Il est de notoriété publique que les escaliers de Poudlard ont un caractère bien particulier. Pour dire les choses comme elles sont : ils font chier. J'ignorai ce qui les poussait à s'en prendre systématiquement à moi, mais de toute évidence ils n'avaient rien de mieux à fiche de leur journée que de venir me chercher des noises. Soit dit en passant, j'étais fauchée comme les blés, alors pour ce qui était des noises, ils pouvaient repasser. Et ce jour-là ne faisait pas exception aux autres : après un rapide passage dans la volière pour voir mon Garion, j'avais voulu retourner au rez-de-chaussée pour le dîner. Sauf que cet abruti d'escalier en avait décidé autrement. Il s'était déplacé au moment où j'allais descendre la dernière marche, si bien qu'il menait maintenant à... Rien. Une paroi de pierre me faisait simplement face, à quelques centimètres à peine de mon visage. J'étais au pied du mur. Littéralement.

"T'es cousin avec le Balrog ou quoi, fichu escalier ? Moi j'ai décidé que je passerai alors tu vas pas commencer..." pestai-je en faisant demi-tour.

Il suffisait de revenir sur mes pas, de bifurquer devant la volière et d'emprunter un autre escalier pour reprendre ma route. D'ailleurs, une petite demoiselle rousse venait tout juste de s'engager sur l'escalier, elle aussi. Elle n'avait probablement pas remarqué qu'il ne débouchait sur rien, puisqu'elle lisait en marchant. Nous n'avions plus qu'à faire demi-tour. Mais ça, c'était sans compter sur le sadisme de l'édifice, qui décida de bouger à nouveau, le début des marches faisant dorénavant elle aussi face à un mur inébranlable et nous interdisant tout retour en arrière. Je citai avec l'énergie du désespoir :

"Vous ne passerez... Pas !"

Puis je me laissai tomber sur les marches, décidée à attendre que l'escalier mobile revienne dans de meilleures dispositions. De toute façon, nous étions bloquées devant ET derrière. Plus d'autre solutions possibles. J'étais manifestement coincée là, avec la petite rouquine fraîchement débarquée qui n'avait probablement pas encore remarqué notre situation. Je m'exclamai d'une voix défaitiste :

"Hey, cocotte, je crois qu'on est légèrement coincées, là."

hrp:

La gamine me regarda avec de grands yeux étonnés, semblant à peine émerger de son monde. Je connaissais ça. Ca me le faisait souvent quand je lisais, à son âge. Et aujourd'hui aussi, d'ailleurs. Tant que j'y pensais, il faudrait que je voie avec Damien si je pouvais faire venir ma bibliothèque de chez mon père... J'avais de la lecture en retard.

-M... Mais je suis où ?
-A priori, sur des marches, à Poudlard. Mais je ne garantis rien, tu es peut-être en direct d'un monde parallèle."

Je haussai un sourcil, amusée. Était-ce réellement utile de répondre ou allait-elle comprendre par elle-même ? J'allais l'interpeler lorsqu'elle se tourna vers moi et demanda :

-Ah Euh … C-Coincées ? Comment ça ?
-Heu..."

Je désignai les murs des doigts, les croisant dans une pose que je trouvais plutôt cool. Mais, être cool ne nous sortirait pas de ce guêpier...

-Mais … On va faire comment … ?
-Oh, là... J'en sais rien. Ces escaliers adorent me jouer ce genre de tours, alors je serais d'avis d'attendre un peu qu'ils bougent avant d'essayer de partir au plus vite..."

Je jetai un œil par-dessus la rambarde puis reculai précipitamment :

"De toute façon, on n'a pas tellement le choix..."

Je m'assis au milieu des marches et ajoutai d'une voix tendue :

"C'est pas comme si c'était la première fois que je finissais bloquée sur l'un de ces sadiques... Viens t'assoir, des fois ça peut être long. Tu vas finir par avoir des crampes si tu restes debout comme ça."

Je la regardais en souriant, essayant de me montrer rassurante. C'est à ce moment que j'avisai l'écusson sur sa robe de sorcière.

