Janvier - rue de Londres, quelque part dans Whitechapel.

Il ne faisait pas très chaud en ce samedi matin, mais je devais vérifier certaines choses... De grandes choses. A dire vrai, j'avais fait quelques recherches sur un tueur en série vivant... Il n'y a pas si longtemps que ça en fait. Il parait que son fantôme flottait encore quelque part dans Whitechapel... Enfin, je ne sais pas si c'était possible, mais je voulais vérifier. Et puis, il y avait des mystères dans tout ceci... Des rumeurs que je ne pouvais vérifier que sur le terrain. J'étais là, debout, devant une petite ruelle. Je m'accroupis et, n'arrivant pas à réfléchir correctement, je me mis à dessiner à la craie sur le sol...

Mon Dieu... Je vais être en retard ! J'aurais dû me lever plus tôt. Jamais je ne suis arrivé en retard au travail ! Jamais !
Je slalomais rapidement entre les gens, essayant de ne pas en bousculer. Puis une idée me vint en tête, ou plutôt un raccourci ! Très vite je passais de rues en rues, de ruelles en ruelles, pour presque arriver à destination. Jusqu'à ce que je tombe sur un homme accroupi, dessinant quelque chose à la craie sur le sol. J'allais tellement vite que je n'ai pas pu m'arrêter et me suis écroulée sur le pauvre jeune homme qui n'avait rien demandé.
Un peu sonnée, j'essaya de me lever, sans grands succès, et de m'excuser aussi sincèrement que possible. Mais je devais avoir l'air bien ridicule, dans la position où j'étais avec un tailleur.

Des couleurs, il fallait que je rajoute des couleurs, sinon, Personne n'allait comprendre ! Personne ? Pourquoi Personne ferait-elle un détour par ici ? Personne était toujours occupée ! C'est pourquoi Personne n'était jamais là ! Mais peut-être que Personne allait envoyer Quelqu'un ! Personne aimait toujours être informée ! C'est pourquoi Personne envoyait toujours Quelqu'un pour avoir ses friandises.

"Hum... Ou ai-je donc bien pu mettre mes craies ? A avoir trop de choses dans mes poches... Non, maman a encore mis mon manteau à laver sans me demander, et elle a tout désorganisé mes poches... Pourtant, j'aurais juré avoir une craie rouge quelque part..."

Alors que je réfléchissais à la possibilité de faire une folie autrement que par une craie rouge, Quelqu'un me tomba littéralement dessus.

"Mais... Mais... Personne n'envoie jamais Quelqu'un aussi vite !"

Je me redressais tant bien que mal.

"Hum... Est ce que vous êtes Quelqu'un ? Est ce Personne qui vous envoie ?"

Je me tapais le front contre la paume de ma main.

"Linus et papou ne seraient pas du tout content. Ils n'arrêtent pas de me dire qu'on doit être courtois et poli avec les mesdemoiselles. Puis je vous aider ?"

Alors que je tombais sur l'homme en train de dessiner sur le sol, et que je m'excusais, il proféra des paroles incompréhensibles. Alors qu'il continuait sur ses "Personne" et "Quelqu'un" et que moi je m'excusais du mieux que je pouvais, j'éclata de rire. Un rire franc que je ne m'attendais pas à avoir aujourd'hui, avec cet article que je devais écrire et qui m'aurait sûrement valu un scoop et une prime.

"Mais qu'est-ce que vous racontez ? Demandais-je encore prise au fou rire."

Il me demanda alors si j'avais besoin d'aide tandis que j'examinais l'état de mon tailleur : déchiré sur le bas... Encore une journée de malheur.

"Je crois que ça devrait aller et..., commençais-je avant de baisser les yeux un peu plus sur le sol. Mais... Qu'est-ce que vous dessiniez ?"

Je regarda le dessin avec contemplation et admiration. Il y a longtemps que je n'avais pas dessiné, cela me fit remonter un sentiment de nostalgie que j'effaça bien vite. Les années d'enfance étaient terminées...

