n’était pourtant pas une sorcière appréciant les duels, au contraire. Mais elle avait étudié assidûment les Forces du Mal et les maléfices pour s’en protéger lors de ses explorations. Combien de fois avait-elle paré et contré des mauvais sorts anciens avant qu’ils ne la touchent. Combien de fois avait-elle combattu des créatures maléfiques protégeant les ruines convoitées ? Elle avait encore d’excellent réflexes et une panoplie de sorts efficaces. Sa contre-attaque fut rapide. Elle désarma le deuxième sorcier, mais se prit de plein fouet un maléfice du dernier.

A son tour, elle hurla de douleur. Par miracle, elle parvint à se jeter au sol avant qu’un sortilège ne l’atteigne. Seule sa cape fut touchée. Trouée. Elle grogna un sort d’immobilisation avant de se relever. L’autre avait bien évidemment récupérer sa baguette. Les deux étaient plus sur leur garde maintenant. Ils l’avaient sous estimé, ne voyant en elle qu’une sorcière déjà âgée. Bien que la cinquantaine, ce n’était pas si énorme, pour les sorciers. Ou alors, ils avaient osé la sous estimer à cause de sa Maison.

On aurait du leur dire à quel point le blaireau pouvait être terrifiant quand on touchait à sa famille.

Elle provoqua une grande explosion. Elle n’avait cure qu’ils se trouvaient dans une zone remplie de moldus. Elle n’avait cure que tout ce vacarme ne les réveille. Elle n’avait cure de ce foutu Décret du Secret Magique. Dans la poussière et le feu qu’elle avait amené, elle parvint à ligoter le plus jeune de ses adversaires. Il la fixa, avec dans ses yeux une lueur qu’elle reconnaissait bien maintenant.

Terreur.

Cela n’arrêta pas sa soif de vengeance. Elle lui ôta sa tête. Puis se tourna vers le dernier. Il leva sa baguette, prononça la première syllabe d’un sort bien dangereux. La haine sur son visage ne trompait pas. Le Sortilège de Mort. Et Lavander l’imita.

« Avada Kedavra ! »

Les éclairs verts se croisèrent. Ils avaient tous les deux perdus. Mais cela ne dérangeait pas Lavander, au contraire de son adversaire qui fixait le sort qui allait le percuter sans l’air d’y croire vraiment. Il aurait pu se jeter à terre, esquiver, faire quelque chose. Lavander n’avait pas le temps de l’immobiliser. Mais il resta là, cloué, pendant ces quelques secondes qui lui restaient à vivre.

Tel est le désespoir.

Ensemble, ils périrent. C’était la fin. Elle rejoindrait Jenifael, ses parents, Aisling. Elle leur demanderait pardon. Puis elle trouvera à nouveau la chaleur dans leur bras. La, dans la lumière.


Sa sœur. Aisling, où était Aisling ? Nulle part. Elle n’était pas là. Elle allait rester parmi les vivants, éternellement seule. Non, elle ne pouvait pas l’accepter. Elle se retourna, marcha dans l’autre sens. A contre courant. Sans un autre regard pour tous ces êtres sans vie qui affluaient autour d’elle. De toute façon, aucun ne voyaient. Aveugles et sourds. Pas si différent des vivants, ils arrêtaient seulement de prétendre.

Elle revint sur terre. Combien de jours étaient passés ? Beaucoup. Elle le savait, parce qu’elle voyait maintenant son enterrement. Une trentaine de personnes, regroupées autour de leur deux tombes. Juste à côté de celles de leurs parents. Elle en reconnaissait plusieurs. Ses collègues. Presque tous les Professeurs de Poudlard étaient là. Le Directeur y compris. Quelques anciens élèves. Et même un ami d’Égypte. Ses cousins. Devait-elle restée cachée ? Pour le moment, oui. Elle irait peut être les voir plus tard. Dans un an ou deux. Qu’importe.

Ils ne parlaient pas, se contentant de se recueillir. De se souvenir. Peut être avait-elle manquée l’oraison funèbre ? Qui avait pu donc parler ? L’amante d’Aisling ? Son ami fidèle venu d’Égypte ? Le Directeur, au nom de Poudlard, qui perdait deux professeurs ? Était-ce important après tout ? Elle espérait juste qu’une dernière fois, le message qu’elles avaient cherché à faire passer toute leur vie avait été entendu. Voire même écouté. Car le silence est un cancer, un parasite, qui évolue au mépris de tout. Faisant naître l’incompréhension, la haine, la guerre. Le silence, c’était la mort. Elle l’affronterait. Elle ferait en sorte que ses paroles soient entendues, écoutées.

Elle avait pour elle l’éternité. L’éternité pour combattre le bruit du silence.