"Oh, une petite Poufsouffle ! Comme moi à ton âge ! C'est vraiment la meilleure des maisons, tu ne trouves pas ? Les dortoirs sont tellement agréables ! Est-ce qu'ils sont toujours aussi pleins de plantes qu'avant ? J'adorais m'en occuper avec Neville et..."

Je me rendis compte que je commençais à partir dans un monologue et m'interrompis, gênée. Je me contentai donc de sourire gentiment à la petite, espérant qu'elle me réponde. Ou qu'elle fasse quelque chose. N'importe quoi.

-Neville … Le professeur Londubat ? La rouquine eut un frisson et continua pour elle -même … J'ai un devoir de botanique pour demain … J'y arriverais jamais... Puis elle reprit comme si de rien n'était. Vous avez connu le professeur Londubat quand vous étiez à l'école ?


D'après l'expression de la gamine, j'avais probablement un débit ahurissant. Bon. Restons calmes. Il n'était pas question de l'effrayer, mais plutôt de la rassurer. Ca devait être mon boulot en tant qu'aînée, non ? Je n'eus pas le temps de me justifier ou d'expliquer quoi que ce soit que la petite rousse répondit à ma question :

-Euh … Ou... Oui, il y a beaucoup de plante, « autant qu'avant » je ne sais pas mais il y a beaucoup de plantes.

C'est vrai qu'elle n'avait pas vraiment d'élément de comparaison... En tout cas, j'étais contente d'apprendre que la salle commune gardait son esprit chaleureux et convivial. A mon avis, les plantes y faisaient beaucoup. Même si ça n'était pas toujours au goût de tout le monde, comme avec Damien à l'époque !

-Ah euh … Je m'appelle Nim … Et euh … Je suis en seconde année chez les Poufsouffles … Mais euh … Apparemment ça, vous le savez déjà.

Elle avait l'air vraiment trop gênée, cette gamine. D'ailleurs, sa façon de tripoter son livre me faisait penser que je l'avais mise encore plus mal à l'aise qu'avant... J'aurais dû apprendre le calme des années plus tôt, mais maintenant c'était trop tard. Je devais vraiment être effrayante. Il fallait que je fasse quelque chose ! Alors je m'assis à côté d'elle et me présentai dans les formes :

"Moi c'est Elizabeth, je suis en ADEM botaniste sous la supervision de Neville. J'étais à Pouffsouffle avant, comme toi. Je t'ai peut être vue l'année dernière d'ailleurs..."

Elle avait l'air mal à l'aise, alors je ne savais pas vraiment quoi lui dire. En remarquant le titre de son livre, je lui demandai gentiment :

"Tu aimes lire ? Moi oui. La fantasy, c'est réellement ce que je préfère. Pourtant, en étant sorciers, on devrait être immunisés contre tout ça. Mais... C'est simplement fabuleux, surtout si l'auteur est assez doué pour nous faire entrer dans son monde. Comme Tolkien, par exemple."

Je me tus un instant pour fouiller dans ma poche. Après quelques secondes, j'en ressortis deux paquets de chocogrenouilles :

"T'en veux ?" proposai-je en lui tendant l'une des deux friandises.

La petite semblait aussi... Energique que moi. Elle me regardait avec le plus grand intérêt depuis que j'avais prononcé le mot "fantasy". Et je pouvais presque lire la gourmandise dans ses yeux face à la friandise que je lui proposais. Elle finit par accepter d'un geste de tête et, soudain... Le barrage qui contenait ses paroles céda :

-Tu lis aussi de la fantasy ? Moi j'adore ! Je lit que ça ! Je trouve que les moldus sont super inventifs je trouve ! Ils ne connaissent pas la magie mais ils en parlent tellement bien et la décline de tellement de façons différentes ! Mon auteur préféré c'est M.J Sullivan ! Il est génial et ses personnages sont supers attachants ! J'aime aussi beaucoup Tolkien ! Surtout Pipin … Je ne sais pas pourquoi mais je l'adore ! Et puis, j'aime beaucoup les romans de capes et d'épées aussi ! Et souvent y'a un petit peu de magie dans les romans de capes et d'épées ! C'est tellement bien !