"C'est très beau !"

Elle... éclata de rire ! Etrange pour Quelqu'un qui venait de s'étaler comme une crêpe sur ma pauvre carcasse.

"Ce que je raconte ? Comment ça ? Vous pensez que je débloque et que Personne n'a envoyé Quelqu'un pour m'aider à résoudre mon affaire ? Et bien, je suis fort embêté qu'une demoiselle telle que vous ne prenne pas au sérieux les paroles qu'un chapelier fou tel que moi a prononcé à voix haute..."

Je réfléchis quelques instants avant de reprendre :

"Un adage voudrait qu'il faut de tout pour faire un monde. Je dois avouer qu'il n'a pas vraiment tort... On rencontre vraiment de tout dans les rues de Londres !"

Ses réflexions sur son état et mon dessin me firent changer complètement de sujet. Je souris que Quelqu'un s'intéresse à mon oeuvre d'art.

"Et bien, voyez-vous, je suis passé aux archives de Londres pour consulter une carte de la ville datant du XIXème siècle... Je dois avouer que j'ai eu du mal à obtenir celle du quartier de Whitechapel du même siècle... Mais si c'est comme en France, les villes ont beaucoup évolué au XIXème siècle, et les cartes que j'ai pu obtenir de voir dataient malheureusement du début du siècle... pas de la fin..."

Je repris mon souffle avant de poursuivre :

"Ce que vous voyez là, c'est une piètre tentative de reproduction des cartes de Whitechapel du XIXème siècle... Mais j'ai peur que mes données soient trop anciennes ou trop récentes pour les recherches que je veux mener dans ce quartier de la ville..."

Je repris vaguement mes esprits.

"Je crois que votre tailleur a décidé de faire la révolution sans vous... Vous m'aviez l'air bien pressé avant de vous arrêtez par ici... Ne devriez vous pas repartir pour arriver à l'heure là où vous vouliez vous rendre ?"

Je reniflais avant de tendre ma main pleine de traces de craie à la jeune femme :

"Je m'excuse... J'en ai oublié de me présenter... Alouarn, Alouarn Grimgorson... Je suis professeur d'Histoire... Oui, c'est cela, professeur d'Histoire, c'est bien comme profession ! Et vous ?"

J'étais un peu surprise de la façon de parler de cet homme, mais je dois dire que je trouvais cela rafraîchissant, au milieu de cette société de personnes bonnes sous tout rapport. Même si je ne comprenais pas tout ce qu'il disait, j'écoutais cet inconnu qui avait égayer ma journée, et que je ne reverrais peut-être pas. Et quand je lui posa la question sur son dessin, il me parla de cartes, d'archives, ce qui me fit rappeler mon interview, je commença à paniquer. Et quand il remarqua mon tailleur et mon air pressé, je lui répondis par l'affirmatif :

"Effectivement, j'étais un peu pressée parce que je pensais être en retard à mon interview : je suis journaliste, je m'appelle Daithe Rosebury, mon nom est beaucoup plus long, mais en général je ne donne que l'essentiel."

Puis une idée me vint en tête.

"Mais attendez ! Vous êtes allé aux archives de Londres ? Cela veut dire que vous devez connaître un minimum ! C'est là-bas que se passe mon interview, et j'ai besoin d'informations qui ne peuvent pas être données par des vivants. Donc pourquoi pas m'accompagner là-bas ?"

Je me grattais la tête. Quelques phrases me laissaient perplexes...

"Vous étiez un peu pressée parce que vous pensiez être en retard ? Vous ne l'êtes plus maintenant ?"

Je regardais de tous les côtés, avant de continuer :

"Hum... Dites moi, est ce que cela vous dérange que je vous appelle simplement mademoiselle Daithe ? Non pas que votre nom de famille me déplait, mais j'ai un mal fou à retenir les appellations des personnages vivants malheureusement... C'est un comble pour un professeur d'Histoire... Je dois avouer que je suis nettement plus à l'aise avec les histoires du passé !"