Amusée par cet enthousiasme et cette joie de vivre qui me faisait penser à moi quand j'avais son âge, je ne l'avais pas interrompue. Mieux, j'avais soigneusement écouté ce qu'elle me disait de façon à pouvoir rebondir plus tard dans la conversation. La petite Poufsouffle sembla se calmer un peu et me demanda alors en souriant :

-Et toi ? C'est qui ton auteur de Fantasy préféré ?

Je pris quelques instants de réflexion, puis répondis :

"J'en ai plusieurs, en fait. Mais je pense que ce que je préfère par dessus tout... Ca doit être David et Leigh Eddings. J'ai aussi... David Gemmell, qui a l'art de me plonger dans un délire de lecture frénétique. Oh, ou alors Henri Loevenbruck ! Mais c'est un français alors c'est pas évident de mettre la main sur une version sympa de ses œuvres... Comme tu le dis, les Moldus sont remarquablement créatifs pour parler de magie. Je pense que c'est parce qu'ils ne sont pas limités comme nous : puisqu'on sait ce qu'est VRAIMENT la magie, on n'arriverait plus à sortir de ce cadre comme ils le font..."

Je m'interrompis pour reprendre mon souffle, mais juste à cet instant, l'escalier se mit à nouveau à bouger... Et le haut des marches se positionna face à une porte que je ne connaissais pas du tout... D'ailleurs, Est-ce qu'elle avait été là avant, celle-là ?

"Je ne sais pas si c'est plus sûr de rester là sagement ou d'essayer de quitter l'escalier... Avec la chance que j'ai, là-derrière c'est un labyrinthe encore pire que dans les cachots." avouai-je à ma jeune camarade.

La petite rousse n'avait pas l'air de beaucoup s'inquiéter de finir perdue au fin fond de Poudlard. En réalité, elle avait exactement la même expression que celle que je faisais quand j'allais proposer à Damien un truc super dangereux ou stupide. La curiosité, voilà ce qui la menait par le bout du nez.

Un simple coup d'œil à son visage suffit à me faire comprendre que j'étais mal tombée. Entre nous deux, impossible de s'en sortir calmement. Impossible de s'en sortir sans risques. Elle était au moins aussi folle que moi, peut être même pire. Sans plus réfléchir, elle s'élança sur les marches et gravit l'escalier quatre à quatre. Je la suivis avec un léger sourire.

Elle se retourna vers moi et me fit un clin d'œil avant d'ouvrir la porte sans hésiter. Ma main s'était portée à ma poche, sur ma baguette. Même si en théorie Poudlard n'était pas supposé être dangereux, je me méfiais. On avait parfois des surprises derrière des portes closes.

Je levai ma baguette pour éclairer la pièce face à nous d'un lumos et jetai un œil à l'intérieur. Oh, un manoir vampirique, façon cliché moldu ! Un léger sourire se dessina sur mes lèvres à la vue de la salle immense, pleine de toiles d'araignées et de poussière, aux murs tapissés de miroirs tellement sales qu'on ne pourrait probablement pas s'y voir. Sans compter les gigantesques dalles noires et blanches qui s'étendaient dans toute la pièce, donnant des faux airs d'échiquier géant au sol. Le tout sans la moindre fenêtre, seulement éclairé par des torches qui brûlaient d'un feu blafard. Pas très rassurant tout ça.

J'entendis la petite Poufsouffle déglutir, probablement effrayée par les lieux. Je posai doucement la main sur son épaule et dis gentiment :

"Ne t'en fais pas, ce n'est qu'une salle désaffectée. Tu veux qu'on aille l'explorer ?"

Je pouvais discerner une porte entrouverte, tout au fond de la pièce. Je me demandais ce qu'il pouvait bien y avoir là derrière. Je fis part de mes suppositions à la gamine, espérant la motiver un peu :

"A ton avis, qu'y a-t'il là bas ? Un trésor ? Un secret ?"

Je dirigeai la lumière de ma baguette dans la direction de la porte en question et un reflet attira mon regard. Un large sourire s'esquissa sur mes lèvres et je demandai avec une lueur d'amusement dans le regard :

"Tu as vu ce que j'ai vu ? Allez, viens, on va juste jeter un coup d'œil."

Je fis quelques pas à l'intérieur et lui tendis la main pour qu'elle me rejoigne. A peine eût-elle franchi la porte que l'escalier qui nous avait amenées se remit à tourner... Nous coupant toute retraite. J'écarquillai les yeux, surprise. Alors, là ! On était vraiment coincées... J'essayai de me montrer rassurante et haussai les épaules :

"Il reviendra. On devrait profiter de l'attente avant qu'il ne revienne pour inspecter les environs."

Puisque nous n'avions pas le choix, autant faire avec... Nim sortit également sa baguette pour éclairer un peu plus la pièce et nous nous mîmes à avancer. Bon. C'était un peu flippant. Je nous entendais marcher, nos pas résonnant dans le vide des lieux comme dans ces films d'horreur ou quelqu'un approche des héroïnes pour les tuer avec un couteau... Ca fichait vraiment les jetons, quand même.

Je fermai les yeux un instant pour me calmer. Allons, il ne pouvait rien y avoir de si terrible dans cette école ! Je rouvris les yeux lorsque ma coéquipière d'aventure se mit à chuchoter, désignant un des miroirs avec sa baguette :

-Tu l'as vu ?

Heu... Non, pas vraiment, non. Mais je n'allais quand même pas avouer à Nim que j'avais fermé les yeux parce que j'avais les chocottes... Alors je répondis seulement :

"Non, je regardais de l'autre côté."

Ouh, la menteuse. Bon, c'était le moment où jamais de montrer un peu de courage. Ou de prendre mes jambes à mon cou en justifiant POURQUOI je n'avais pas été envoyée à Gryffondor ? Je me grattai le nez en soupirant. Je n'allais quand même pas laisser la petite ici toute seule. Et puis... J'avais quand même quelques bases de magie pour nous venir en aide au besoin. Même si je n'étais pas très douée...

Bah, au pire, je mourrais dans d'atroces souffrances. Heu. Heu... Ouais, non, quand même pas. Je posai la main sur l'épaule de Nim et lui dis doucement :

"Attends juste deux minutes ici je vais laisser un mot sur la porte. Comme ça si on nous cherche on nous trouvera plus facilement."

Après tout, j'étais supposée voir Neville au dîner. Si je ratais mon repas - ce qui n'arrivait JAMAIS -, il se poserait des questions. Je revins donc rapidement à notre point de départ et écrivis en grosses lettres dorées et brillantes dans le bois : "Nim et Elizabeth sont perdues par là.". Au moins, ça disait ce que ça disait. D'ailleurs, ce sortilège là était bien un des seuls dont j'étais sûre : je le maîtrisais bien et il resterait là pendant au moins dix heures... Largement suffisant. Je revins au pas de course vers ma camarade exploratrice et lui souris très largement. Quelques instants plus tard, nous étions devant la porte du fond. Je restai debout, juste devant. Immobile. J'avais peur de savoir ce qu'il y avait derrière. Finalement, je posai la main sur la poignée et demandai à Nim :

"On ouvre ensemble ?"

Nim me regarda quelques secondes, inspira très profondément et m'accompagna pour ouvrir la porte. Celle-ci grinça au moment où je vis du coin de l'œil une ombre inquiétante sur un des miroirs voisins. La petite rousse le vit aussi et poussa un cri surpris en dirigeant sa baguette de ce côté-là. Mais il n'y avait déjà plus rien... Un frisson inquiet rampa sournoisement dans mon dos tandis que j'essayais de contrôler ma frayeur en respirant très fort.

J'avais peur. Mais genre, SUPER PEUR. Je n'avais jamais été courageuse et certaines de mes expériences à Poudlard n'avaient guère amélioré la chose. Un certain souvenir pointa le bout de son vilain nez et je le chassai aussi sec. Non, il y a des choses auxquelles je ne devais pas repenser. Jamais. Je ne serais jamais allée à Gryffondor, voilà une chose qui était certaine. J'étais facilement effrayée et j'arrivais rarement à surmonter mes peurs. Je faisais semblant de les ignorer, au mieux.