Mes yeux s'agrandirent devant sa proposition. En fait, ce qui me choquait le plus, c'est que son interview se passe aux archives. Mais un sourire vint bientôt illuminer mon visage.

"Et bien, pourquoi pas ! Je connais quelques raccourcis pour nous y rendre. A quelle heure avait vous rendez vous ? Et avec qui, si cela n'est pas trop indiscret ? Suivant le temps qu'il nous reste et la personne que vous devez rencontrer, nous aurons peut-être quelques minutes pour passer chez un ami qui tient un salon de couture pour que nous puissions réparer les vilains accrocs de votre tailleur... Qu'en pensez-vous ?"

Je me mis à la tirer un peu par le bras !

"Venez, venez ! Continuons notre discussion tout en marchant ! Vous me raconterez ce qui vous mets dans tous vos états."

Je pris la grande rue sur quelque mètres, avant d'indiquer une ruelle de l'autre côté de cette dite rue.

"Nous passerons par là ! Alors, dites moi tout ! Quel est donc le sujet de votre interview pour que celui-ci vous demande de vous rendre aux archives de Londres pour rencontrer un mystérieux commanditaire, tout en vous référant à des données que Personne, hormis Quelqu'un parmi les morts et leurs documents puisse vous donner ?"

Sa réflexion me fit sourire.

"En fait, j'aurais été en retard, si j'avais pris la route conventionnelle, et si je m'étais trompée de raccourci, mais là j'ai un quart d'heure à tuer avant l'interview."

Il était étrange mais sympathique, en fait c'était une bouffée d'air frais, et je me sentais comme une enfant qui venait de se faire un nouvel ami.

"Pourquoi pas cela ne me dérange pas, mais permettez-moi alors de vous appeler Monsieur Alouarn ! Dis-je riant."

Quant à mon interview, il avait eut un air surpris, mais en même temps, mes articles n'étaient pas tout à fait normaux et sortaient un peu de l'ordinaire, c'était normal qu'il soit surpris.

"Et donc j'ai rendez-vous comme je vous le disez dans quinze minutes, et c'est avec une sorte de témoins, un peu fou je dois le dire, qui m'apporte des éléments de réponses à un évènement qui s'est passé il n'y a pas si longtemps..."

Inquiète, je regarde dans toutes les directions avant de baisser le ton de la voix.

"Vous savez... Le bus qui a disparu comme par magie..."

Mais je n'eus pas le temps de répondre qu'il m'aggripa le bras pour se diriger vers un tailleur, un ami à lui apparemment. Mais il recommença à s'intéresser à mon article sans que je puisse réellement voir son expression. J'hésita alors à lui donner des informations, beaucoup de journalistes ont essayé de m'avoir et de me doubler, j'avais désormais un peu de doute...

Je parlais trop, beaucoup trop selon Linus et papou, mais ils m'avaient promis que ce n'était pas une maladie. Ca changeait des jours où je ne décrochais pas un mot. Mes dernières questions ne trouvèrent d'ailleurs pas de réponse. Je ne compris pas pourquoi... Les sentiments étaient forts compliqués.

"Hum... Quinze minutes, vous dites ? Je pense que nous aurons le temps pour les quelques points pour votre tailleur. Vite ! Le petit bonhomme est vert, on peut traverser la route !"

Je fis attention de ne marcher que sur les barres blanches, avant de sauter à pieds joins sur le trottoir.

"Les bus qui ont disparu comme par magie ? Je ne dirais pas "comme par magie" ! Je dirais que c'était vraiment de la magie ! Vous voulez voir s'il y a eu d'autres incidents de la sorte ? Je ne sais pas trop... D'habitude, je crois qu'ils sont plus discrets ! Le Ministère va avoir du travail ! Enfin bon... Beaucoup de rumeurs sur tout ça ! Et vous ? Vous en pensez quoé ?"