Au lieu de suivre Nim dans la pièce voisine, je pris le temps d'inspecter celle-ci. Peut être y avait-il une chauve-souris ou une quelconque créature volante, qui expliquerait ce que nous avions vu à plusieurs reprises. Mais, après une inspection soigneuse... Je constatai qu'il n'y avait rien. Pas un signe de vie, à part nous deux. Donc, l'ombre que nous avions vue... N'était pas un animal. C'était déjà ça de gagné. A moins que les animaux ne soient capables des traverser les miroirs ? J'eus un léger frisson en me souvenant d'une série de romans fantasy que j'avais lus. Dedans, on parlait de "fées" qui auraient le pouvoir de parler et voyager à travers les miroirs. Et si jamais c'était une créature maléfique qu'il y avait ici ? J'en tremblais de tous mes membres. Et si elle voulait nous manger ? J'eus un petit hoquet de frayeur. J'avais presque envie de planter Nim là et de prendre mes jambes à mon cou. Nim, d'ailleurs, avait avancé dans la pièce sombre et s'adressa à moi :

-Euh … Tu … Tu viens ?

Bon... Je n'allais quand même pas laisser une petite choupette comme elle toute seule alors que c'était potentiellement dangereux, voir mortel ? Une telle pensée me donna la nausée et je dus faire un effort surhumain pour me calmer. Je me demandai vaguement comment Damien pouvait avoir envie de devenir Auror si ça lui faisait vivre régulièrement ce genre de situations. N'avait-il donc aucun sens de conservation ? De protection de sa propre petit liquette innocente ? Ou faisait-il trop confiance au loup en lui pour imaginer une seule seconde ce qui pouvait REELLEMENT lui arriver ? Je secouai la tête, consternée. Je n'avais plus le choix, je ne pouvais pas passer pour une trouillarde auprès de cette gamine... Je soupirai et la rejoignis, marmonnant dans ma barbe -imaginaire- :

"Par tous les caleçons défraichis de Merlin, pourquoi faut-il toujours que je me fourre dans ce genre de situations impossibles ?"

Je levai haut ma baguette, me demandant pourquoi on ne voyait VRAIMENT rien. Histoire d'être sûre, je lançai d'une voix légèrement tremblante :

"Lumos Maxima !"

Ma baguette se mit à luire d'une lumière intense, sans pourtant parvenir à éclairer les murs ou le plafond. Que se passait-il ici ? Je déglutis bruyamment et demandai faiblement :

"Est-ce que toi aussi tu as un mauvais pressentiment ou c'est moi qui me fais des idées ?"

Mis à part nous, il n'y avait pas un bruit dans cette pièce. Pas un son. Seulement le silence et le bruit de nos respirations. Et il faisait tellement noir, tellement sombre que c'était comme dans un cauchemar. J'allais me réveiller. Sûrement. soudain, il y eut un grincement et  la porte se referma derrière nous. J'étouffai un gémissement effrayé, les mains tremblantes sur ma baguette. Nous étions dans de beaux draps. Par l'enfer... De son côté, Nim n'était pas plus glorieuse et déglutit bruyamment. La petite rouquine tâtonnait à la recherche de la sortie...

-Elle était aussi loin que ça la porte ? demanda-t-elle d'une voix terrifiée.

Elle avança encore dans le noir à la recherche d'une échappatoire.

- Euh … Y'a …. Y'a plus de porte … finit-elle par constater.

Je me demandais s'il ne serait pas plus sûr de s'assoir là en attendant de l'aide. Cela nous éviterait des tas d'embêtements et puis... A cet instant, un courant d'air glacial nous effleura dessus, nous faisant crier de concert. Par les moustaches de Salazar, nous n'en sortirions pas vivantes !

Je crois que Peter Pan n'est pas loin … murmura Nim, aussi terrifiée que moi.

Cette déclaration me fit froid dans le dos. D'un coup, Peter Pan me semblait beaucoup, beauuucoup moins sympa. Je déglutis difficilement, jetant des regards inquiets dans toutes les directions, baguette levée.  Soudain, j'aperçus quelque chose et gémis, tremblante :

"Nim, regardes ça..." chuchotai-je en reculant d'un pas.


Au loin, dans le noir, quelque chose de vaguement plus clair que l'obscurité ambiante... Bougeait. Comme un petit quelque chose indicible qui se balançait de droite à gauche. Je plissai les yeux pour essayer de distinguer les formes... Lorsque la chose disparut.

Mon cœur rata un battement et je pointai ma baguette en tous sens, cherchant à retrouver une trace de la chose. Un grand rire éclata soudain, me faisant hurler. Je m'exclamai soudain :

"Montres-toi, espèce de bestiole psychopathe ! J'en ai assez de tes petits jeux !"

Je jetai des coups d'œil affolés un peu partout, lorsque soudain La Chose apparut à quelques dizaines de centimètres de moi, en plein milieu du faisceau de ma baguette. Mon premier réflexe fut de crier, à la fois de surprise et de peur. Puis je fis un pas en arrière et tombai sur les fesses... Avant d'examiner la chose...


Et d'éclater de rire. Par tous les poils de trolls de la terre, c'était un tout petit ourson ! Tout mimi et adorable ! Et même pas un vrai ours, non, un ours dessiné ! Comme si quelqu'un avait gribouillé le petit ours le plus mignon du monde et lui avait donné vie !

C'était quand même vachement bizarre... Un dessin en 2D, juste devant nous... Et qui bougeait, par tous les poils de barbe de Merlin ! Ma peur était retombée comme un soufflé, parce que c'était juste... Improbable. Comment un ours pouvait être là ? Pourquoi ? Et... Un dessin surtout ? Ce château contenait réellement des pièces remplies de choses surprenantes... Soudain, la Chose demanda :

Bonjour, vous venez jouer avec moi ?

Heu... Pardon ? Dit comme ça, ça faisait légèrement pédobear psychopathe en manque de chair fraîche. Pourtant il avait l'air bien mignon cet ours... Avachie au sol, les fesses sur le carrelage, je tendis instinctivement le bras devant Nim pour la protéger, brandissant ma baguette dans l'autre main.

-Il … Il a parlé ...
-Oui, j'ai entendu..."

Je me levai doucement, tenant toujours la Chose en joue. Je demandai alors d'une voix incertaine :

"Qu'est-ce que tu nous veux ?
-Je veux jouer, bien sûr ! s'exclama t'il/elle en riant.
-Et... Pourquoi avec nous ? D'où tu sors, d'abord ? Et t'es qui ?"

La créature éclata à nouveau d'un rire des plus terrifiants avant de... S'avancer ? Je n'aurais su décrire ce qu'il faisait, parce qu'aussitôt qu'il se mit en marche, il disparut. Il redevint visible à quelques centimètres de nous, me faisait pousser un cri de frayeur.

"Par le caleçon de Merlin, ne refais jamais ça !" M'exclamai-je en portant la main à mon cœur, comme si ça pouvait calmer ses battements frénétiques.

L'ours en 2d nous faisait toujours face et j'eus soudain une illumination. Je me décalai un peu sur le côté, constatant que son profil était en fait une tranche très fine de couleur noire... Je murmurai alors à Nim :

"C'est parce qu'il est en 2d qu'on ne le voit pas... Quand il avance vers nous, il disparaît... Si ça, c'est pas un truc hallucinant !"

Nim n'avait pas vraiment l'air aussi terrifiée qu'au début, mais elle se méfiait clairement de la créature. Il faut bien avouer que cette bête était des plus étranges. Je me demandais bien comment elle pouvait être arrivée là. Vu son aspect, c'était un dessin. Quelqu'un avait dû le gribouiller quelque part et l'ensorceler comme l'étaient les peintures du château. Mais pourquoi, ça... C'était un autre problème. Nim leva sa baguette en direction du dessin et l'observa avec suspicion. Contrairement à moi, elle semblait avoir un certain sens des réalités... Même si pour ma part, le fait que la bestiole était mignonne me suffise à la classer parmi les créatures "inoffensives", Nim, elle, n'était pas de ce avis. C'était d'ailleurs probablement bien plus intelligent. Elle posa donc une question tellement logique que j'aurais dû y penser avant :

Et … Tu veux jouer à quoi ?

Bon. Il/elle/ça pouvait répondre n'importe quoi. Peut être bien un truc flippant. Du genre "Je veux jouer à vous manger". Nooon, quand même pas... Il était trop mignon, ce dessin. J'inspirai profondément pour me concentrer sur les événements en cours, lorsque l'ourson répondit :

"Je veux jouer à "trouvez la sortie" !"

Heu. Attends. Ca, c'est peut être encore plus flippant. Est-ce que c'était une menace ? Du genre "fuyez avant que je vous attrape" ? Je secouai la tête, essayant de ne pas avoir l'air trop effrayé. Puis je réalisai que la porte avait disparu... Je demandai alors tout doucement :

"Et comment on est supposées faire, s'il n'y a plus de porte ?
-C'est pour ça que le jeu est difficile ! S'exclama le dessin. Moi, ça fait dix ans que je cherche !"

Heu, attends... Dix ans ?

Si ça faisait dix ans qu'il cherchait la sortie... On allait rester coincées ici aussi longtemps, voir plus encore ! On allait p't'être même finir transformées en quelque chose de super bizarre en 2d nous aussi ! Comment on allait s'en sortir ? Je ne voulais pas devenir un gros hamster collé sur un mur ! C'était trooooop bizarre ! Même pour moi ! Et d'abord, jamais personne ne nous retrouverait dans ce cas ! Ce serait horriiible ! Heureusement, Nim avait d'avantage d'esprit pratique que moi et demanda :

-Tu t'appelles comment ? Et tu as essayé quoi pour sortir ?

Bonne question ! Savoir ce qu'il avait déjà essayé nous aiderait peut être à sortir. Nous n'aurions pas à refaire les mêmes choses que lui et nous pourrions peut être... Nous enfuir. Du moins, je l'espérais.

"J'ai essayé de courir autour de la salle très très vite, mais tout ce que ça fait c'est que ça me fatigue. J'ai grimpé en haut des murs, mais il n'y a rien. J'ai essayé de creuser mais c'est trop dur. Par contre, on peut avoir des miroirs sur les murs si on dit le mot magique."

En parlant de mot magique, il n'avait toujours pas dit son nom. Ca commençait à devenir inquiétant. J'essayai donc de le lui faire avouer en nous présentant d'abord. Sait-on jamais, on pourrait peut être en apprendre plus sur lui si on savait comment il s'appelait, cet ours en 2d. A cet instant je réalisai seulement la fin de sa phrase...

"Attends, tu as dit qu'on peut faire apparaître des miroirs avec un mot magique ?
-Oui, je l'ai dit. Il faut dire "Biloubidoulboup", expliqua-t'il tandis que, effectivement, des miroirs tapissaient les murs à ces mots. C'est comme ça que je vous ai vues tout à l'heure et que j'ai essayé de vous faire venir !
-D'accord. Moi c'est Elizabeth, et elle, c'est Nim. Comment tu t'appelles ?"

La créature hésita un petit moment. Soit elle/il avait peur de notre réaction, soit... Il/elle avait honte. C'était possible. Pour un machin en 2D, qui pouvait tout aussi bien être issu de l'esprit d'un mini-sorcier dérangé, ça n'aurait pas été étonnant le moins du...

"Je m'appelles Fluffy."

Fluffy ? FLUFFY ? Ca me faisait penser à quelque chose de toute mimi, tout doux tout chou. Et j'éclatai de rire. Oh, non, pas possible. Cette aventure n'avait de cesse de nous mener de surprise en surprise...

Ah, bonne question. Décidément, la petite Poufsouffle était pleine de ressources ! Elle irait loin dans la vie, cette petite. Toujours la bonne question au bon moment. Dire que j'étais supposément la plus adulte et mature des deux... Douce ironie ! Je jetai un œil alentours, me demandant comment nous pourrions sortir. Alors, Fluffy se mit à nous expliquer ce qu'il avait fait :

"Je vous ai vues à travers les miroirs alors j'ai fait du bruit pour vous attirer. Il y a un miroir, là-bas, où les sons peuvent passer."

Il tendit la patte vers le miroir en question et je le fixai quelques instants, dubitative. a première vue, il ressemblait exactement aux autres. En tout point. Rien de particulier sur la surface elle-même, ni sur l'encadrement. Peut-être s'agissait-il d'une sorte d'enchantement posé à même le miroir. Si le son ne passait QUE au niveau de celui-ci, ça voulait dire que c'était probablement par là que nous pourrions sortir. Je demandai donc, un sourcil levé dans la plus élégante des curiosités :

"Et c'est par ce miroir qu'on est entrées ?
-Oui, oui, oui. Toutes les deux."

Je me tournai vers Nim, en pleine réflexion. Si on était entrées par là, on pouvait aussi en sortir. Le tout serait de comprendre pourquoi, et comment. Je réalisai soudain qu'il n'y avait pas d'ombre... Jamais, à aucun instant, nous n'avions vu une vraie ombre. En réalité, tout ce que nous avions vu jusque là...

"C'était toi ! L'ombre sur les miroirs, c'était celle de Fluffy, Nim !"

Je venais tout juste de le comprendre. Fluffy était seul ici. C'était pour cette raison qu'il avait essayé de nous attirer : pour qu'on l'aide à s'échapper. Maintenant, il fallait que nous trouvions comment faire... Je me sentais un peu comme dans ces histoires qu'on pouvait lire en primaire. Des sortes de problèmes avec une solution logique qu'il fallait simplement trouver. Je m'avançai vers le miroir-porte et l'examinai, d'abord sans le toucher. Puis, je posai la main dessus... Sans effet. Lorsque j'en approchai ma baguette, il se mit à... onduler ?

"Regardez ça !" m'exclamai-je avec surprise.

Nim osa courageusement s'approcher un peu plus que moi du miroir, sa baguette tendue à l'extrême devant elle. Elle avait peur d'être trop près, mais en même temps elle voulait effleurer la surface à l'aide de sa baguette... Moi, je n'aurais jamais osé. Sait-on jamais, ça pouvait peut être avaler ma baguette ? Ou se figer dessus et la garder coincée à jamais ? J'en étais à me demander si ça n'était pas ce qui serait arrivé à Excalibur lorsque Nim arriva au but... Et que le bois buta sur le verre. Mouais. Au moins, on pouvait pas si facilement passer au travers. Et sa baguette était intacte.

La pauvre petite soupira, avec l'air de porter tout le malheur du monde sur ses épaules. Elle semblait... Désabusée. Mais elle était trop jeune pour ça, enfin ! Il ne fallait pas déjà abandonner après seulement une si faible tentative ! J'allais le lui dire lorsqu'elle s'assit par terre face au miroir en parlant à Fluffy :

"Tu as toujours été un dessin ?"

Mince. J'aurais dû poser la question tout de suite quand j'avais compris qu'il était en 2D. C'était vraiment bizarre. A moins qu'il n'ait été aplati ? Par un sortilège ou objet magique, c'était envisageable. Ou alors, il était autre chose. Mais quoi ? Difficile à savoir avec certitude.

"Oui, j'étais dessiné sur un miroir avec de la peinture, puis mon créateur m'a donné vie ! expliqua-t-il en penchant la tête sur le côté.
-Tu veux dire que quelqu'un t'as peint puis ensorcelé ?
-C'est ça.
-Et comment tu es arrivé au milieu de la pièce, alors ?"

Fluffy me regarda avec une expression d'intense désespoir. Il semblait torturé par quelque chose... Je m'accroupis devant lui et posai une main sur son épaule. C'était une texture étrange, dure et presque tranchante, mais terriblement fine. Je retirai bientôt mes doigts, de peur de me couper.

"Ne sois pas triste. Dis nous simplement comment c'est possible. Ca nous aidera peut être à sortir."

Fluffy gigota un peu de droite et de gauche, manifestement mal à l'aise. Il finit par dire :

"Le créateur a fait ça. Il se sentait seul et avait besoin de compagnie. Il venait me voir tous les jours, puis il repartait par là. dit-il en montrant le miroir-porte. Mais je n'ai jamais compris comment il faisait."

Mon regard s'était illuminé à cette idée : quelqu'un était entré, puis ressortait régulièrement. Donc, on pouvait le faire, nous aussi. Je jetai un coup d'œil rassurant en direction de Nim, comme pour lui dire "hey, ne t'en fais pas, on va y arriver !".